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31.août.201431.8.2014 // Les Crises

Israël et la Palestine : ces aveuglantes vérités qu’on ne veut pas voir, par Chokri Ben Fradj

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Israël, s’amusent à rappeler, régulièrement, nos médias occidentaux, est une démocratie ; ce serait même la « seule et unique démocratie de tout le proche orient ». Comme c’est bien joli et rassurant de s’endormir sur ses lauriers, baigné par ces douces certitudes. Le nouveau chapitre du martyre des Palestiniens qui vient de se dérouler, sous nos yeux, à Gaza, impose pourtant, et plus que jamais je crois,  » un arrêt sur image » afin de pouvoir nous poser certaines questions fondamentales en rapport avec le sujet

Ce sur quoi devrait – me semble-t-il – se concentrer notre attention ce sont tout d’abord les faits récents et ils sont absolument accablants. Pendant plus d’un mois, des centaines de milliers de Palestiniens ont vécu sous les bombes de ladite « unique démocratie proche-orientale ». Pour la énième fois, la machine de guerre israélienne accomplit sa besogne de mort à Gaza, dans la quasi indifférence, sinon avec la complicité active de l’occident « civilisé », à commencer par ceux prétendant nous gouverner, le sommet de l’indignité politique ayant été, sans doute, atteint par François Hollande, exprimant, il y a quelques semaines, son soutien et sa solidarité, non pas aux Palestiniens mais….. à leurs bourreaux israéliens. Combien de drames humains, de morts, de blessés, de mutilés, combien de destructions et de ravages en tout genre faut-il encore comptabiliser pour que les consciences endormies (médiatiques, intellectuelles et politiques) se réveillent vraiment enfin ?

Mais au-delà de l’horreur du moment, le vrai problème (tout le monde le sait pertinemment) n’est pas Gaza. Cette bande de terre, exiguë et assiégée de toutes parts, concentre, certes, à un niveau intolérable, tous les aspects de la question palestinienne, mais celle-ci ne peut, bien évidemment, être réduite à ce qui se passe à Gaza ; ce serait trop simple et surtout trop facile.

Pour la très grande majorité des dirigeants israéliens d’hier et d’aujourd’hui, traiter la population civile palestinienne (et arabe en général) comme leur armée vient de le faire une fois encore, à Gaza, n’est, à vrai dire, en rien une nouveauté. C’est une pratique plutôt banale fréquemment mise en œuvre (à une échelle de violence variable) à Gaza et ailleurs. Je dirais même qu’elle relève, objectivement, d’une sorte de normalité routinière à laquelle les militaires israéliens n’hésitent pas (les archives écrites et audio-visuelles des 70 dernières années sont là pour très amplement le démontrer) de régulièrement recourir depuis la création de leur État. Ils le font, du reste, d’autant plus aisément qu’ils savent pertinemment qu’ils n’auront jamais à en payer le prix, leurs puissants amis et protecteurs leur garantissant quasiment une impunité totale. « Les Arabes aiment la mort », osent, ignominieusement, répéter beaucoup de responsables israéliens, civils et militaires. Ils en ont, très manifestement déduit (et ceci ne date absolument pas d’aujourd’hui) que la vie des Arabes ne compte pour rien et que, puisqu’il en est ainsi, pourquoi, alors, se gêner ?  » Allons-y à fond… Tuons et massacrons à volonté ». Difficile, en réalité, d’aller plus loin dans le cynisme et la barbarie. Accepteraient-ils, ces Israéliens, que leurs villes, leurs infrastructures de base et leur population civile soient – des semaines durant – ravagées, non pas par des roquettes à l’effet somme toute très modeste, mais par des bombardiers, des drones, des chars et de l’artillerie lourde, faisant, dans leurs rangs, des milliers de morts et de blessés (pour l’essentiel civils) et causant d’énormes destructions ? Que feraient-ils et que diraient-ils aussi si tel était le cas ? Quelle serait, également la réaction de la fameuse  » communauté internationale » face à cela ? La réponse est déjà dans la question et il me parait donc inutile de l’expliciter davantage.

