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25.février.202225.2.2022 // Les Crises

En Grande-Bretagne, le secteur privé risque de tuer le système de santé public

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Certains membres du parti travailliste sont favorables au recours au secteur privé pour réduire les délais d’attente du NHS. Mais dans le privé, les soins de santé sont là pour faire du profit plutôt qu’aider les patients — et certainement pas pour sauver le système de santé public.

Source : Jacobin Mag, Jatinder Hayre
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Dans le cadre d’un accord conclu en 2020 avec le National Health Service (NHS), le secteur privé britannique n’a pris en charge que 0,08 % des patients atteints de Covid-19. (Piron Guillaume / Unsplash)

Alors qu’une main invisible protège le secteur privé, les coups d’un pied invisible font exploser le secteur public. Cela n’est nulle part plus évident que dans la percée des soins de santé privés au sein du NHS.

En temps normal, la relation entre le secteur privé des soins de santé et le NHS est parasitaire : le secteur privé se contente des cas simples et sans complications, et le NHS dépense des milliards de livres Sterling. Mais, comme dans bien d’autres domaines, la pandémie a tout changé, et aujourd’hui, de plus en plus de gens prétendent que les soins de santé privés vont nous sauver. Se laisser séduire par cet argument pourrait se révéler être une erreur coûteuse – et pas seulement en termes financiers.

Cette semaine, Sajid Javid, secrétaire d’État à la santé, a annoncé la conclusion d’un nouvel accord de trois mois entre les prestataires de soins de santé privés et le NHS. L’accord prévoit une collaboration entre les deux parties, théoriquement destinée à augmenter la capacité du NHS.

Seulement quelques jours auparavant, Wes Streeting, secrétaire d’État à la santé dans le cabinet fantôme du Parti travailliste, avait indiqué qu’il était favorable à l’utilisation de prestataires de soins de santé privés pour réduire les listes d’attente du NHS. « Cela ne fait aucun doute, le prochain gouvernement travailliste devra probablement avoir recours au secteur privé pour réduire les listes d’attente du NHS », a déclaré Streeting à Nick Robinson de la BBC, ajoutant qu’il serait toutefois « assez fâchés des coûts impliqués » que cela induirait.

L’accord est vendu au public comme une toute nouvelle initiative, mais en réalité, le gouvernement a négocié un accord similaire en mars 2020 avec des résultats dérisoires. Les données du NHS montrent que le secteur privé, dans le cadre de l’accord de 2020, n’a pris en charge que 0,08 % des patients de la Covid-19 pendant la pandémie. En moyenne, cela signifie que l’ensemble du secteur privé a pris en charge huit patients Covid par jour entre mars 2020 et mars 2021. Le NHS, quant à lui, en prenait en charge une moyenne de dix mille par jour.

Bien entendu, le secteur privé a également été chargé de poursuivre les soins courants pendant que le NHS se débattait avec la pandémie de Covid-19. Mais même dans ce cas, la contribution du secteur privé aux soins des patients n’a pas été significative. L’activité traditionnelle financée par le NHS auprès du secteur privé a en fait diminué de 43 %, ce qui s’est traduit par 235 000 actes non urgents et 1,3 million de rendez-vous en moins pour les patients du NHS par rapport à 2019. Au lieu de se mobiliser pendant la pandémie, le secteur privé s’est mis en retrait.

À la consternation du personnel de première ligne du NHS, la réalité est que ce contrat était conçu comme une bouée de sauvetage pour le secteur privé en difficulté pendant la pandémie, plutôt que d’être un secours pour les patients. Un fournisseur privé, Spire, est allé jusqu’à déclarer que l’accord fournirait « des liquidités suffisantes et une stabilité financière pendant l’épidémie de la Covid-19 ». Spire avait déjà annoncé qu’il risquait de ne pas respecter ses engagements bancaires et qu’il pourrait être obligé de suspendre les dividendes de ses actionnaires.

Pire encore, dans le cadre du contrat 2020, le secteur privé des soins de santé était incité à continuer de traiter les patients payants, à condition qu’un dédommagement soit payé au gouvernement – une concession incompréhensible au plus fort d’une urgence de santé publique. En conséquence, les prestataires de soins de santé privés ont repris leur habitude consistant à sélectionner les cas les plus simples et ont négligé leurs obligations contractuelles envers le NHS, en plus de recevoir du NHS 300 £ par lit d’hôpital privé.

