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8.juillet.20228.7.2022 // Les Crises

Pendant que la FED détruit les emplois et les salaires, les PDG profitent de l’inflation

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La Fed s’est lancée dans une politique anti-inflationniste destinée à détruire les emplois et à maintenir les salaires à un bas niveau. Mais un nouveau rapport montre à quel point les PDG profitent exorbitamment des hausses de prix.

Source : Jacobin Mag, Branko Marcetic
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Le gouffre salarial déjà massif entre PDG et travailleurs n’a fait que se creuser au cours de l’année 2021. (Alexander Mils / Unsplash)

Alors que la guerre imminente contre les salaires des travailleurs prend de l’ampleur, on parle relativement peu des salaires gargantuesques des dirigeants d’entreprise. C’est dommage, car un nouveau rapport suggère que ces rémunérations ont atteint de nouveaux niveaux, toujours plus élevés, alors même que les salaires des travailleurs stagnent.

Le rapport de l’Institute for Policy Studies (IPS) est le dernier de la série annuelle de rapports Executive Excess de l’organisation. Cette fois-ci, il examine la rémunération des PDG de trois cents entreprises américaines publiques qui ont enregistré les salaires médians les plus bas en 2020. Ce que l’IPS a découvert est aussi déprimant que peu surprenant : le gouffre salarial entre les PDG et les travailleurs, déjà énorme, n’a fait que s’élargir au cours de l’année 2021, et la rémunération des travailleurs dans de nombreuses entreprises a pris du retard par rapport à l’inflation, même si les bénéfices des entreprises se sont transformés en millions de dollars supplémentaires pour leurs dirigeants.

Selon le rapport, la rémunération des PDG de ces entreprises à bas salaires a augmenté de 31 % pour atteindre une moyenne de 10,6 millions de dollars, ce qui a porté le ratio moyen entre le salaire du PDG et celui de l’employé moyen à 670 pour 1, soit une nette augmentation par rapport à l’écart de 604 pour 1 enregistré en 2020. Quarante-neuf de ces entreprises ont même enregistré des écarts de rémunération atteignant le chiffre stupéfiant de 1 000 pour 1.

Peu de lecteurs seront surpris d’apprendre qui est le pire contrevenant : Amazon, dont l’écart de rémunération entre le PDG et les employés a atteint le chiffre insondable de 11 062 % en 2020. Le PDG Andy Jassy, qui a succédé à Jeff Bezos en 2021, du moins nominalement – Bezos et Amazon ont clairement indiqué qu’il restait impliqué dans l’entreprise et qu’il lui confiait surtout des responsabilités quotidiennes – a fini par gagner 212,7 millions de dollars l’année dernière, soit 6 474 fois le salaire moyen d’un travailleur d’Amazon (32 855 dollars). Outre les efforts de démantèlement syndical menés par Jassy, dont la rémunération est exorbitante, les travailleurs d’Amazon doivent faire face à une surveillance intense du lieu de travail, à la discrimination et au harcèlement, ainsi qu’à des conditions de travail notoirement intenses qui les obligent à faire pipi dans des bouteilles ou à sauter les pauses toilettes.

Parmi les autres grands contrevenants figurent Abercrombie & Fitch, dont le PDG touche un salaire 3 282 fois supérieur à celui de son employé médian, le fabricant de jouets Mattel (2 705), le fournisseur de tabac Universal Corporation (2 683), Gap (2 485), la marque de chaussures Skechers (2 265) et McDonald’s (2 251).

Certaines entreprises en particulier ont vu l’écart de rémunération entre leurs PDG et leurs employés se creuser de façon astronomique au cours de l’année 2020, comme l’entreprise de services de paiement numérique FleetCor Technologies (augmentation de 3 595 % de l’écart de rémunération entre PDG et employés), le détaillant de vêtements Urban Outfitters (3 400 %), l’exploitant de casinos et d’hippodromes Penn National Gaming (1 145 %), la multinationale d’électronique Methode (1 096 %) et l’exploitant de salons de coiffure Regis Corporation (969 %). Jay Snowden, le PDG de Penn National Gaming, qui prévoit de devenir propriétaire de Barstool Sports l’année prochaine, a touché le troisième plus gros salaire de tous les PDG couverts par le rapport, avec 65,9 millions de dollars.