Rien d’original là-dedans en réalité, car ce à quoi nous sommes confrontés est, ni plus ni moins, conforme à ce que fût la logique présidant à toutes les entreprises coloniales à travers l’histoire et à l’attitude de leurs promoteurs à l’égard des populations colonisées. Les Américains, les Français, les Italiens, les Espagnols, les Portugais, les Belges, les Allemands ou encore les Japonais ont, en effet, raisonné et agi de la même manière vis à vis des populations autochtones de leurs empires coloniaux respectifs où les victimes des guerres de conquête puis des répressions, des exactions et des exploitations de toutes sortes, se comptent, du 16è au 20è siècles, en dizaines de millions.

Dans un monde dominé, depuis toujours, par la loi de la jungle, comment, d’ailleurs s’étonner de pareils comportements ? Comme tous les colonisateurs, la très grande majorité des Israéliens se sont ainsi construit un univers auto-mystificateur dans lequel ils se sont enfermés et d’où ils se montrent parfaitement incapables de sortir. A l’autre, à leur victime qui frappe à leur porte, demandant la récupération ne serait-ce que d’une partie de ses droits, ils ne savent répondre que par le mépris ou par encore plus de violence et d’oppression. Les représentants les plus modérés des Palestiniens ont ainsi beau tenté de négocier, depuis plus de vingt ans, un traité de paix un minimum équitable avec les gouvernements israéliens successifs. En vain, car en guise de « paix », ces derniers leur ont « offert », une colonisation massive et sans fin de ce qui reste de leurs terres, une extension inouïe de la politique de peuplement juif (ayant fait passer le nombre des colons de 15 000 en 1972, à plusieurs centaines de milliers aujourd’hui), la destruction de leurs cultures et l’arrachage de leurs oliviers multi-centenaires, le dynamitage, sans cesse répété, de leurs habitations, le pillage éhonté de leurs ressources aquatiques, les successifs et fréquents « assassinats ciblés » (avec, à chaque fois, de très nombreuses « victimes collatérales ») de leurs militants et responsables politiques, les arrestations massives et arbitraires, les brimades et les humiliations au quotidien. A bien regarder, toutefois, nous constatons que cette attitude s’inscrit dans le sillon d’une orientation politique particulière, moins connue par le grand public mais tout aussi condamnable.

Nos lecteurs savent-ils, ainsi, que l’État d’Israël fût longtemps (et cela en dit déjà très long…) l’allié privilégié de l’Afrique du sud de l’apartheid (qu’il aida directement à fabriquer sa bombe atomique), ainsi que des dictatures fascistes d’extrême droite en Amérique latine des années 60 à 90 (Brésil, Chili, Argentine, Guatemala, Salvador etc…) jusqu’aux « républiques » dirigées par des potentats grotesques, pourris et sanguinaires, d’Afrique noire (tel le régime de Mobutu dans l’ex-Zaïre et plein d’autres du même genre) ?

A « ces braves dirigeants « , les Israéliens ont apporté leur soutien et leur savoir-faire multiformes, civil et militaire, et cela ouvertement et considérablement. Pour « une démocratie », cela pose déjà un très sérieux problème de cohérence minimum avec les « valeurs » qu’elle est supposée défendre. Ces mêmes amis lecteurs savent-ils aussi que l’État d’Israël n’a jamais eu de frontières définitives officiellement reconnues, puisque celles-ci se sont longtemps étendues, non pas en fonction des règles du droit international mais au fur et à mesure de ses conquêtes militaires ? Le territoire israélien (pourtant géographiquement délimité par une décision de l’Onu datant de 1947, lors du partage de la Palestine, demeuré purement théorique, entre deux États juif et arabe) est donc potentiellement extensible, selon la formule biblique, à un espace allant « du Nil à l’Euphrate », illustration, parmi d’autres, de ce  » brigandage impérialiste », évoqué, il y a plus d’un siècle, par Lénine.

Ce territoire n’inclut-il pas déjà, outre la Cisjordanie et Jérusalem- Est, le Golan syrien, occupé en 1967 puis annexé par Israël en 1981?

