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12.mai.201912.5.2019 // Les Crises

Les journaux contribuent à radicaliser l’extrême droite, selon le chef de la lutte contre le terrorisme au Royaume-Uni. Par Jim Waterson

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Source : The Guardian, Jim Waterson, 20-03-2019

Neil Basu critique l’hypocrisie des grands médias à la suite de l’attaque de Christchurch

Jim Waterson

mercredi 20 mars 2019

Neil Basu a fait ses commentaires dans une lettre ouverte aux médias sur la façon de rendre compte du terrorisme. Photographie : Victoria Jones/PA

Le chef de la lutte contre le terrorisme en Grande-Bretagne a déclaré que les terroristes d’extrême droite sont radicalisés par la couverture des grands journaux, tout en critiquant l’hypocrisie d’organes tels que Mail Online, qui a publié le « manifeste » de l’homme armé dans l’attaque terroriste de Christchurch.

Neil Basu, l’un des meilleurs policiers britanniques, a déclaré qu’il était ironique que des journaux aient critiqué à plusieurs reprises Facebook et Google pour avoir hébergé des contenus extrémistes, alors que des sites tels que le Sun et le Mirror se sont précipités pour télécharger des séquences filmées par le tireur lors de son attaque contre deux mosquées en Nouvelle-Zélande.

« Les mêmes entreprises de médias qui ont fustigé les plateformes de médias sociaux parce qu’elles n’ont pas agi assez vite pour supprimer les contenus extrémistes publient simultanément la propagande de Daesh [État islamique] non censurée sur leurs sites Web, ou mettent à disposition les « manifestes » de tueurs fous à télécharger », a dit Basu dans une lettre ouverte aux médias sur la façon de signaler le terrorisme.

Il semble avoir choisi Mail Online, qui a téléchargé le « manifeste » de 74 pages du terroriste néo-zélandais sur son site Web et l’a mis à la disposition des utilisateurs, avec une explication de son idéologie d’extrême droite, sur l’une des plus grandes chaînes d’information au monde.

Basu, dont le travail a été décrit comme le plus difficile de la police britannique, a déclaré qu’il était temps d’accepter que de nombreux terroristes soient radicalisés par les grands médias : « La réalité, c’est que tous les terroristes avec lesquels nous avons eu affaire se sont inspirés de la propagande des autres, et lorsqu’ils ne la trouvent pas sur Facebook, YouTube, Telegram ou Twitter, ils n’ont qu’à allumer la télévision, lire le journal ou aller sur un des nombreux sites Web des médias traditionnels qui luttent pour concurrencer ces plateformes. »

Il a cité l’attentat terroriste de 2017 à Finsbury Park, à Londres, comme exemple d’un homme « conduit à un acte de terreur par des messages d’extrême droite qu’il a trouvés principalement dans les médias grand public ».

Basu a invité les rédacteurs en chef des journaux nationaux à débattre de leur couverture avec « les survivants du terrorisme et ceux d’entre nous qui tentent de le combattre ». Il a dit qu’il espérait que le gouvernement s’attaquerait à la question des grands médias qui amplifient les messages terroristes dans ses prochaines propositions contre les préjudices en ligne et qu’il ne ciblerait pas seulement les grands réseaux sociaux tels que Facebook et YouTube.

« Une propagande extrémiste peut atteindre des dizaines de milliers de personnes naturellement par leurs propres canaux ou réseaux, mais dès qu’un journal national la publie intégralement, elle a une portée potentielle en dizaines de millions. Nous devons reconnaître que cela nuit à notre société et à notre sécurité.

« Quiconque cherche à nier les effets négatifs que peut produire la promotion de la propagande terroriste devrait réfléchir soigneusement à l’effort mondial massif visant à supprimer le contenu terroriste des plateformes de médias sociaux et aux pressions que les gouvernements, les forces de l’ordre et, ironiquement, les médias ont exercées sur ces entreprises pour nettoyer leurs sites. »

Mail Online et le Mirror ont par la suite retiré la vidéo de l’attaque, bien qu’un porte-parole du Sun se soit défendu en utilisant des clips sur la base qu’elle (la vidéo) « ferait la lumière sur cette attaque barbare et sur le « mobile » tordu qu’elle impliquait ». Le Daily Mail et le Sun ont ensuite utilisé leurs éditions imprimées pour critiquer le rôle de Facebook dans l’attaque de Christchurch, malgré le téléchargement sur leurs sites Web de séquences vidéo de l’homme armé.

Selon M. Basu, tous les médias en ligne devraient également s’efforcer de faire face au « torrent de haine et d’abus proche d’un certain seuil pénal » qui suit tout acte de terreur, dans la crainte que cela ne pousse les gens à sortir d’Internet et « à créer un environnement permissif capable de pousser les idéologues les plus extrêmes au delà de la ligne rouge ».

