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29.octobre.202029.10.2020 // Les Crises

Suède : La réponse face à la Covid-19 est un échec cuisant, un anti-modèle pour le reste du monde

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Nous vous proposons aujourd’hui un article détaillant la situation en Suède, qui est au centre de beaucoup de conversations.

Nous la complétons à la fin de ce billet par une rapide analyse graphique de la situation.

Source : Time, Andrew Ewing
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Kelly Bjorklund est écrivain et militant des droits humains, il travaille depuis deux décennies dans le domaines des politiques publiques et la défense des droits conjointement avec des élus, la société civile et les médias. Andrew Ewing est professeur de biologie moléculaire et de chimie à l’université de Göteborg, il est membre de l’Académie suédoise des sciences.

L’expérience suédoise face à la COVID-19, qui consiste à ne pas recourir à des mesures immédiates et énergiques pour protéger la population, a été vivement débattue dans le monde entier, mais à ce stade, nous pouvons prédire qu’elle aboutira presque certainement à un échec cuisant en termes de décès et de souffrances.

Au 13 octobre, le taux de mortalité par habitant en Suède est de 58,4 pour 100 000 personnes, selon les données de l’université Johns Hopkins, soit le douzième plus élevé au monde (hors les minuscules Andorre et Saint-Marin). Mais peut-être encore plus frappantes, les conclusions d’une étude publiée le 12 octobre dans le Journal of the American Medical Association, qui souligne que, parmi les pays étudiés par les chercheurs, à eux deux, la Suède et les États-Unis constituent une catégorie : ce sont les seuls pays ayant un taux de mortalité global élevé qui n’ont pas réussi à réduire rapidement ces chiffres à mesure que la pandémie progressait.

Comparaison entre le taux de mortalité du à la COVID-19 de la Suède et celui d’autres grands pays riches
Décès pour 100 000 personnes (données du 13 octobre)
Graphique : Elijah Wolfson pour TIME Source : JHU CSSE, Banque mondiale Get the data créées avec Datawrapper

Pourtant, les concepteurs du plan suédois le vendent comme un succès au reste du monde. Et les responsables d’autres pays, y compris au plus haut niveau du gouvernement américain, parlent de la stratégie comme d’un exemple à suivre – en dépit du fait que cela augmentera presque certainement les taux de mortalité et de souffrance.

Les pays qui ont confiné très tôt et/ou qui ont eu recours à des tests et à un suivi intensifs, notamment le Danemark, la Finlande, la Norvège, la Corée du Sud, le Japon, Taïwan, le Vietnam et la Nouvelle-Zélande, ont sauvé des vies et limité les répercussions pour leur économie. Les pays qui ont confiné tardivement, qui sont sortis du confinement trop tôt, qui n’ont pas procédé à des tests et à une mise en quarantaine efficaces ou qui n’ont eu recours qu’à un confinement partiel – dont le Brésil, le Mexique, les Pays-Bas, le Pérou, l’Espagne, la Suède, les États-Unis et le Royaume-Uni – ont presque tous enregistré des taux de contamination et de mortalité plus élevés.

Nombre de cas quotidiens confirmés de COVID-19 en Suède
Graphique : Elijah Wolfson pour TIME Source : JHU CSSE Get the data créées avec Datawrapper

Malgré cela, le directeur de l’Agence suédoise de la santé publique, Johan Carlson, a affirmé que « la situation suédoise reste favorable » et que la réponse du pays a été « cohérente et pérenne ». Les données montrent cependant que le taux de cas en Suède, comme ailleurs en Europe, est actuellement en augmentation.

Taux de dépistage du coronavirus dans les pays nordiques très peuplés
Tests COVID-19 administrés pour 1 000 personnes (moyenne mobile de 7 jours)*
*Aucune donnée n’est disponible pour la Suède pour la période du 5 au 18 juillet
Graphique : Elijah Wolfson pour TIME Source : Our World in Data Get the data créées avec Datawrapper

Le nombre moyen de cas quotidiens a augmenté de 173 % à l’échelle nationale du 2-8 septembre jusqu’au 30 septembre-6 octobre et à Stockholm, ce nombre a augmenté de 405 % pour cette même période. Bien que certains affirment que l’augmentation du nombre de cas peut être attribuée à l’augmentation des tests, une étude récente sur les eaux usées de Stockholm publiée le 5 octobre par l’Institut royal suédois de technologie (KTH) affirme le contraire.