La nature juridique de l’État d’Israël reste aussi une énigme: Est-ce une république? Une monarchie? Un empire ? Une principauté ? Une tribu ? Cet État a-t-il, par ailleurs, une constitution clairement rédigée déterminant, de manière officielle, son fonctionnement ? Est-il un État construit sur la notion égalitaire de citoyenneté, garantissant à tous ses habitants, Juifs et non Juifs, les mêmes droits effectifs ? Est-il régi par des principes laïcs et réellement démocratiques ? Est-il un État respectueux des droits de l’homme, de la légalité internationale et de la charte de l’Onu (cette organisation à laquelle il doit son existence) ? Ou alors est-ce plutôt un État voyou, qui s’assoit systématiquement sur le droit des autres et qui ne reconnait d’autres lois que les siennes ? Un État d’apparence libérale mais en même temps adossé à une théocratie religieuse obscurantiste, intolérante, archaïque et ségrégationniste ? Un État acceptant, dans ses lois et ses pratiques, une lecture scandaleuse du statut légal de la femme (que tous les féministes et les progressistes du monde devraient, normalement, très fermement dénoncer) et ayant la Bible et la Thora comme sources d’inspiration juridico- politique ? Peut-être cet État est-il un mélange aberrant et anachronique de tout cela, un État où cohabitent, étrangement, d’un côté, de vrais espaces de modernité rattachables à un fort potentiel scientifique et à une forte créativité culturelle irrigués par des esprits brillants et laïcs, et de l’autre, la prétention, ouvertement affichée, de puiser – avec le mythe du « peuple élu auquel la Palestine aurait été promise par Dieu »- dans les « textes sacrés », sa toute première source de légitimation. Le fait, d’ailleurs, que l’actuel premier ministre israélien se revendique (comme, d’ailleurs, tous ses prédécesseurs), chaque fois que cela l’arrange, du « monde libre » et de « l’occident démocratique » – dont Israël se voudrait le bastion dans la région – tout en exigeant des Palestiniens (comme préalable à la reprise de « négociations de paix » dont tout le monde a pu constater l’absolue inanité), la reconnaissance d’Israël comme un État exclusivement juif, n’est-il pas assez éloquent en la matière ? Plus grave encore : quand Menahem Begin et Itshak Shamir (tous les deux anciens premiers ministres israéliens des années 70 à 90) qualifient les Arabes de « sauterelles » et de « cafards », quand une députée de l’actuel parlement israélien, déclare, tout récemment, qu’il faudrait « tuer délibérément les femmes palestiniennes afin de les empêcher d’engendrer de futurs terroristes » ou encore quand l’actuel ministre israélien des affaires étrangères, Victor Libermann (un Moldave immigré en Israël à l’âge de 20 ans et dirigeant d’un parti ouvertement raciste et fasciste) préconise  » le transfert des Arabes israéliens vers la Cisjordanie afin de faire d’Israël une entité ethniquement et religieusement homogène », quand on entend, enfin, ce que disent les colons fanatiques installés sur les terres palestiniennes, qu’ils ont confisqué en Cisjordanie, et quand on voit comment ils se comportent à l’égard des Palestiniens qu’ils ont spoliés, quand on intègre tout cela à notre réflexion, on est vraiment en droit de s’interroger sur la nature de cette prétendue « démocratie israélienne » mais aussi sur la mentalité profonde (les résultats des élections législatives successives l’attestant, du reste, amplement depuis très longtemps) d’ une grande partie de ses citoyens.

