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22.novembre.202222.11.2022 // Les Crises

Guerre économique contre la Chine : Joe Biden impose des contrôles à l’exportation pour entraver l’industrie chinoise

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L’administration Biden vient de renforcer sa « rivalité stratégique » avec la Chine en imposant une batterie de contrôles à l’exportation visant à entraver l’industrie chinoise des semi-conducteurs. Mais cette mesure pourrait finir par se retourner contre les États-Unis et leurs alliés.

Source : Jacobin Mag, Branko Marcetic
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Le président Joe Biden prononce un discours chez IBM à Poughkeepsie, New York, le 6 octobre 2022. IBM a accueilli Biden pour célébrer l’annonce d’un investissement de 20 milliards de dollars dans les semi-conducteurs, l’informatique quantique et d’autres technologies de pointe. (Mandel Ngan / AFP via Getty Images)

Depuis des années, on nous avertit qu’une nouvelle Guerre froide se prépare, cette fois avec la Chine. Le premier coup de feu de cette guerre vient peut-être d’être tiré.

Dans ce cas, le coup de feu n’est pas venu du canon d’un fusil, mais de la pointe du stylo d’un bureaucrate du ministère du Commerce. Au début du mois, l’administration Biden a mis en place des restrictions draconiennes à l’exportation de la technologie des micropuces de semi-conducteurs, ce qui, selon un spécialiste du secteur, équivaut à « une véritable Guerre froide économique bilatérale » contre la Chine.

En vertu de ces nouveaux contrôles, les États-Unis n’autoriseront plus l’exportation vers des entreprises chinoises d’équipements servant à la fabrication de puces ou de certaines d’entre elles, notamment celles destinées aux super ordinateurs et à l’intelligence artificielle. Trente et une entreprises chinoises ont été ajoutées à la liste non vérifiée du Bureau of Industry and Security (BIS) [Une liste non vérifiée est une liste de parties dont le BIS n’a pas pu vérifier la bonne foi. Aucune exception à la licence ne peut être utilisée pour les exportations, réexportations ou transferts (dans le pays) vers des parties non vérifiées. NdT], ce qui rend plus difficile l’envoi aux entités figurant sur la liste de produits fabriqués aux États-Unis ou réalisés en lien avec la chaîne d’approvisionnement américaine, y compris les produits étrangers créés à l’aide de technologies provenant des États-Unis. Et ce ne sont pas seulement les produits qui sont visés par les restrictions, mais aussi les « ressortissants américains ». (Nous y reviendrons plus tard).

Les contrôles élargissent également les critères d’inscription sur la Entity list du BIS [Les personnes et organismes inscrites doivent avoir une autorisation pour effectuer certaines actions, comme acheter certains produits américains, commercialiser leur produits aux États-Unis ou recevoir des transferts technologiques à partir d’entreprises américaines, autorisations qui leur sont refusées par défaut, NdT] sur laquelle les inscrits sont soupçonnées de menacer la sécurité nationale ou les intérêts de la politique étrangère des États-Unis. Désormais, lorsqu’un gouvernement ne coopère pas et ne permet pas aux régulateurs de vérifier si les règles américaines en matière d’exportation sont respectées ou pas – comme le gouvernement chinois, qui n’autorise pas les vérificateurs américains – les entreprises implantées sur son sol peuvent être frappées de sanctions. En d’autres termes, les régulateurs américains auront désormais toute latitude pour exclure toute entreprise chinoise des chaînes d’approvisionnement américaines.

Étant donné que les États-Unis abritent trois des cinq principaux fournisseurs mondiaux de semi-conducteurs et que la Chine ne produit que 15 % des semi-conducteurs dans le monde tout en achetant les trois quarts de la production mondiale, ce n’est pas une mince affaire. La Chine ne le prend pas non plus comme tel. La porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Mao Ning, a accusé l’administration Biden « de faire un usage abusif de la réglementation des exportations pour bloquer et entraver sans raison les entreprises chinoises », tandis qu’un porte-parole du ministère chinois du Commerce a accusé Washington de « contrevenir à l’esprit de coopération entre les deux parties » en se livrant à de la « tyrannie technologique. »

Si l’objectif est de faire du tort à la Chine, cette mesure fera certainement l’affaire. La Chine est fortement dépendante du reste du monde pour les semi-conducteurs, qu’elle a importés à hauteur de 400 milliards de dollars l’année dernière. Le président de l’Association d’échanges scientifiques, technologiques et culturels États-Unis-Chine aux États-Unis a déclaré qu’étant donné que « la Chine n’a pas fait beaucoup de progrès » à propos de son industrie des semi-conducteurs, ces mesures allaient conduire à son « effondrement ». Le ministère chinois de l’Industrie et des Technologies de l’information a convoqué une réunion d’urgence avec les dirigeants des entreprises de semi-conducteurs, au cours de laquelle « de nombreux participants ont affirmé que les restrictions américaines étaient synonymes de désastre pour leur industrie », rapporte Bloomberg.