Alors, où en sommes-nous aujourd’hui ? Alors que le pays connaît une recrudescence du variant Omicron et que 6 millions de personnes sont en attente sur les listes du NHS, celui-ci est confronté à une tâche sans précédent. Les patients en quête d’un traitement et en attente de soins sont en proie à la souffrance et au désarroi, alors même que 92 % des établissements hospitaliers se sont déclarés extrêmement inquiets de l’épuisement du personnel et du stress lié au travail.

Des temps difficiles imposent des solutions radicales plutôt que de continuer sur la même voie. Et si on veut avoir un impact significatif sur la liste d’attente du NHS, qui ne cesse de s’allonger, une des solutions consiste à nationaliser le secteur privé des soins de santé. Les options dont dispose le gouvernement britannique peuvent être évaluées à l’aune des résultats obtenus ailleurs : la renationalisation du jour au lendemain des hôpitaux privés en Espagne dans les premiers temps de la pandémie a, par exemple, permis d’augmenter considérablement la capacité en nombre de lits ; l’accord négocié avec le secteur privé des soins de santé en Irlande, par contre, a été décrit comme « une occasion manquée d’intégrer et de simplifier le système hospitalier irlandais ». La nationalisation est la seule véritable solution, tant au niveau national qu’international.

Une modélisation réalisée par l’Institute for Fiscal Studies (IFS) a montré que la liste d’attente du NHS, dans le pire des cas, pourrait atteindre le chiffre stupéfiant de 14 millions de patients d’ici l’automne de cette année. Même dans le scénario le plus optimiste – une liste d’attente de plus de 9 millions – le NHS devrait augmenter ses capacités à partir de 2023 pour être en mesure de revenir à un niveau pré pandémique en 2025.

Des décisions courageuses doivent être prises en ces temps étranges de pandémie. Alors que le gouvernement conservateur prend des mesures pour dégrader davantage le NHS, il incombe aux Travaillistes de faire face à la réalité qui se profile : une réalité que le secteur privé ne résoudra pas, il ne le peut pas.

Source : Jacobin Mag, Jatinder Hayre, 16-01-2022
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Commentaire recommandé

RGT // 25.02.2022 à 10h34

Qui tient actuellement les rennes du parti travailliste en Angleterre?

En lisant cet article j’ai comme un sentiment de déjà vu quand je pense à la trahison des « socialistes » en France et le virage néo-libéral des années 80…

À mon avis, Jeremy Corbyn doit faire la gueule et les thuriféraires de Tony Blair doivent avoir la banane…

Encore une nouvelle arnaque de la « gôôôche » qui a été totalement phagocytée par les « valeurs libérales » et les opportunistes qui ne pensent qu’à leur propre intérêt.

Petite question : À combien se montent les « rétrocommissions » (reversées quand ils seront « à la retraite » bien sûr) qu’ont touché ces « grands penseurs » pour leur trahison ?

Je suis farouchement opposé à la politique faite par des professionnels, et surtout quand celle-ci est dictée par des « partis » qui ont été au départ pensés pour être facilement corruptibles.

Certes, la politique faite par des « gueux » est moins sexy (surtout pour les journalopes en recherche de sujets « intéressants » et de petites passes d’armes entre « camps opposés ») mais au moins un « moins que rien » ayant les pieds dans la fange ne prendra jamais de décision qui lui serait préjudiciable et qui pourrait entraîner la haine de ses voisins lorsqu’il retournerait à la « vie civile ».

7 réactions et commentaires

  • RGT // 25.02.2022 à 10h34

    Qui tient actuellement les rennes du parti travailliste en Angleterre?

    En lisant cet article j’ai comme un sentiment de déjà vu quand je pense à la trahison des « socialistes » en France et le virage néo-libéral des années 80…

    À mon avis, Jeremy Corbyn doit faire la gueule et les thuriféraires de Tony Blair doivent avoir la banane…

    Encore une nouvelle arnaque de la « gôôôche » qui a été totalement phagocytée par les « valeurs libérales » et les opportunistes qui ne pensent qu’à leur propre intérêt.

    Petite question : À combien se montent les « rétrocommissions » (reversées quand ils seront « à la retraite » bien sûr) qu’ont touché ces « grands penseurs » pour leur trahison ?

    Je suis farouchement opposé à la politique faite par des professionnels, et surtout quand celle-ci est dictée par des « partis » qui ont été au départ pensés pour être facilement corruptibles.