Une concentration accrue du virus dans les eaux usées, écrivent les chercheurs du KTH, montre une augmentation du virus dans la population de la région du grand Stockholm (où vit une grande partie de la population du pays) d’une manière qui est totalement indépendante des tests. Pourtant, même avec cette augmentation du nombre de cas, le gouvernement assouplit les quelques restrictions qu’il avait mises en place.

Dès le début, le gouvernement suédois a semblé considérer qu’il était acquis que de nombreuses personnes allaient mourir. Le 3 avril, le Premier ministre Stefan Löfven a déclaré au journal suédois Dagens Nyheter : « Il nous faudra compter les morts par milliers. Il est préférable que nous nous y préparions ». En juillet, alors que le nombre de morts atteignait 5 500, Löfven a déclaré que « la stratégie est la bonne, j’en suis totalement convaincu ».

En septembre, le Dr Anders Tegnell, l’épidémiologiste de l’Agence de santé publique chargé de la réponse du pays à la COVID-19, a réitéré la ligne du parti selon laquelle un nombre croissant de décès ne signifie pas que « la stratégie elle-même a mal tourné ». Il y a eu un manque de communication écrite entre le Premier ministre et l’Autorité de santé publique : lorsque les auteurs ont demandé tous les courriels et documents entre le bureau du Premier ministre et l’Autorité de santé publique pour la période du 1er janvier au 14 septembre, le greffier du Premier ministre a répondu le 17 septembre qu’il n’y en avait pas.

Malgré l’insistance de l’Agence de santé publique à affirmer le contraire, il est largement admis que le cœur de cette stratégie consistait à construire une « immunité collective » de façon naturelle – essentiellement, en laissant suffisamment de membres d’une population (le groupe) être infectés, se rétablir, puis développer une réponse du système immunitaire au virus pour qu’il cesse finalement de se propager.

Tant l’agence que le Premier ministre Löfven ont qualifié cette approche de recommandations fondées sur la confiance et le « bon sens », plutôt que de mesures sévères, telles que des mesures de confinement, qui, selon eux, ne sont pas viables sur une longue période, et que l’immunité collective n’était qu’un effet secondaire souhaitable. Cependant, les communications internes du gouvernement indiquent le contraire.

Les courriels obtenus par l’un des auteurs grâce aux lois sur la liberté d’information (appelées offentlighetsprincipen, ou « principe de transparence », en suédois) entre les agences gouvernementales nationales et régionales, y compris l’Autorité suédoise de santé publique, ainsi que ceux obtenus par d’autres journalistes, prouvent que l’objectif était en fait depuis le début de développer l’immunité collective.

Nous avons également reçu des informations de sources qui ont fait des demandes similaires ou qui ont correspondu directement avec des agences gouvernementales qui soutiennent cette conclusion. Dans un souci de transparence, nous avons créé un site web où nous avons mis en ligne certains de ces documents.

Un exemple montrant clairement que les responsables gouvernementaux avaient pensé dès le début à l’immunité de groupe est un courriel envoyé par un médecin à la retraite le 15 mars à Tegnell , l’épidémiologiste et concepteur du plan suédois, qu’il a transmis à son homologue finlandais, Mika Salminen. Dans ce courrier, le médecin à la retraite recommande de laisser les personnes en bonne santé être infectées dans des environnements contrôlés comme étant un moyen de combattre l’épidémie. « Un des éléments serait de garder les écoles ouvertes pour atteindre l’immunité collective plus rapidement », a noté Tegnell en haut du courriel transmis.

Salminen a répondu que l’Agence finlandaise de la santé avait envisagé cette possibilité, mais qu’elle s’était inscrite en contre, car « avec le temps, les enfants vont continuer de transmettre l’infection à d’autres groupes d’âge ». En outre, le modèle finlandais a montré que la fermeture des écoles réduirait de 10% « le taux d’attaque de la maladie sur les personnes âgées ». Tegnell a répondu : « 10 %, ça pourrait valoir le coup ? »

La majorité des autres décideurs politiques suédois semblent avoir approuvé : le pays n’a jamais fermé de garderie ou d’école pour les enfants de moins de 16 ans, et la fréquentation scolaire est obligatoire en vertu de la loi suédoise, sans possibilité d’apprentissage à distance ou d’enseignement à domicile, même pour les familles dont des membres appartiennent à des groupes à haut risque. Les décideurs politiques ont finalement décidé de se servir des enfants et des écoles dans une expérience pour voir si l’immunité collective face à une maladie mortelle pouvait être obtenue. De multiples foyers se sont déclarés dans les écoles tant au printemps qu’à l’automne.