« La société doit se regarder en face. Nous ne pouvons pas simplement nous cacher derrière le mantra de la liberté d’expression. Cette liberté n’est pas un droit absolu, ce n’est pas la liberté de causer du tort – c’est pourquoi notre loi sur le discours haineux existe. »

Source : The Guardian, Jim Waterson, 20-03-2019

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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Commentaire recommandé

Pierre D // 12.05.2019 à 06h53

Plus que la diffusion de délires, de maniaco-dépressifs en
phase aiguë, c’est l’absence de travail pédagogique qu’elle suppose qui fait défaut… le travail d’un journaliste.

Cette absence présuppose un entre soi entre les journaux et des lecteurs (et non « ses » lecteurs) qui n’existe pas.

Ce travail pédagogique, permettrait de rationaliser l’émoi que suscitent ces meurtres, mais nuirait à la publicité qui entoure la publication en fragilisant l’esprit critique du lecteur face à une marque de nouilles.

Notre société n’est pas humaniste, mais marchande… C’est volontaire.

14 réactions et commentaires

  • Pierre D // 12.05.2019 à 06h53

    Plus que la diffusion de délires, de maniaco-dépressifs en
    phase aiguë, c’est l’absence de travail pédagogique qu’elle suppose qui fait défaut… le travail d’un journaliste.

    Cette absence présuppose un entre soi entre les journaux et des lecteurs (et non « ses » lecteurs) qui n’existe pas.

    Ce travail pédagogique, permettrait de rationaliser l’émoi que suscitent ces meurtres, mais nuirait à la publicité qui entoure la publication en fragilisant l’esprit critique du lecteur face à une marque de nouilles.

    Notre société n’est pas humaniste, mais marchande… C’est volontaire.

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    • Alfred // 12.05.2019 à 08h18

      Les grands médias sur la piste des réseaux sociaux en matière de censure? C’est la dictature qui se met en place à petit pas. On peut faire une totale confiance dans tous les gouvernements pour finir par abuser à coup sûr de toutes ces lois restrictives. Nous l’avons vu sous nos yeux ces dernières années.
      0.001 % de la population sera impacté par des attentats commis par des gens « inspirés » par les médias, mais 100% de la population sera impactée par ces mesures liberticides .
      Ce Mr Neil Basi n’est PAS un démocrate. D’ailleurs on en voit de moins en moins dans les sphères du pouvoir. Qu’ils tombent donc le masque. (Pour le Guardian qui fut un journal de gauche le cas est entendu depuis longtemps « à la » Liberation).

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    • Toutatis // 12.05.2019 à 08h53

      J’aime pas du tout la « pédagogie ». Je me demande toujours quels sont le niveau et les mérites de ceux qui prétendent m’éduquer….

        +6

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      • Fritz // 12.05.2019 à 09h13

        La pédagogie ? C’est pendre les citoyens pour des enfants, c’est nous infantiliser. En 1999, les médias rivalisaient de pédagogie pour nous enseigner les bienfaits des bombardements de l’OTAN sur la Yougoslavie (David Mathieu, Bombes et bobards, L’Age d’homme, 2000, pp. 79-82 : « pédagogie à gogo »).

        Le 17 mai 1999, en dernière page du Monde, Jean-Michel Aphatie vantait le ministre de l’époque : « Alain Richard, pédagogue de la guerre ». Trois ans plus tard, le même Aphatie comptait sur la « pédagogie » d’Alain Juppé pour nous enseigner la nécessité d’une attaque contre l’Irak. Mais Chirac et Villepin en décidèrent autrement.

        J’enseigne à des collégiens. Mais je n’aime pas la pédagogie.

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        • Pierre D // 12.05.2019 à 10h31

          Vos digressions sur les variantes de « pédagogie », n’empêchent qu’un citoyen actif est un citoyen éduqué… ou alors demandez-vous ce que vous faites dans votre classe.

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          • Fritz // 12.05.2019 à 10h43

            Un citoyen instruit, vous voulez dire ? Bien d’accord avec vous. Mais la pédagogie scolaire est devenue trop souvent l’art d’enseigner l’ignorance. Quant à la pédagogie qui prétend former l’opinion de citoyens majeurs, de travailleurs, ce n’est qu’une insulte au peuple.

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            • Pierre D // 12.05.2019 à 10h58

              Je suis d’accord avec vous, la pédagogie a, avec le temps perdu de sa force. Ce mot là a aussi été vidé de son sens en particulier par le néolibéralisme tendance novlangue.

              Mais je n’ai pas trouvé d’autre mot pour illustrer mon propos… et de toute façon, je refuse la manip.

