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2.juin.20192.6.2019 // Les Crises

Loi Helms-Burton contre Cuba : l’extraterritorialité du droit américain, par Janette Habel

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Source : IRIS France, Janette Habel, 24-04-2019

Dans une interview publiée le 9 avril 2019, des journalistes de l’agence Reuters interrogeaient deux très hauts fonctionnaires de l’administration Trump sur la stratégie du président américain à l’égard de Cuba et du Venezuela[1]. À la question des journalistes s’interrogeant sur l’efficacité de la politique mise en œuvre à l’égard de ces deux pays, la réponse des deux hauts fonctionnaires fut sans ambigüité : « Il faut prendre au sérieux nos déclarations concernant Cuba et le Venezuela. Certains pensent, ou espèrent peut-être que le président Trump bluffe et que nous n’avons pas de stratégie. Nous avons une stratégie d’ensemble. Il s’agit de notre arrière-cour, c’est très sérieux ». Une affirmation confirmée depuis, le 17 avril, par le secrétaire d’État Mike Pompeo. L’administration américaine pourra dès la date du 2 mai, en application du titre III de la loi Helms-Burton, engager des poursuites judiciaires contre les sociétés étrangères, notamment françaises, présentes à Cuba. La loi Helms-Burton, de portée extraterritoriale, a été promulguée en 1996 sous la présidence de Bill Clinton. Son titre III permet, notamment aux exilés cubains, de poursuivre devant les tribunaux fédéraux américains les entreprises soupçonnées de « trafiquer » (trafficking en anglais) avec des biens ayant appartenu à des ressortissants américains (ou à des exilés cubains ayant acquis depuis la nationalité américaine). Il s’agit des biens nationalisés par le régime de Fidel Castro après la révolution de 1959 dans l’île des Caraïbes. De nombreuses sociétés européennes ont investi à Cuba, certaines d’entre elles pourraient être contraintes de quitter l’île sous peine de se voir sanctionnées aux États-Unis. Ledit « trafic » comprend les investissements dans des biens nationalisés, la détention d’un intérêt légal sur ces biens ou la réalisation d’affaires directes avec ces biens, la gestion ou la location de ces biens. Le texte définit comme « faisant du trafic » quiconque participe à une activité commerciale dans laquelle il utilise un bien nationalisé ou en tire un profit quelconque.

La loi Helms-Burton (ainsi nommée du nom de ses auteurs, le sénateur républicain Jesse Helms et le représentant démocrate Dan Burton) est une loi fédérale américaine dont le titre Cuban Liberty and Democratic Solidarity (Libertad) indique la finalité politique explicite : imposer à Cuba, grâce aux sanctions, un gouvernement qui ne comprenne ni Fidel Castro ni son frère Raúl. Cette loi est parfois surnommée « Bacardi Bill » par des juristes, car elle a été rédigée par les avocats de Bacardi, une entreprise productrice de rhum exilée aux États-Unis après avoir été nationalisée. Bacardi mène une guerre sans merci contre son rival, le groupe français Pernod Ricard. Alors que le rhum Havana Club -propriété d’une co-entreprise détenue par l’État cubain et Pernod Ricard – est fabriqué à Cuba, le rhum Bacardi est fabriqué à Porto Rico. Depuis 1996, le titre III de la loi avait été suspendu par tous les présidents américains, y compris par Trump, grâce à une disposition spécifique (« waiver ») suite à un mémorandum d’entente entre les États-Unis et l’Union européenne (UE). Sa réactivation a plusieurs objectifs : empêcher la « concurrence déloyale » des investissements directs d’entreprises étrangères à Cuba, alors que les entreprises américaines ne peuvent pas y investir du fait de l’embargo, imposer l’extraterritorialité du droit américain sur le plan international (comme en Iran), asphyxier économiquement l’île pour renverser le régime castriste alors que La Havane connaît des difficultés économiques, satisfaire enfin aux exigences des exilés cubano-américains installés en Floride, un État clé pour l’élection présidentielle américaine de 2020.