À ce stade, la question de savoir si l’immunité collective était le « but » ou un « sous-produit » du plan suédois est d’ordre sémantique, car ça n’a tout simplement pas fonctionné. En avril, l’Agence de santé publique a prédit que pour mai, 40 % de la population de Stockholm serait atteinte de la maladie et acquerrait des anticorps protecteurs. Selon les propres études de l’agence sur les anticorps publiées le 3 septembre concernant des échantillons prélevés jusqu’à la fin juin, le chiffre réel des tests aléatoires d’anticorps n’est que de 11,4 % pour Stockholm, 6,3 % pour Göteborg et 7,1 % pour toute la Suède.

À mi-août, l’immunité de groupe n’était encore « nulle part en vue », selon une étude du Journal of the Royal Society of Medicine. Cela n’aurait pas dû être surprenant. Après tout, l’immunité collective contre une maladie infectieuse n’a jamais été atteinte sans un vaccin.

Löfven, son gouvernement et l’Agence de santé publique affirment tous que le taux élevé de décès par COVID-19 en Suède peut être attribué au fait qu’une grande partie de ces décès se sont produits dans des maisons de retraite, en raison des lacunes dans les soins aux personnes âgées.

Cependant, le taux d’infection élevé dans tout le pays est le facteur sous-jacent qui a conduit à un nombre élevé de personnes infectées dans les maisons de retraite. Nombre de personnes âgées malades n’ont pas été vues par un médecin parce que les hôpitaux du pays ont mis en place un système de triage qui, selon une étude publiée le 1er juillet dans la revue Clinical Infectious Diseases, semblait tenir compte de l’âge et du pronostic éventuel.

« Cela a probablement réduit la charge de travail [des unités de soins intensifs] au détriment des patients à haut risque, comme les personnes âgées dont l’infection a été confirmée et qui sont décédées en dehors de l’unité de soins intensifs ». Seulement 13% des résidents âgés qui sont morts de la COVID-19 au printemps avaient reçu des soins hospitaliers, selon les statistiques préliminaires du Conseil national de la santé et du bien-être publiées en août.

Dans un cas qui semble représentatif de la manière dont les personnes âgées ont été traitées, le patient Reza Sedghi n’a pas été vu par un médecin le jour de son décès dû à la COVID-19 dans une maison de retraite de Stockholm. Une infirmière a dit à la fille de Sedghi, Lili Perspolisi, que son père avait reçu une injection de morphine avant sa mort, qu’il n’avait pas reçu d’oxygène et que le personnel n’avait pas appelé d’ambulance. « Il n’y avait personne et il est mort seul », dit Perspolisi.

Pour être admis à l’hôpital, les patients devaient avoir des problèmes respiratoires et même dans ce cas, beaucoup se seraient vu refuser des soins. Les directeurs régionaux des soins de santé dans chacune des 21 régions de Suède, qui sont responsables des soins dans les hôpitaux ainsi que de la mise en œuvre des directives de l’Agence de santé publique, ont affirmé qu’aucun patient ne s’est vu refuser des soins pendant la pandémie.

Mais des documents internes des autorités locales d’avril de certaines régions de Suède – y compris celles qui couvrent les plus grandes villes de Stockholm, Göteborg et Malmö – montrent également que, dans certains cas, des directives concernant la manière dont certains patients, notamment ceux qui reçoivent des soins à domicile, ceux qui vivent dans des maisons de soins et des EHPAD, et ceux qui ont des besoins particuliers, n’ont pas pu recevoir d’oxygène ou être hospitalisés.

Dagens Nyheter a publié le 13 octobre une enquête montrant que des patients à Stockholm se sont vu refuser des soins en raison de ces directives. En outre, une enquête menée en septembre par Sveriges Radio, le radiodiffuseur public national suédois, a révélé que plus de 100 personnes ont signalé à l’inspection suédoise de la santé et des soins que leurs proches atteints de COVID-19 n’ont pas reçu d’oxygène ou de substances nutritives ou qu’ils n’ont pas été autorisés à se rendre à l’hôpital.