              Quant à la confusion entre agent de propagande, chroniqueur et journaliste, je ne fais pas partie de ceux qui sont prêts à la valider, même si les presses d’opinions d’investigations ont quitté les kiosques depuis longtemps

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      • Pierre D // 12.05.2019 à 10h27

        Toutatis,

        Demandez-vous plutôt quels sont votre niveau et vos mérites pour recevoir sans aucun filtre l’image d’un otage décapité ou brûlé vif ou du massacre dans une mosquée.
        Personnellement, j’ai besoin de comprendre pour avaler l’événement et c’est le rôle du journaliste de décoder le contexte, faits et références à l’appui… travail que je n’est pas personnellement le temps de faire.

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        • Toutatis // 12.05.2019 à 11h41

          Non, le but d’un journaliste c’est de rapporter les faits. Dès que je vois quelqu’un « décoder », j’ai tendance à voir deux informations au lieu d’une : ce qui est « décodé » d’abord, et ensuite le décodage, qui est une information sur celui qui décode. C’est d’autant plus vrai qu’on peut maintenant grâce à internet avoir de multiples « décodages » parfois radicalement différents, ce qui incite à penser que le décodage n’est pas uniquement une info sur l’évènement, mais sur le décodeur aussi.

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          • Pierre D // 12.05.2019 à 12h14

            Vous êtes berné par « le Monde et ses « déconneurs ». Le journaliste ne décode rien, il collecte les éléments dans l’affaire traitée et nous les fait partager et transforme le fait en information (du verbe informer).

            Quel intérêt avez-vous à regarder un pilote jordanien brûler en ignorant tout du contexte?

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            • Toutatis // 12.05.2019 à 13h34

              A priori ça ne m’intéresse pas spécialement qu’un pilote jordanien brule. Une victime parmi des centaines de milliers d’autres…. Et d’ailleurs les pilotes sont plus souvent des bruleurs que des brulés.

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  • Julien // 12.05.2019 à 09h54

    Les médias sont les responsables de la désinformation généralisée et donc de la mauvaise compréhension du monde dans lequel on vit tous. Ils sont également responsables de la radicalisation de tout le monde sur beaucoup de sujets. Jamais nous n’avons vu autant de haine dans la bouche des gens que depuis que les médias sont soumis à l’état. les médias sont le bras armé de l’état le levier qui permet le consentement au moment où on en a besoin. Un attentat ?besoin de Surveillance accrue ? Aller hop état d’urgence, nouvelles lois pour la sécurité du peuple. Des accidents de la route en augmentation (chiffres de la SR proche du gvt) ? Aller vite plus de radar pour votre sécurité et notre porte monnaie. Une femme battue sous des camera de vidéo surveillance ? Aller pénalisons la main aux fesses et faisons en des tonnes dans les médias avec Marlène, pendant des semaines, faisons des reportages, taclons tous les hommes, balance ton porc quoi !! manifestations gênantes pour le pouvoir ? Pas de soucis, on va dire en chœur que ce sont les chemises brunes et les bruits de bottes qui manifestent (sur un malentendu ça peut passer) …. Etc etc. Les médias sont responsables avec l’état profond et leurs représentants de commerce du chaos dans lequel notre pays rentre petit à petit. Je n’oublierai pas ce que ces gens ont fait et ne manquerai pas de la rappeller le moment venu.

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  • R2D2 // 13.05.2019 à 04h28

    Article d’un vide sidéral très Walt Disney. Je m’étonne qu’un espace d’auto-défense intellectuelle publie de telles niaiseries politiquement correctes.

    Non seulement c’est inepte mais c’est même trompeur et donne une image faussée du monde dans lequel on vit. Car si on peut reprocher quelque chose aux journaux, c’est justement d’être tellement obsédé par le politiquement correct que leurs articles sont systématiquement biaisés et en faveur des « minorités visibles » comme on dit. C’en est même devenu proverbial : un terroriste musulman a toujours « des problèmes psychologiques », des voyous d’origine étrangère sont des « jeunes avec des difficultés sociales »…

    Ca, c’est la réalité des médias appartenant à l’oligarchie qui, on le sait, ne rêve que d’abolir les frontières et faire venir encore plus de « minorités ». Prétendre que les médias présentent une image négative de l’Autre est une pure escroquerie intellectuelle.

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  • Patrick // 13.05.2019 à 11h31

    C’est la faute à l’extrême-droite , voire même maintenant à l’ultra-droite !!!
    ça ressemble de plus en plus à la création d’un nouvel ennemi, d’un nouveau danger, on nous a même sorti des complots de l’ultra-droite , tellement tirés par les cheveux que même la presse n’a pas insisté sur le sujet.
    Moi je retiens surtout que la presse évite certains sujets sous prétexte « qu’il ne faut pas donner des arguments à l’extrême droite » , ce qui est d’ailleurs la meilleure façon de lui en donner. Cacher les problèmes sous le tapis plutôt que de les affronter est le meilleur moyen de faire empirer la situation.

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