Poussons encore plus loin notre raisonnement : qu’est- ce donc cette idée vraiment saugrenue que de vouloir, à tout prix, réunir (sous prétexte des persécutions subies) des hommes et des femmes venus de pays extrêmement différents, dans un même territoire et ce sur une base exclusivement religieuse ? Tout faire pour inciter des gens n’ayant, auparavant, rien à voir ensemble, à se regrouper dans un pays artificiellement crée pour la seule raison qu’ils partageraient la même manière de croire en Dieu, peut-il être considéré comme une démarche progressiste ou émancipatrice ? Je me permets d’en douter et ce d’autant plus que cette bien curieuse entreprise s’est accompagnée d’une vaste épuration ethnique et de crimes abominables à l’égard de la population autochtone, dont la mémoire palestinienne est toujours lourdement chargée. Pourquoi, d’ailleurs et tant qu’on y est, s’arrêter en si bon chemin ? Pourquoi ne pas favoriser des démarches similaires à l’égard des musulmans, des chrétiens, des bouddhistes, des hindouistes, des athées ou des mécréants de l’ensemble de la Terre ? Ne sont-ils pas, eux aussi, à un titre ou à un autre, et à des degrés divers, exposés, là où ils vivent, à différents types de menaces et de persécutions ? N’y-at-il pas là comme l’expression d’une pensée moyenâgeuse particulièrement fermée, rétrograde et fanatique, porteuse d’un risque, plus que réel, de transformer les entités politiques potentielles ainsi crées, en autant d’abcès de fixation pour tous les affrontements, toutes les stigmatisations et tous les sectarismes ? Au lieu d’être consacrée à l’entretien d’ un très détestable esprit communautariste et une fort néfaste mentalité grégaire, l’énergie, ainsi gaspillée, n’aurait-elle pas dû plutôt servir, et depuis très longtemps, au combat universel et multiforme pour le triomphe effectif de la justice, de la dignité, de la fraternité et de l’égalité au profit de tous les habitants de cette terre, indépendamment de leurs origines ethniques, de leurs appartenances religieuses, sexuelles ou nationales ? Ce raisonnement aurait dû, et devrait toujours – me semble-t-il – obtenir l’adhésion unanime de tous les êtres humains lucides, de bonne volonté et à l’esprit réellement éclairé. Et pourtant……

Arrêtons-nous, du reste, un instant sur ce mythe de « la terre que Dieu aurait promis au peuple juif dans la bible « . Selon la lecture israélienne du droit et plus précisément, selon la loi (tout à fait hallucinante) dite du » retour », n’importe quel citoyen de n’importe quel pays du monde pourrait ainsi – à la seule condition qu’il soit reconnu comme Juif – non seulement venir s’installer en Israël, y obtenir, ainsi que sa famille, automatiquement la nationalité et bénéficier de tous les avantages et droits allant avec, mais également établir (avec le soutien et la bénédiction de l’État israélien) son domicile sur n’importe quelle région du territoire de la Palestine historique (incluant la Cisjordanie et Jérusalem Est) en s’appropriant, souvent, au passage, (avec la protection de l’armée israélienne qui veille au grain) des terres sur lesquelles il n’a, pourtant, strictement aucun droit, alors que les vrais propriétaires palestiniens de ces terres (qui y étaient depuis des siècles et des siècles) n’auront plus – la rage au cœur – que leurs yeux pour pleurer. Cette image, qui n’a absolument rien d’irréel, fait quasiment partie – tous les Palestiniens vous le diront- de leur vécu quotidien depuis de très longues décennies. Imaginons un peu ce que pourrait signifier, dans notre monde contemporain, ce genre de comportement, ce qu’engendrerait un pareil raisonnement s’il était repris, de nos jours, par les différents peuples de la Planète. Imaginons dans quel état serait celle-ci si, au nom de je ne sais quel droit chimérique, les hommes se mettent, soudain, à vouloir conquérir la terre des autres, celles des voisins comme celles des lointains, sous prétexte qu’elle aurait appartenu, il y a plusieurs milliers d’années, à leurs très très lointains supposés ancêtres. Essayons de deviner dans quel monde on vivrait si cette pratique était effectivement acceptée et admise comme quelque chose de légitime et de normal. Non seulement ce serait la mort assurée de toute notion (déjà durement malmenée un peu partout dans le monde) de justice et de droit, mais ce serait aussi, et plus que jamais, la guerre universelle de tous contre tous qui serait tout simplement déclenchée, avec les conséquences cataclysmiques que nous pourrions facilement prévoir. Pourtant, nous sommes, bel et bien, obligés de constater que c’est bien à partir d’un tel mythe que l’État d’Israël a été fondé. Les risques et les dangers gravissimes, pour la paix dans la région et la bonne entente entre les croyances et les hommes, qu’une telle entreprise portait fatalement en elle, ont-ils jamais été sérieusement pris en compte par ses promoteurs ainsi que par leurs soutiens ? Tout porte à croire que non, le respect des droits fondamentaux des victimes étant, dans cette affaire, manifestement considéré comme une sorte de « luxe superflu » dont on ne peut s’encombrer. Il suffit, d’ailleurs, d’observer le comportement des soldats israéliens sur le terrain, depuis des décennies, pour s’en convaincre. Dans le discours politique israélien, ils sont présentés, très sérieusement et sans la moindre once d’humour, comme constituant  » l’armée la plus morale du monde « . Ils sont, effectivement, « beaux et exemplaires ces soldats, et ces soldates » dans l’accomplissement de leur rôle préféré, joué et répété à l’infini depuis plus de 70 ans, auquel l’ensemble de la planète vient à nouveau d’assister en direct et qui se passe de tout commentaire. Franchement, très franchement même: si tel est le comportement de la soi-disant « l’armée la plus morale du monde », j’aimerais vraiment que l’on me dise comment cette dernière aurait agi si elle était dépourvue de la morale qu’on lui attribue. Oui, j’aimerais réellement qu’on me le dise, dans le cas où je n’aurai pas bien compris