Ces questions ne concernent pas seulement les personnes âgées ou celles qui ont eu la COVID-19. Les directives du Conseil national de la santé et de la protection sociale concernant les soins intensifs dans des circonstances extraordinaires dans toute la Suède stipulent que la priorité doit être accordée aux patients en fonction de leur âge biologique et non chronologique. Sörmlands Media, dans une enquête publiée le 13 mai, a cité plusieurs sources disant que, dans de nombreuses régions du pays, le système de soins de santé fonctionnait déjà d’une manière telle que les gens se voyaient refuser le type de soins hospitaliers qu’ils auraient reçus en temps normal.

Les agences régionales de santé ont utilisé une échelle de fragilité clinique, un outil d’évaluation conçu pour prédire le besoin de soins dans une maison de soins ou un hôpital, et l’espérance de vie des personnes âgées en estimant leur fragilité, afin de déterminer si quelqu’un devrait recevoir des soins hospitaliers et ce protocole a été appliqué aux décisions concernant toutes sortes de traitements, et pas seulement pour la COVID-19. Ces lignes directrices ont conduit à ce que de nombreuses personnes ayant des besoins de soins de santé sans rapport avec la COVID-19 ne reçoivent pas les soins dont elles avaient besoin, et certaines sont même mortes à la suite de la stratégie suédoise vis-à-vis de la COVID-19.

Le Dr Michael Broomé, médecin en chef de l’unité de soins intensifs de l’hôpital Karolinska de Stockholm, affirme que la charge de travail de son service a triplé au printemps. Son personnel, dit-il, « s’est souvent senti impuissant et inadapté. Nous avons perdu plusieurs jeunes patients, auparavant en bonne santé, atteints de formes particulièrement graves. Nous avons également été contraints à plusieurs reprises de dire non à des patients que nous aurions normalement acceptés, faute de personnel expérimenté, d’installations et d’équipements appropriés. »

En juin, Dagens Nyheter a rapporté l’histoire d’un cas montrant à quel point un tel scénario peut être désastreux. Yanina Lucero avait été malade pendant plusieurs semaines en mars avec de graves problèmes respiratoires, de la fièvre et de la diarrhée. Pourtant, les tests COVID-19 n’étaient pas disponibles à l’époque, sauf pour les personnes revenant de zones à haut risque et présentant des symptômes, celles admises à l’hôpital et celles travaillant dans le secteur de la santé. Yanina n’avait que 39 ans et ne souffrait d’aucune maladie sous-jacente.

Son mari Cristian l’a amenée dans un hôpital anonymisé de Stockholm, mais on lui a dit que l’hôpital était plein et on l’a renvoyée chez elle, où la santé de Lucero s’est détériorée. Après plusieurs jours où elle pouvait à peine marcher, une ambulance est venue et Lucero a été conduite à l’hôpital de Huddinge, où elle a été mise sous sédatif et sous assistance respiratoire. Elle est morte le 15 avril sans avoir subi de test COVID-19 à l’hôpital.

La Suède a de fait essayé certaines choses pour protéger les citoyens de la pandémie. Le 12 mars, le gouvernement a limité les rassemblements publics à 500 personnes et le jour suivant, l’Agence de santé publique a publié un communiqué de presse disant aux personnes présentant d’éventuels symptômes de COVID-19 de rester chez elles. Le 17 mars, l’Agence de santé publique a demandé aux employeurs de la région de Stockholm de laisser les employés travailler à domicile s’ils le pouvaient. Le 29 mars, le gouvernement est allé plus loin limitant les rassemblements publics à 50 personnes.

Pourtant, il n’y a pas eu de recommandations concernant les événements privés et la limite de 50 personnes ne s’applique pas aux écoles, bibliothèques, événements d’entreprise, piscines, centres commerciaux et bien d’autres situations. À partir du 1er avril, le gouvernement a limité les visites aux maisons de retraite (qui ont rouvert aux visiteurs le 1er octobre sans recommandation de port de masques pour les visiteurs ou le personnel).