Dans le même temps, 106 (35 %) de ces 300 entreprises à bas salaires versaient à leurs employés un salaire médian inférieur au taux d’inflation américain moyen de 4,7 % sur 2021, indique le rapport. En fait, soixante-neuf de ces entreprises ont vu la rémunération de leurs travailleurs diminuer.

Ce n’est pas que ces entreprises n’avaient pas les moyens de mieux rémunérer leurs travailleurs alors que l’inflation s’envolait. Comme le souligne le rapport, sur les 106 entreprises où le salaire médian des travailleurs n’a pas suivi l’inflation, 67 ont dépensé un total de 43,7 milliards de dollars en rachats d’actions pour gonfler le salaire en actions de leurs PDG. Selon le rapport, Lowe’s, Target et Best Buy, par exemple, auraient pu accorder à tous leurs employés une augmentation de 40 000, 16 000 et 32 270 dollars respectivement, s’ils avaient consacré à leur personnel les milliards qu’ils ont gaspillés en rachats d’actions.

Les conclusions du rapport interviennent dans le cadre d’un débat national sur l’inflation qui n’a cessé de souligner l’impact de la hausse des salaires des travailleurs et des politiques gouvernementales qui mettent de l’argent dans la poche des gens ordinaires. Dans le même temps, l’idée que les prix abusifs pratiqués par les entreprises ont joué un certain rôle a été qualifiée par certains de « théorie du complot. »

Bien sûr, le plus grand risque d’inflation supplémentaire provient des chocs d’approvisionnement causés d’abord par la pandémie et maintenant par l’invasion de l’Ukraine par Moscou et les sanctions occidentales qui en découlent. Mais l’impulsion a également été donnée par des hausses de prix opportunistes de la part d’entreprises avides de profits qui profitent de la large sensibilisation du public à l’inflation pour faire passer en douce des hausses de prix supplémentaires. Une enquête récente du Guardian, basée sur les documents déposés auprès de la Securities and Exchange Commission (SEC) et les appels des investisseurs pour une centaine de sociétés américaines, a révélé que les dirigeants divulguaient qu’ils engrangeaient des gains massifs, les bénéfices dépassant largement l’inflation, et admettaient ouvertement que leurs augmentations de prix dépassaient les coûts inflationnistes.

Pendant ce temps, la Réserve fédérale se lance dans une série de hausses des taux d’intérêt qui provoqueront au minimum des pertes d’emplois et au pire une stagflation et une récession. La principale cible de ces hausses de taux est ce que le président de la Fed, Jerome Powell, a appelé « un marché du travail extraordinairement fort », qui a donné aux travailleurs la possibilité d’obtenir les salaires plus élevés qui, selon MPowell, sont à l’origine de la hausse vertigineuse des prix.

Powell a déclaré que sa stratégie de lutte contre l’inflation impliquerait « une certaine douleur » et a déclaré, lors d’une conférence de presse en mai, qu’il était convaincu de la nécessité d’étouffer la croissance des salaires et que « nous ne pouvions pas laisser se produire une spirale salaires-prix ». En raison d’un déséquilibre entre l’offre et la demande sur le marché du travail, « les salaires sont à leur niveau le plus élevé depuis plusieurs décennies », a-t-il expliqué, et les politiques de la Fed permettraient de « poursuivre la guérison du marché du travail » pour les ramener « à l’équilibre. » La « guérison » à laquelle Powell fait référence par euphémisme signifie en réalité l’effacement des opportunités d’emploi, ce qui érodera le pouvoir de négociation des travailleurs et les rendra plus disposés à accepter des emplois aux conditions de travail inférieures à la norme, y compris les bas salaires.