Ces propos sont-ils antisémites ? Je connais bien cette musique : délégitimer l’adversaire, en le disqualifiant moralement afin de tenter de le neutraliser politiquement. Cela constitue une très vieille rengaine, usée jusqu’à la corde, à laquelle ont systématiquement recouru ceux qui – faute d’arguments solides et crédibles à opposer à leurs contradicteurs – se réfugient dans l’insulte et la calomnie.

Non, bien évidemment que non. Mes propos n’ont rigoureusement rien à voir avec un quelconque antisémitisme, idéologie infecte et abjecte dont nous savons tous à quels genres de monstruosités et d’horreurs elle a abouti et peut encore aboutir. Ma parole se veut tout simplement, celle d’un esprit libre, réfractaire à tous les dogmes, à toutes les hypocrisies et à toutes les formes d’aliénation. Partant, justement, de ce positionnement intellectuel et politique, je dénis, en ce qui me concerne, totalement à l’État d’Israël le droit de représenter, en quoi que ce soit, l’essence de ce qu’est réellement, le judaïsme (religion monothéiste à laquelle on peut ou non adhérer mais tout aussi respectable que toute autre religion s’exerçant dans un cadre démocratique et laïc et non instrumentalisée à des fins de domination ou d’oppression) qu’il a, manifestement, pris politiquement, moralement et intellectuellement, en otage, au prix d’un intense lavage de cerveau collectif en direction, non seulement des communautés juives à travers le monde, mais aussi de l’opinion publique occidentale

Je pense, également, que, par son idéologie et ses agissements criminels, la caste politico-religieuse et militaire qui dirige cet État constitue (au même titre d’ailleurs que les groupes terroristes génocidaires, porteurs d’un islam de mort et de ténèbres qu’on voit tristement à l’œuvre, de nos jours, dans nombre de pays musulmans) une véritable insulte vis à vis de toutes les valeurs morales et spirituelles, non seulement du judaïsme, mais aussi de toutes les religions. Plus encore : les crimes horribles et les exactions en tout genre que ne cessent de commettre ou de cautionner, depuis bien longtemps déjà, une partie de ceux prétendant parler au nom du judaïsme et des Juifs, sont devenus, incontestablement, aujourd’hui,(tout observateur lucide peut le constater) le meilleur terreau sur lequel peut prospérer, à volonté, le discours antisémite, l’amalgame étant, chez énormément de gens (tout particulièrement au sein du public arabe et musulman mais pas seulement) malheureusement vite fait entre le judaïsme et l’État d’Israël. C’est, sans doute là la principale raison pour laquelle un très grand nombre de juifs à travers le monde (dont beaucoup de citoyens français) – qu’ils soient pratiquants ou pas, laïcs ou orthodoxes – n’hésitent pas, depuis un certain temps déjà, à dire ce qu’ils pensent de cet État, mais aussi à rallier activement et régulièrement les diverses manifestations de soutien au peuple palestinien. Ils sont, à mes yeux, l’honneur du judaïsme, sa noblesse et sa lumière, celles qu’incarnaient et qu’incarnent encore, dans la longue mémoire des hommes, les innombrables grandes figures issues du judaïsme (présentes aussi dans la société israélienne actuelle, mais, hélas, en trop petit nombre), hommes et femmes humbles, dévoués, libres, hommes et femmes de savoir, de culture et d’engagement, humanistes et progressistes de toutes tendances, amoureux de la justice et de la fraternité, symboles, parmi d’autres, de cet universalisme auquel je suis, moi-même, depuis toujours, profondément attaché.