La réactivation du titre III a suscité de nombreuses réactions en particulier de la part de l’UE. Cette dernière a jugé « regrettable », mercredi 17 avril, la décision de Washington de permettre, à partir du 2 mai, des actions en justice contre les entreprises étrangères espagnoles et françaises notamment, présentes à Cuba. Les vingt-Huit menacent Washington de représailles en cas de sanctions contre les investissements européens. « La décision des États-Unis (…) aura un impact important sur les opérateurs économiques de l’UE à Cuba (…) et ne peut que mener à une spirale inutile de poursuites judiciaires », ont déclaré la commissaire européenne au Commerce, Cecilia Malmström, et la chef de la diplomatie de l’UE, Federica Mogherini. « L’Union européenne sera contrainte d’utiliser tous les moyens à sa disposition » pour protéger ses intérêts, avaient-elles averti auparavant dans un courrier en date du 10 avril, adressé au secrétaire d’État américain, Mike Pompeo. Parmi ces moyens, le recours à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est envisagé, les sanctions américaines étant contraires à son règlement. La saisine de l’organe de règlement des différends (ORD) de l’OMC permettrait de recourir à des arbitrages internationaux sur un certain nombre de lois américaines. Même si, comme le souligne un diplomate, « ils n’en ont cure ».

Mais pour certains observateurs, combattre l’extraterritorialité du droit américain par des sanctions permettant en miroir la poursuite des filiales nord-américaines en Europe ne sera pas suffisant. Les sanctions américaines ont un effet extrêmement dissuasif dans la mesure où pas une seule entreprise ne peut se passer du marché américain. Entre un (petit) marché cubain potentiel et l’immense marché américain, le choix est vite fait. Si vous ne coopérez pas, c’est « no deal ». La loi Helms-Burton codifie l’interdiction d’investir. Le droit américain est utilisé pour sanctuariser des marchés.

En octobre 2016, Pierre Lellouche et Karine Berger avaient présenté un rapport bipartisan devant la commission des Finances et la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale sur l’impact extraterritorial du droit américain. Les conclusions de leur mission d’information montraient comment l’administration américaine est dans une logique d’utilisation du droit pour défendre les intérêts économiques américains et éliminer les concurrents. La mission préconisait d’instaurer un mécanisme de blocage à l’échelle européenne afin de faire face à l’offensive américaine. Pour le député François-Michel Lambert, président du groupe d’amitié France Cuba, Trump a déclenché « la plus grande guerre économique contre l’Europe en utilisant Cuba comme prétexte ».

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[1] Entretien donné dans le programme « Economic Eve On Cuba ». Disponible sur le site https://www.cubatrade.org/

Source : IRIS France, Janette Habel, 24-04-2019

 


 

Cuba: l’UE prendra des «mesures» pour réagir à l’application de la loi Helms-Burton

Source : Le Figaro, AFP, 02-05-2019

L’Union européenne va «réagir» à la pleine entrée en vigueur de la loi Helms-Burton aux Etats-Unis ce jeudi, qui ouvre la voie à des demandes de réparation de Cubains exilés après 1959, selon une déclaration ce jeudi de la cheffe de la diplomatie européenne. Federica Mogherini assure que l’Union, qui considère que l’application de cette législation est «contraire au droit international», «s’appuiera sur toutes les mesures appropriées pour réagir aux effets de la loi Helms-Burton, y compris en ce qui concerne ses droits dans le cadre de l’OMC et par le recours à la loi de blocage de l’UE».

L’UE, conjointement avec le Canada, avait déjà dénoncé les mesures américaines lors de l’annonce par le secrétaire d’Etat Mike Pompeo que les USA allaient ouvrir la possibilité, à partir du 2 mai, de milliers d’actions en justice contre des entreprises étrangères présentes à Cuba, malgré les avertissements préalables des 28. Elle regrettait «profondément» cette décision de nouveau jeudi. «La décision d’activer le titre III et d’ouvrir la voie à des mesures en vertu du titre IV constitue une violation des engagements pris dans les accords entre l’UE et les États-Unis de 1997 et 1998, qui ont été respectés par les deux parties sans interruption depuis lors», souligne Federica Mogherini, dans cette déclaration au nom de l’UE.