    Certes, la politique faite par des « gueux » est moins sexy (surtout pour les journalopes en recherche de sujets « intéressants » et de petites passes d’armes entre « camps opposés ») mais au moins un « moins que rien » ayant les pieds dans la fange ne prendra jamais de décision qui lui serait préjudiciable et qui pourrait entraîner la haine de ses voisins lorsqu’il retournerait à la « vie civile ».

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    • patoche // 25.02.2022 à 12h52

      Corbyn au pouvoir a subi une impitoyable campagne politique et médiatique, l’angle d’attaque étant son soutien plus ou moins avéré à la cause palestinienne qui vous colle à jamais le tampon « antisémite » au front (vérifiable dans tous les pays occidentaux).
      Son successeur au parti travailliste a eu pour priorité de nettoyer le parti…
      Mission accompli.

        +3

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  • Paul // 25.02.2022 à 13h43

    ben oui, TOUT ce qui a été prédit arrive à grand pas.
    Le palier du chaos est en cours et il ne resteras aux classes moyennes et aux petits, que mes yeux pour pleurer
    en cas de pépin, faudra vendre la maison pour payer, comme aux US….

    MAIS NE VOUS INQUIETEZ pas, la même chose arrive en france

    depuis des mois qu’on vous dit, y compris au site, REVEILLEZ vous ! indignez vous, dites le dans les urnes. si micron et sa copie feminine passent, c’est la mort de l’humain et de l’humanitaire

      +9

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  • GuillaumeB // 25.02.2022 à 14h04

    Les établissements de santé publics et privés travaillent de manière complémentaire, donc pourquoi les opposer ?
    (les organismes privés font plus d’économies sur l’administratif que le public)

    Je remarque tout de même que les pays développés à tendance liberticide, en nombre de décès par % de population, sont assez mal placés..
    https://ourworldindata.org/coronavirus

      +0

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    • utopiste // 27.02.2022 à 15h24

      Sans doute travaux publics et privés sont complémentaires, mais la répartition des tâches et des gains correspondants est toujours étrangement et fortement déséquilibrée. Au point où il n’y aura bientôt plus de services publics du tout.
      Quand aux politiques des pays en voie de sous-développement, elles sont très marquées par l’idéologie libertarienne. Leur efficacité est plus ou moins bonne, selon la hauteur (sociale) de votre point de vue. Tant que les intérêts des puissants et le système qui les sert sont correctement entretenus, chacun est libre d’agir en toute liberté et individualité. Quand les objectifs du nombre et de « l’élite » divergent, les grands médias, l’administration, les tribunaux ou la troupe sont là pour solutionner le problème, selon l’intensité des tensions managériales.

        +1

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  • step // 25.02.2022 à 15h18

    « une réalité que le secteur privé ne résoudra pas, il ne le peut pas. » -> « une réalité que le secteur privé ne résoudra pas, il ne le VEUT pas. » Un patient guéri est un client en moins. Ne doit être relâché qu’une fois essoré (financièrement) sinon c’est une perte de rentabilité.

    Je suis toujours surpris que les gens écrivent encore leur découverte du fait moteur du secteur privé. La plus grande efficacité… dans la captation du profit (en aucun cas du service rendu). La notion de service rendu n’intervient qu’en période de forte concurrence et de demande solvable, ce qui n’est plus le cas dans les systèmes oligarchiques de la majorité des secteurs de nos vieux états paupérisés.

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  • Idomar // 27.02.2022 à 18h40

    J’entends d’ici les « libéraux » de salon s’offusquer du mot nationalisation.
    De salon parce qu’ils ne sont pas dans la réalité; le libéralisme est basé sur la concurrence. Or de concurrence il n’y en a plus, il n’y a qu’un consensus pour partager le gâteau à coups de millions, milliards d’euros.
    Au fait le libéralisme en matière de soins, pour donner une idée précise de terrain, c’est limiter le nombre de couches par jour par vieux, et leur réduire progressivement le nombre de biscottes le matin, que la mensualité soit de 2500 ou 8000€ pour le patient âgé ! Ah il n’y a pas à dire c’est beau le libéralisme forcené aux mains des « cost killers ».
    C’est un procédé stupide mis en place par des idiots à l’esprit étroit : il ont l’air malin maintenant que leur cours de bourse s’est effondré et qu’ils ont dit aurevoir à leur plus value.

      +0

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