Il suffit de se pencher sur le cas de Huawei pour se rendre compte des effets dévastateurs que peuvent avoir de telles restrictions commerciales. Alors que Huawei était autrefois le premier fabricant de smartphones au monde, la décision de Donald Trump de l’ajouter, ainsi que des dizaines de ses filiales non américaines à cette Entity list a fait des ravages sur l’entreprise, qui, entre autres, n’a plus été en mesure d’installer l’app store Google Play sur ses téléphones. Après la seule première année des sanctions, Huawei ne figurait plus dans le trio de tête des fabricants de smartphones, sa part de marché ayant chuté de 42 % et ses revenus ayant baissé de près de 30 % l’année suivante.

La BIS a mis en avant l’utilisation militaire des puces pour justifier ces restrictions, mais les responsables américains ont clairement indiqué que le maintien de la domination technologique des États-Unis et l’entrave au développement industriel croissant de la Chine étaient des préoccupations tout au moins aussi importantes. Ces contrôles interviennent quelques mois seulement après la signature par Biden de la loi CHIPS and Science Act, qui consacre près de 53 milliards de dollars au financement de la recherche et à l’octroi de subventions à l’industrie américaine des micro-puces, après que les perturbations de la chaîne d’approvisionnement dues à la pandémie de Covid-19 ont souligné l’importance cruciale de ces produits. Cette décision s’inscrit également dans le droit fil de la stratégie de sécurité nationale de l’administration Biden, récemment publiée et quelque peu incohérente, qui oppose les États-Unis à la Chine dans un « duel pour l’avenir de notre monde » et met l’accent sur « les investissements dans l’innovation afin de consolider notre avantage stratégique ».

Mais les désagréments que tout cela est sur le point de causer à la Chine occultent le fait qu’il pourrait y avoir des coûts réels pour les États-Unis et leurs alliés également. C’est ce que souligne, sans surprise, la presse chinoise, mais aussi les analystes et les organes de presse occidentaux, dont certains ont mis en garde contre une diminution de la coopération et de la demande, ainsi que contre une hausse des prix. Après tout, la Chine est le plus grand partenaire commercial de la plupart des pays du monde, y compris Taïwan et la Corée du Sud, qui sont les sièges de deux des trois plus grandes entreprises mondiales de puces pour microprocesseurs. Selon Reuters, Washington a dû intervenir en toute hâte pour exempter les deux fabricants de puces quelques heures seulement avant l’entrée en vigueur des restrictions, afin qu’ils puissent continuer à faire des affaires en Chine sans être gênés.

Pour le moment, il ne nous reste plus qu’à attendre pour savoir si le pronostic du Boston Consulting Group pour 2020 se réalisera – celui-ci voudrait que les entreprises américaines de semi-conducteurs subissent une baisse de 37 % de leurs revenus et de 18 points de pourcentage de leur part de marché mondiale en cas de « découplage » sino-américain. Idem pour la conviction de l’Australian Strategic Policy Institute selon laquelle ces nouvelles restrictions « affecteront sérieusement » les entreprises américaines de fabrication de semi-conducteurs.

L’une de ces entreprises, Applied Materials, a revu à la baisse ses prévisions de bénéfices pour la période allant de août à octobre et a estimé que ses ventes baisseraient de 400 milliards de dollars au quatrième trimestre de cette année. Etant donné l’importance des semi-conducteurs pour une variété d’autres types de production et le rôle de l’enseignement supérieur dans ce domaine, les ondes de choc de cette décision seront probablement ressenties bien au-delà du seul secteur des puces, et ce avant même qu’il y ait la moindre mesure de rétorsion éventuelle de la part de Pékin. En attendant, les aspirations des États-Unis concernant la création d’une chaîne d’approvisionnement entièrement américaine pour les semi-conducteurs reposent en grande partie sur Intel, qui va commencer à licencier des milliers de travailleurs face à la baisse de la demande, malgré les milliards de dollars de subventions gouvernementales que l’entreprise a réussi à obtenir au début de l’année.