Les abominations et agressions de toutes sortes (dont l’évocation détaillée remplirait des livres entiers) commis, depuis sa création, par l’État d’Israël, à l’égard des Palestiniens et divers États ou peuples de la région, sont, aussi, pour tout être humain disposant d’une conscience morale, autant de couteaux plantés dans le dos de ces résistants juifs de tous les pays d’Europe qui ont pris les armes contre le fascisme et le nazisme durant la dernière guerre et dont la plupart sont morts, fusillés, sous la torture ou dans les camps de l’horreur nazie, sans jamais avoir renié leurs principes et leurs convictions. Entre, d’un côté, ces hommes et femmes, héros et justes parmi les justes, et la plupart des acteurs de la politique israélienne ainsi que leurs soutiens, il y a sans doute, autant de différence qu’entre le jour et la nuit.

Que cette mémoire-là, celle de la résistance juive à l’oppression, au racisme et à l’injustice, soit aujourd’hui salie et saccagée par des bêtes féroces assoiffées de sang, de domination et d’asservissement, est absolument inqualifiable. Que l’État d’Israël puisse détourner cette mémoire, de manière si perverse, à son profit, est révoltant et insupportable. Mais comment donc des êtres humains, à l’esprit apparemment sain (et dont, une grande partie des ascendants ont été victimes des bourreaux hitlériens) peuvent-ils, à la fois, se revendiquer du souvenir des victimes du génocide nazi, célébrer leur martyre et rendre hommage à leur sacrifice, tout en agissant, à l’égard d’autres êtres humains, comme ils le font depuis des décennies et viennent encore de le faire à Gaza ? Cela restera, sans doute, l’une des raisons pour lesquelles le pessimisme, la désespérance et la noirceur finissent, souvent, par l’emporter quand on prend la peine de réfléchir un peu à ce qu’est devenu le monde dans lequel nous tentons encore de survivre, le monde que nous laisserons à nos enfants et à nos petits-enfants.

Des dizaines d’années après la défaite et la destruction de l’abominable régime nazi, les dirigeants israéliens commettent, toutefois, à mon sens, une erreur stratégique majeure en choisissant d’ignorer, délibérément, les leçons de l’histoire. Comme le pensaient, dans leur délire criminel, les différents dictateurs de l’entre-deux-guerres (allemand, italien mais aussi japonais), à l’origine du déclenchement du second conflit mondial (mais aussi, avant eux, tous les États colonisateurs), ils semblent croire que ce n’est pas le droit qui fonde la force, mais l’inverse. Ils paraissent donc en avoir conclu qu’au niveau de leurs rapports avec ceux qu’ils ont spolié et dont ils ont ravagé l’existence, le seul langage « payant » est non seulement celui de l’écrasement mais également celui de l’effacement. Il en est ainsi de la théorie que les dirigeants israéliens (toutes tendances confondues) avaient, très longtemps, cherché à faire prévaloir : celle consistant à présenter la Palestine d’avant l’installation de l’État d’Israël, comme « une terre sans peuple pour un peuple sans terre », présentation équivalant, ni plus ni moins, à la négation pure et simple de l’existence même du peuple palestinien. Ce faisant, les Israéliens (du moins ceux parmi eux adhérant à ce schéma de pensée) se sont, en réalité, engouffrés dans un piège qu’ils risquent, à terme, de payer très cher.. Comme partout où règne une atmosphère empoisonnée par l’arrogance inhérente à un insupportable complexe de supériorité, la caste dirigeante de l’État d’Israël a, en effet, toujours eu fortement tendance à tenir ses adversaires pour quantité négligeable et donc à les mépriser, commettant souvent, de ce fait, la grave erreur de les sous-estimer. A l’égard des Palestiniens, et plus généralement des Arabes, les Israéliens sont, ainsi, apparemment, devenus les victimes consentantes de leurs propres chimères et donc sourds et aveugles aux réalités les plus élémentaires de leur environnement, géographique et humain, immédiat. Celles-ci sont, pourtant, archi-évidentes pour toute personne disposant d’un minimum de lucidité : par le lieu où il s’est construit, les méthodes avec lesquelles il a été bâti et imposé dans la région, l’idéologie qui l’inspire et le motive comme par les agissements qui sont les siens sur le terrain, l’État d’Israël constitue, bel et bien, une construction aux fondements particulièrement fragiles dont l’avenir, sur le long terme, ne peut être, pour le moins, qu’extrêmement incertain