Le chapitre III de la loi Helms-Burton adoptée par les Etats-Unis en 1996 permet aux exilés cubains de poursuivre devant les tribunaux fédéraux américains les entreprises qui ont réalisé des gains grâce à des sociétés nationalisées après 1959. Cette disposition avait été systématiquement suspendue depuis son adoption par les présidents américains, depuis Bill Clinton, pour justement ne pas froisser les alliés internationaux des Etats-Unis. «Cette décision provoquera des frictions inutiles et sape la confiance à l’égard du partenariat transatlantique ainsi que la prévisibilité de celui-ci», poursuit Federica Mogherini.

Source : Le Figaro, AFP, 02-05-2019

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weilan // 02.06.2019 à 08h03

« L’UE va réagir » nous annonce sans rire l’ineffable F. Mogherini.

Ha ha ha… On doit trembler dans les cercles du pouvoir washingtoniens. L’UE n’hésitera plus à montrer au grand jour sa bouche édentée ?

10 réactions et commentaires

  • weilan // 02.06.2019 à 08h03

    « L’UE va réagir » nous annonce sans rire l’ineffable F. Mogherini.

    Ha ha ha… On doit trembler dans les cercles du pouvoir washingtoniens. L’UE n’hésitera plus à montrer au grand jour sa bouche édentée ?

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  • LBSSO // 02.06.2019 à 08h39

    Cuba, le paradis !..de l’extraterritorialité.

    Les premières plaintes ont été déposées .La justice américaine peut être saisie de demandes visant l’État cubain, mais aussi des entreprises privées considérées comme bénéficiant du « vol » ,autrement dit, des biens confisqués et nationalisés par Castro en 1959 (en particulier du foncier) .
    Exemples:
    – Deux groupes hôteliers espagnols poursuivis par des exilés de Cuba : Melia et Blau, spécialistes des complexes hôteliers.
    – Carnival : numéro un mondial des croisières pour son utilisation de terminaux portuaires à Santiago de Cuba et à La Havane.
    – Société Générale : pour mémoire, fin 2018, paiera 1,34 milliard de dollars d’amende pour avoir violé l’embargo sur Cuba (et, de manière plus marginale, sur l’Iran et le Soudan), entre 2003 et 2013.

    Sources: La Tribune,Le Figaro, Le Monde.

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  • RGT // 02.06.2019 à 09h58

    Nous pourrions dès à présent commencer à répliquer en attaquant en justice General Electric pour le VOL EN RÉUNION SOUS CONTRAINTE d’Alsthom…

    L’indemnisation du préjudice subi se montant à 100 milliards d’€uros d’amende assorti de la saisie du bien recelé.

    Avec tous les « young loosers » qui nous dirigent il y a peu d’espoir et GE aura totalement liquidé ce concurrent avant qu’un seul dirigeant intègre n’envisage l’éventualité de poursuites pénales.

      +26

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    • anarkopsykotik // 02.06.2019 à 13h13

      Je sais que je me fais des films, mais un jour, peut-être tous les young leaders seront envoyés en geôle pour quelques années avec la marque de l’infamie de « trahison de la nation et inéligibilité à vie », en même temps qu’on renationalisera toute l’industrie qui n’aura pas encore démantelée (oui, va falloir se dépêcher).

        +9

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  • LBSSO // 02.06.2019 à 10h07

    Prêcher pour sa paroisse.

    « Michel Lambert, président du groupe d’amitié France Cuba, Trump a déclenché « la plus grande guerre économique contre l’Europe en utilisant Cuba comme prétexte « .
    Mais bien sûr…!
    Le livre  » Deals de justice – Le marché américain de l’obéissance mondialisée  » de Antoine Garapon et Pierre Servan-Schreiber est paru en ….2013 et n’a pas attendu, monsieur le président de l’Amitié, cette dernière « affaire cubaine »
    Nous n’étions pas nombreux à cette époque à tirer la sirène d’alarme.Et dans les milieux pourtant souverainistes , on m’opposait alors que nous n’avions qu’à nous passer du dollar comme si, ignorant la complexité, cette riposte suffisait.Et puis c’étaient les banques , et des groupes allemands qui étaient touchés, alors vous savez…

    Avec D Trump , les signaux faibles devenus forts, deviendraient-ils enfin plus audibles ?