Les nouvelles restrictions auront également un coût humain. Comme le rapporte Fortune, l’interdiction faite par l’administration Biden aux « ressortissants américains » de soutenir le « développement ou la production » de puces dans les usines chinoises sans licence – c’est la première fois que les restrictions commerciales imposées à la Chine visent des êtres humains – signifie que les citoyens américains et les détenteurs de cartes vertes devront choisir entre leur emploi et leur statut d’immigration aux États-Unis.

Enfin, rien de tout cela n’est de bon augure alors que les tensions entre les États-Unis et la Chine sont au paroxysme au sujet du statut de Taïwan. Cette semaine, le chef des opérations navales américaines a demandé à Washington de se préparer à répondre à une invasion de l’île par la Chine, et dans un tel scénario, les faucons appellent depuis longtemps à entrer en guerre avec l’État doté de l’arme nucléaire, ce qui serait très vraisemblablement désastreux. Le Premier ministre de Singapour, par exemple, a qualifié la décision de Biden de « très grave » et a averti que si les préoccupations de sécurité nationale devaient creuser un fossé entre l’Occident et la Chine, qui sont économiquement liés, cela « pourrait entraîner une diminution de la coopération économique, de l’interdépendance, de la confiance et peut-être, en fin de compte, engendrer un monde moins stable. »

Si la première Guerre froide a été dangereuse, elle s’est cependant déroulée entre deux pays qui entretenaient entre eux très peu d’échanges commerciaux. Nous sommes peut-être sur le point de découvrir à quoi ressemble une telle guerre lorsque les deux pays sont chacun le plus grand partenaire commercial de l’autre.

Sources :

BUREAU OF INDUSTRY AND SECURITY – 07-10-2022 : Commerce Implements New Export Controls on Advanced Computing and Semiconductor
Manufacturing Items to the People’s Republic of China (PRC)

Bureau of Industry and Security – 13-10-2022 : Implementation of Additional Export Controls: Certain Advanced Computing and Semiconductor Manufacturing Items; Supercomputer and Semiconductor End Use; Entity List Modification

Auteur : Branko Marcetic est un des rédacteurs de Jacobin, il est aussi l’auteur de Yesterday’s Man : The Case Against Joe Biden [L’homme du passé, le dossier contre Joe Biden, NdT]. Il vit à Chicago, dans l’Illinois.

Source : Jacobin Mag, Branko Marcetic, 23-10-2022

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Jean // 22.11.2022 à 07h23

Les décisions que prennent les USA ressemblent de plus en plus aux solutions désespérées que prendrait un État qui chercherait à entraver le cours inévitable de l’Histoire. Le monde multipolaire va peut-être devenir une réalité incontournable plus rapidement que prévus. L’Empire du mensonge et de l’illusion va t’il disparaitre aussi soudainement qu’un mauvais rêve ?

10 réactions et commentaires

  • Jean // 22.11.2022 à 07h23

    Les décisions que prennent les USA ressemblent de plus en plus aux solutions désespérées que prendrait un État qui chercherait à entraver le cours inévitable de l’Histoire. Le monde multipolaire va peut-être devenir une réalité incontournable plus rapidement que prévus. L’Empire du mensonge et de l’illusion va t’il disparaitre aussi soudainement qu’un mauvais rêve ?

      +29

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  • gracques // 22.11.2022 à 08h46

    C’est vrai ça…. alors que la Chine ouvre ses entreprises les plus en pointe aux capitaux étrangers , respecte le droit de la’propriété intellectuelle et favorise les transferts de technologie au profit de ses partenaires commerciaux….

    Le libéralisme économique est toujours l’idéologie du’plus fort.

      +6

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    • egdltp // 23.11.2022 à 10h38

      ?? des traces de ce que vous avancez ?? Pour l’instant je connais des transferts de savoir occidentaux vers la Chine mais aucun dans l’autre sens. Et cela de manière historique : l’export de vers à soie était puni de mort dans la Chine historique.
      Les guerres de l’opium ont pour source des mesures protectionnistes de la Chine. Je ne justifie pas la décision des occidentaux dans cette affaire, mais si on veut être fort il faut être autonome sinon autarcique.
      Quand on voit la position de Poutine vis à vis de ses liens économiques avec les Européens, faut il ouvrir des liens avec de tels dirigeants ?
      Ces questions doivent aussi être posées pour les relations entre Europe et USA.