Crée – au cœur même du monde arabe – au prix d’une injustice fondamentale, commise à l’égard de tout un peuple (en grande partie chassé de sa terre et réduit, depuis 1948 puis 1967, à un indigne et humiliant statut de réfugiés s’entassant dans des camps dans les pays voisins ou encore en Cisjordanie et à Gaza), l’État d’Israël n’a jamais ni su ni voulu bâtir, avec ses voisins, d’autres rapports que ceux basés sur la terreur, l’humiliation et l’injustice. A ce niveau, croire que les traités de paix (structurellement inéquitables et non acceptés par les populations arabes car escamotant complétement le fond du problème à savoir la tragédie subie par le peuple palestinien) signés avec l’Egypte et la Jordanie, puissent, en quoi que ce soit, changer la donne, relève de la stupidité ou d’une naïveté sans bornes.

Leurrés par un rapport de force militaire, (qui leur est encore très favorable), les Israéliens paraissent croire ce dernier éternel et donc capable, à lui seul, de pérenniser leur existence. A l’ombre de leurs centaines de bombes atomiques (bombes dont ils jouissent, très curieusement, du monopole absolu dans la région), de leurs milliers d’avions, de chars, de canons et de missiles (qu’ils ne cessent d’accumuler grâce à la générosité sans bornes ni limites de leurs parrains occidentaux, dont ils constituent les alliés stratégiques), ils se pensent invulnérables, semblant persuadés que la répression et les massacres finiront, un jour, par venir définitivement à bout de la volonté de résistance et de la soif de justice du peuple palestinien.

Travaillés par une idéologie fascisante et excluant, à connotation raciste (propre, à vrai dire, à toute situation de type colonial), la plupart des Israéliens donnent également l’impression d’être (comme ce fût le cas pour les colons européens en « Afrique du nord française « ) convaincus que ni les Palestiniens, ni les Arabes, en général, ne seront jamais capables de construire une véritable force économique, éducative, scientifique et militaire susceptible de  » renverser la table », remettant ainsi en cause leur domination sur la région. Ils le croient d’autant plus que l’oligarchie occidentale, dans toutes ses composantes, est, depuis toujours, à leur service, appuyée désormais, ouvertement par la plupart des régimes arabes qui – à l’instar des sultans et beys du Maghreb d’hier et des monarchies féodales du golfe d’aujourd’hui – sont dirigés par des fantoches et des larbins, ayant, depuis déjà un certain temps, perdu tout sens du patriotisme, de l’intégrité morale et de l’honneur.

Or, cet ordre, inhumain et amoral, qui ne tient que par la force brutale et la complicité active des puissants, prendra (et c’est l’une des constantes leçons de l’Histoire), un jour ou l’autre et d’une façon ou d’une autre, fin. Nul ne sait, bien entendu, quand et comment cela se produira, mais les peuples arabes (confrontés, certes, aujourd’hui, à de très lourds problèmes internes aux causes fort complexes) peuvent se prévaloir, au moins, d’une qualité : celle de la patience. Ils ont l’indiscutable avantage du nombre et de gigantesques richesses ainsi que des potentialités qui rendront, demain (sous certaines conditions bien sûr) réalisable leur sursaut et leur renaissance. Ceux auxquels cette perspective fait, pour une raison ou une autre, peur, s’attèlent, sans doute, de mille façons et avec de flagrantes complicités locales et régionales, à retarder voire à empêcher cette évolution, en entretenant activement – au sein de l’espace arabe – la décomposition politique, les antagonismes ethniques et religieux ainsi que le chaos social, économique et sécuritaire (les exemples déchirants de la Syrie, de l’Irak et de la Libye, pour ne citer que ces trois pays, en sont de parfaites et effrayantes illustrations). Ceux qui jouent cette carte criminelle et abjecte ne semblent, toutefois, pas vraiment se rendre compte qu’on ne peut arrêter la marche du temps et – qu’ils le veuillent ou non – celui-ci, à bien regarder, joue, sur le long terme, indiscutablement – dans la région – en faveur de tous ceux que l’État d’Israël et ses alliés s’acharnent, depuis si longtemps, à martyriser et à opprimer. Seuls des esprits imbéciles et bornés ne le comprendraient pas, mais il n’y a de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Déjà, la fameuse « armée la plus morale du monde  » vient de se casser les dents à Gaza face à une résistance palestinienne héroïque (pourtant sans aucun moyen en quoi que soit comparables à ceux des Israéliens) qui, à force de courage, d’imagination et de détermination, lui a infligé des pertes sérieuses. Ce fût déjà le cas, d’ailleurs, lors de la dernière guerre du Liban, en juillet 2006, quand l’armée israélienne dût, honteusement, battre en retraite (après avoir subi de lourdes pertes en hommes et en matériel, ses fameux chars Merkeva, qu’elle croyait invincibles, ayant été taillés en pièce par ses adversaires), au bout de 33 jours de combats acharnés contre les combattants du Hezbollah dont elle croyait, pourtant, pouvoir ne faire qu’une bouchée. A eux seuls, ces deux faits devraient suffire à rendre un minimum de conscience à ceux qui l’ont perdue ou qui ne l’ont jamais eue. Et pourtant, rien de substantiel ne semble vraiment se dessiner chez la très grande majorité des Israéliens, visiblement indifférents aux droits des Palestiniens comme à leurs insondables souffrances et plus que jamais barricadés dans leur bunker suicidaire.