      +8

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  • Papagateau // 02.06.2019 à 12h17

    Et des lois extra-territoriales contre les paradis fiscaux, c’est possible ?

    Ah, non. La vertu américaine se dégonfle.
    Et si cette vertu n’était pas américaine mais financière, ploutocratique.

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    • septique // 02.06.2019 à 16h21

      Malheureusement cher Papagateau..les USA sont beaucoup plus actif que l’Europe ou la France pour les paradis fiscaux..et l’IRS (Internal Revenu Service) le système fédéral responsable des taxes et impôts a une autorité presque totale.
      Les citoyens américains résidant à l’étranger doivent quand-même payer de l’impôt aux USA et sont poursuivis (et peuvent être mis en prison à leur retour aux USA). Certains renoncent à leur citoyenneté américaine (il est possible de le faire) ou ne quittent plus le pays d’accueil comme Mark Rich..

      Il est condamné par la justice américaine pour fraude, extorsion de fonds, délit d’initié, violation d’embargo avec l’Iran en pleine crise des otages ainsi que pour la plus grande fraude fiscale de toute l’histoire des États-Unis. Avec plus de 60 chefs d’inculpations, il y risquait jusqu’à 325 ans de prison ferme. Classé parmi les 10 fugitifs les plus recherchés au monde et poursuivi par une unité spéciale du FBI. Il trouve refuge en Suisse qui refuse de l’extrader. Il y fonde la multinationale Glencore Il reçoit un pardon très controversé du président américain Bill Clinton le 20 janvier 2001, son dernier jour en fonction (c’était un donateur démocrate).

      Les USA on été le seul état qui a fait plier le secret bancaire suisse pour obtenir la liste des citoyens américains détenant des comptes bancaires en Suisse…on se renseigne Papagateau.

        +2

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      • Dominique65 // 03.06.2019 à 10h32

        « Les USA on été le seul état qui a fait plier le secret bancaire suisse »
        C’est très bien. J’attends qu’ils fassent la même chose au Delaware.

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  • ellilou // 02.06.2019 à 14h51

    Le politologue Ali Laidi avait été invité pour son essai «Le droit – Nouvelle arme de guerre économique» (Actes Sud) chez Frédéric Taddéi (Interdit d’Interdire- RT): https://francais.rt.com/magazines/interdit-d-interdire/59347-interdit-dinterdire-culture-numero-38
    A écouter si vous l’avez raté 🙂

      +2

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  • Myrkur34 // 03.06.2019 à 10h34

    Revenir au début de l’histoire, les biens américains nationalisés en 1959, quand on pense comment ils ont été obtenus….Juste par une bonne petite guerre pour expulser les colonisateurs espagnols du coin en 1898 et …..prendre leur place dans tout le domaine économique et politique avec des politiciens fantoches et corrompus jusqu’à la moelle. Et il est de notoriété publique que Cuba est devenu le lupanar des américains pendant la prohibition aux states. On peut rajouter les casinos tenus par la Mafia à l’époque. Vous me direz que l’on n’a pas fait mieux en faisant payer à Haïti sa dette pour dédommager les planteurs français de canne à sucre avec l’abolition de l’esclavage, la perte des terres.
    Quand es ce que l’on sort de l’Otan et qu’on rapatrie notre ambassadeur juste sur les dernières déclarations de Trump sur le brexit? (Sortir sans restituer la caution de 50 milliards d’euros)
    Les chinois seront pas plus tendres mais c’est pas une raison et ils n’ont pas 600 bases militaires sur la surface la planète, eux, de plus ils n’envahissent personne militairement.

      +5

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