        +1

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  • JPP // 22.11.2022 à 12h03

    Les USA avaient refusé à la Chine une participation à la station spatiale internationale. Les Chinois ont maintenant la leur en orbite. Il n’y a pas de raison pour que les Chinois ne puissent pas développer rapidement leur secteur des semi conducteurs à forte intégration, au besoin au pire en réintégrant définitivement Taïwan à leur Empire.

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  • Gaspard des montagnes // 22.11.2022 à 13h26

    Il serait bien surprenant que les chinois n’aient pas encore mis la main sur ces technologies à Taïwan vu les liens et la proximité culturelle. Peut-être attendent ils seulement le moment favorable pour la déployer, ou simplement sont-ils en train de mettre en place secrètement les conditions nécessaires à sa mise en œuvre !
    Le fait que les US créent un immense site de production chez eux, interroge leur confiance dans les Taïwanais et l’avenir de Taïwan.
    Lequel Taïwan ne serait plus qu’une nouvelle ukraine pour essayer d’user les chinois et surtout faire du fric avec les ventes d’armes.

      +4

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    • Dominique 65 // 23.11.2022 à 10h46

      Le seul fabricant néerlandais de machines de gravure ultra-fines est empêché par les USA de les vendre en Chine. Pour que la Chine rivalise avec les dernières technologies, en drssous des 7 nanomètres su’elle atteint déjà il va falloir qu’elle domine l’ensemble des technologies les plus en pointe pour égaler le reste du monde réuni. Possible pour ce pays aux immenses ressources humaines, mais pas en quelques mois. Pour nous, ça va changer quoi ? des smartphones bien plus chers ou aux caractéristiques médiocres. Je crois que c’est à peu près tout. Mais j’attends la contradiction éclairée.

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  • slaviaukrainia // 22.11.2022 à 13h37

    Très efficace car empeche les citoyens américains et ceux et celles travaillant pour des entreprises chinoises, en Chine ou ailleurs, sans posséder sa nationalité de travailler dans des secteurs précis ou la Chine ne réussit pas a combler l’écart.

    Bien plus efficace que Trump…qui avait interdit l,accés aux universités aux USA a certains secteurs pour les citoyens chinois.

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  • Savonarole // 22.11.2022 à 14h24

    Autant le Don avait pas été l’homme le plus futé du monde avec ses histoires de « tariffs wars » , autant là on a une administration qui impose des embargos unilateraux sans aucune concertations avec les industriels concernés et qui espère régler les problèmes que ça va imanquablement engendrer en jetant des dollars dessus uniquement aux US. Pas besoin d’ètre grand clerc pour sentir arriver les bavures.
    Autre problème très grave pour les US et pas anticipés c’est qu’à moyen-long termes cela fait peser un risque de schiisme technologique et normatif … comment espionner des gens en masse quand on a pas de systèmes compatible à brancher dessus ? Grande question quand on veut assurer sa domination.
    Bref , plus je pense au CHIP act , plus je me dis que les gens qui ont pondu ça sont prêt à mener une rude conccurence dans la bêtise avec nos gestionnaires de l’année Bruxellois… il y a du niveau dans la compétition cette année.

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  • Didier // 22.11.2022 à 14h28

    On attend avec intérêt les véhémentes protestations de l’UE face à cette insupportable attaque contre le libre fonctionnement des marchés et le divin principe de la concurrence libre et non faussée.

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    • vert-de-taire // 25.11.2022 à 11h51

      Exactement ma réaction :
      Où sont passés les grandes idées du commerce libre, de la liberté de circulation, du libéralisme ?

      Des modes, des chansons, des contes de fées pour hypnotisés ..

      Tout cela n’était que du vent pour maintenir le pouvoir de l’Empire qui montre ses dents quand il rencontre des adversaires qu’ils traitent en ennemis à détruire.

      C’est dans ces moments qu’on ressent combien ces quelques gens au pouvoir ne pensent rien d’autre que tout dominer, même au prix de tout détruire.
      Leur violence encers toute l’humanité les rend inhumains, des superprédateurs, des êtres supérieurs en dévastatations, des champions, des super-héros de la méritocratie capitaliste.

      On ne peut s’empêcher de penser à ces hordes de guerriers pilleurs qui ont ravagé des civilisations.

        +2

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