Comment donc la population israélienne imagine-t-elle son avenir dans une région où elle baigne dans un océan de rejet et de haine ?

A-t-elle, au moins, conscience, cette même population, que des générations successives, non seulement de Palestiniens, mais aussi d’Arabes, n’ont jamais rien connu d’autre, de la part de l’État qui la représente, que l’image des bombardements, des massacres, du crime, de l’oppression et de l’injustice ? Comment ferait-elle, le jour où le monde arabe (au sein duquel elle est venue si imprudemment s’implanter) aura enfin trouvé son chemin vers l’unité et la puissance et donc la capacité réelle de relever le défi israélien dans la région ? Quel type d’État et quel modèle sociétal les Israéliens vont-ils, par ailleurs, « inventer » quand, dans 20 ou 30 ans, la population arabe sera devenue majoritaire dans les territoires actuellement sous leur contrôle direct ou indirect ? Croient-ils vraiment que la manipulation et la déformation de l’information pourrait un jour permettre d’effacer des faits solidement établis et abolir, au sein des mémoires individuelles et collectives, l’histoire millénaire de tout un peuple qu’ils ont dépossédé de sa terre et de ses droits ? Considèrent-ils réellement que la guerre perpétuelle et la violence meurtrière, sans cesse renouvelée, peuvent constituer, en quoi que ce soit, une politique rationnelle, un tant soit peu moralement défendable et susceptible de les protéger contre les dangers mortels qui les guettent et dont ils sont, pour l’essentiel, les tout premiers responsables ? Pensent-ils sérieusement qu’en procédant de la sorte, ils vont plus facilement se faire accepter par leurs voisins et par leurs victimes ? En agissant comme ils le font, les Israéliens et leurs dirigeants ne se trompent-ils pas plutôt, lourdement de siècle et d’époque ? Se pensent-ils encore au 19è ou au début du 20è siècles (et non pas au 21è) c’est à dire à un moment historique où les puissances européennes pouvaient encore prétendre, assez aisément, imposer leur ordre colonial « aux races inférieures » dont parlait, dans les années 1880 (et entre autres responsables politiques européens de l’époque), le chef du gouvernement français Jules Ferry ?

Autant de questions sur lesquelles, à quelques exceptions près, aucune réflexion de fond, digne de ce nom, ne semble en cours ou avoir été sérieusement entamée parmi les intellectuels et les faiseurs d’opinion en Israël. Ces questions sont pourtant absolument cruciales, pour ne pas dire existentielles pour cet État, habité, depuis le début, par une logique d’apartheid, la peur comme la négation de l’autre et sans cesse ravagé, de l’intérieur, par le complexe, finalement autodestructeur, de « la forteresse assiégée ».

Si les combattants palestiniens de Gaza ont creusé des tunnels, ils savent, au moins, comment en sortir. Or celui dans lequel les Israéliens se sont visiblement enfoncés a tout l’air d’être très profond et sans issue.

Chokri Ben Fradj, historien

 

 

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