Pendant que tout cela se produit, le rapport de l’IPS nous rappelle que les prix abusifs et les salaires extravagants des dirigeants d’entreprise sont commodément ignorés dans le débat sur l’inflation et l’échec apparemment délibéré du gouvernement à s’y attaquer. Le rapport note que l’administration de Joe Biden a traîné les pieds pour utiliser le pouvoir de passation de marchés du gouvernement fédéral afin de s’attaquer aux écarts de rémunération croissants entre les PDG et les travailleurs, ce qu’elle pourrait facilement faire : 119 (40 %) des 300 entreprises examinées ont obtenu des contrats fédéraux entre octobre 2019 et mai 2022, pour un montant de 37,2 milliards de dollars, une somme massive qui pourrait être utilisée pour forcer les entreprises qui jouent des coudes pour obtenir une place à l’auge à mettre en place des pratiques salariales plus équitables.

Il semble que nous soyons sur la voie irréversible d’une répétition des chocs économiques désastreux des années 1970 et du début des années 1980, tout cela dans le but de supprimer les maigres avancées que les travailleurs à bas salaires ont pu voir dans leurs chèques de salaire ces deux dernières années. Et pendant ce temps, les profiteurs des entreprises qui nous volent sans vergogne se moquent éperdument de nous.

Contributeurs

Branko Marcetic est un des rédacteurs de Jacobin, il est aussi l’auteur de Yesterday’s Man : The Case Against Joe Biden (L’homme du passé, le dossier contre Joe Biden, NdT). Il vit à Chicago, dans l’Illinois.

Source : Jacobin Mag, Branko Marcetic, 10-06-2022

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Commentaire recommandé

Lev // 08.07.2022 à 07h17

Rien à rajouter. Tu remplaces le nom de Jérôme Powell par celui de Bruno Lemaire et tu comprends ce qui se prépare en France, chaudement encouragée par l’Union européenne

12 réactions et commentaires

  • Lev // 08.07.2022 à 07h17

    Rien à rajouter. Tu remplaces le nom de Jérôme Powell par celui de Bruno Lemaire et tu comprends ce qui se prépare en France, chaudement encouragée par l’Union européenne

      +32

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  • John V. Doe // 08.07.2022 à 07h26

    Les dividendes versés au actionnaires s’envolent en même temps que les salaires des dirigeants de nombre d’entreprises. Il est donc logique d’exiger un alignement des salaires des travailleurs sur ceux-ci. Ce serait la meilleure méthode aligner nos revenus avec l’inflation qui est en train de s’emballer, non ?
    Et je ne suis même pas sûr que ce soit encore de l’humour.

      +7

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    • Rémi // 08.07.2022 à 13h15

      Les pauvres c’est fait pour êtres trés pauvres (Sinon ils refuseraient de se soumettre) et les riches trés riches. Pour pouvoir acheter beaucoup de travail /Prestations de pauvres.
      Que n’avez vous pas compris là dedans?
      L’objectif est de revennir à l’organisation sociale du XIX ème siécle. C’est une guerre pas un choix comptable.

        +16

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      • Benzo Diap // 13.07.2022 à 11h23

        Il y a quelques années, j’étais tombé sur une conférence à HEC dans le titre était : « pour un catastrophisme éclairé ». Elle est peut-être encore disponible sur YouTube.
        Au constat radical, dans le bon sens du terme, que vous faites, s’ajoute la perspective incontournable d’événements plus ou moins catastrophiques.
        Ma modeste interprétation est que les « ultrariches » ont intégré cette inéluctabilité. Dans les décennies précédentes, lâcher un peu de lest sur les revendications sociales revenait tout simplement à payer pour éviter provisoirement le combat.
        La caste actuelle a réuni tellement de levier de pouvoirs, tellement de moyens, que nous voilà dans une situation unique dans l’histoire. La caste est à peu près certaine de remporter le combat qui s’annonce. La politique de la FED, celle de la BCE, le traitement sécuritaire des gilets jaunes, montrent à mon humble avis que la caste ne cherche plus à éviter la guerre. Les premiers préparatifs remontent en gros aux années 60. Depuis le milieu des années 2000, ils font boule de neige. Ainsi que vous le mentionnez, leur guerre a déjà commencé.
        Il serait fort surprenant dans l’état actuel de nos défenses que leur victoire ne soit autre chose qu’écrasante.

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  • Fabrice // 08.07.2022 à 08h17

    Il est clair que la règle que s’imposaient les chefs d’entreprise de ne pas toucher plus de 30 fois le salaire médians a explosé et tout le mérite ne peut expliquer de toucher plus de 1000 fois celui-ci, surtout quand des réductions dans les salaires (primes,…) et effectifs sont imposés dans l’entreprise surtout quand le pdg n’est au final qu’un salarié.

    Pour les dividendes je trouve que ceux ci devraient plus intervenir sur un actionnaire qui a investis depuis longtemps et que ce niveau de dividendes soit proportionnelle à cette période.

      +10

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  • calal // 08.07.2022 à 09h53

    Il faut consommer moins et substituer plus.
    [modéré]
    Donc fixez vous un prix pour un objet que vous achetez et quand ce prix est depasse soit vous arretez d’acheter et d’utiliser cela soit vous le remplacez par autre chose qui reste dans votre budget.
    Si les gens arretent d’acheter, les prix cesseront de monter…
    Dites non a vos gosses,dites non a votre copine ou a votre femme…

    de l’inflation on peut rapidement passer a la deflation si suffisamment d’entreprises font faillite: et des entreprises qui vendent de la merde et dont on se passerait bien, y en a des tonnes…

      +5

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    • Dominique65 // 08.07.2022 à 15h10

      Désolé, calal, mais ça ne marchera pas, ton idée. Si tu plafonne le prix d’achat, tout ce que tu obtiendras, c’est un produit au rabais ou une main-d’œuvre encore plus exploitée.
      Une solution serait peut-être de remplacer les entreprises appartenant à des actionnaires externes par des Scop, mais le système les accepte mal. Par exemple, la plus grande Scop du monde est aussi l’entreprise la plus boycottée. Je parle de Huawei.
      Cordialement.

        +5

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      • ouvrierpcf // 08.07.2022 à 17h54

        Oui en Chine on coopère au sommet comme en bas de l’échelle nota 12 milliardaires sont encore en prison

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  • Zorglub // 08.07.2022 à 10h09

    « …on parle relativement peu des salaires gargantuesques des dirigeants d’entreprise. »
    SI si , en France la nupes , le machin de gauche en a parlé avant les législatives et continue à en en parler abondamment ; mais avant que ça fasse tilt dans la tête du plus grand nombre …
    Rien n’arrêtera ou seulement ne ralentira ce mouvement SAUF LA RUE ; rendez-vous à la rentrée .

      +16

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  • patoche // 08.07.2022 à 11h44

    @Zorglub
    « mais avant que ça fasse tilt dans la tête du plus grand nombre … »

    Ça fait déjà tilt dans la tête d’un petit nombre très motivé:

    https://www.youtube.com/watch?v=arnvgEoMHwY

      +2

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  • Hiro Masamune // 08.07.2022 à 12h35

    Il y a en plus un double effet kiss-kool : le dollar monte par rapport à toutes les monnaies (sauf le rouble), pour un pays majoritairement importateur ça devrait mécaniquement juguler l’inflation non ? Bah non …

      +5

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  • Christian Gedeon // 10.07.2022 à 13h28

    Vaste sujet. Très porteur parce qu’il permet d’exprimer de vertueuses indignations. Est il toutefois possible de rappeler qu’il s’agit là d’entreprises privées? Purement privées? Un contrôle serait possible et souhaitable dans toutes les majors ou l’état joue un rôle. Impossible dans les entreprises strictement privées.

      +0

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