Mais toutes ces recommandations sont arrivées plus tard que dans les autres pays nordiques. Dans l’intervalle, les institutions ont été contraintes de prendre leurs propres décisions ; certaines écoles secondaires et universités sont passées à l’enseignement en ligne et les restaurants et bars ont adopté des sièges à distance, et certaines entreprises ont instauré des règles concernant le port de masques sur site et l’incitation des employés à télé travailler.

Pendant ce temps, la Suède n’a pas mis en place les capacités de test et de recherche de contacts que d’autres pays européens riches ont mis en place. Jusqu’à fin mai (et de nouveau en août), la Suède a testé le cinquième de ce qu’a testé le Danemark et moins que la Norvège et la Finlande ; la Suède a souvent eu l’un des taux de test les plus faibles d’Europe. Même en augmentant le nombre de tests à l’automne, la Suède ne teste toujours qu’environ un quart de ce qui est fait au Danemark.

La Suède n’a jamais mis en quarantaine les personnes arrivant de zones à haut risque à l’étranger et n’a pas non plus fermé la plupart des entreprises, y compris les restaurants et les bars. Les membres de la famille d’une personne dont le test COVID-19 est positif doivent aller à l’école, contrairement à ce qui est la règle dans de nombreux autres pays où si une personne d’un ménage est testée positive, toute la famille est mise en quarantaine, généralement pendant 14 jours. Les employés doivent également se présenter au travail comme d’habitude, sauf s’ils présentent également des symptômes de COVID-19, s’ils ont un accord avec leur employeur pour un congé ou si un médecin leur recommande de s’isoler à la maison.

Le 1er octobre, l’Autorité de santé publique a publié des « règles de conduite » non contraignantes qui permettent aux médecins de recommander à certains individus de rester chez eux pendant sept jours si un membre du ménage est testé positif à la COVID-19. Mais ces règles présentent des lacunes importantes : elles ne s’appliquent pas aux enfants (de tous âges, de la naissance à 16 ans, l’année où l’on commence l’école secondaire), aux personnes du ménage qui ont déjà eu un test PCR ou un test d’anticorps positif ou aux personnes exerçant une profession importante sur le plan social, comme le personnel de santé (dans certaines circonstances).

Il n’y a pas non plus de date pour l’entrée en vigueur de la règle. « Cela n’arrivera peut-être pas tout de suite, Stockholm sera rapidement concerné mais certaines régions auront peut-être besoin de plus de temps pour tout mettre en place », a déclaré Tegnell lors d’une conférence de presse le 1er octobre. En attendant, selon les directives actuelles de l’Agence de santé publique publiées le 15 mai et toujours en vigueur, les personnes dont le test COVID-19 est positif doivent se présenter au travail et à l’école si elles ont des symptômes légers pourvu qu’ils datent d’au moins 7 jours et qu’elles n’aient pas de fièvre depuis 48 heures.

La Suède recommande en fait de ne pas porter de masque partout, sauf dans les endroits où les travailleurs de la santé traitent des patients COVID-19 (certaines régions étendent cette recommandation aux travailleurs de la santé qui traitent également des patients suspects). Les épidémies de corona d’automne dans les hôpitaux de Dalécarlie, Jönköping, Luleå, Malmö, Stockholm et Uppsala affectent tant le personnel hospitalier que les patients.

Dans un courriel du 5 avril, Tegnell a écrit à Mike Catchpole, le responsable scientifique du Centre européen de contrôle et de prévention des maladies (ECDC) : « Nous sommes très inquiets de la déclaration que l’ECDC a préparée sur les masques ». Tegnell a joint un document dans lequel il exprime son inquiétude quant au fait que la recommandation de l’ECDC sur les masques « impliquerait que la propagation se fait par voie aérienne, ce qui nuirait gravement à la communication et à la confiance entre la population et les travailleurs de la santé » et conclut « nous souhaitons mettre en garde contre la publication de cet avis ». Malgré cela, le 8 avril, l’ECDC a recommandé les masques et le 8 juin, l’Organisation mondiale de la santé a actualisé sa position en recommandant les masques.

Les officiels du gouvernement suédois sont restés fidèles à la ligne de leur parti. Karin Tegmark Wisell, de l’Agence de santé publique, a déclaré lors d’une conférence de presse le 14 juillet que « nous voyons dans le monde entier que les masques sont utilisés de telle manière que vous augmentez plutôt la propagation de l’infection ». Deux semaines plus tard, Lena Hallengren, la ministre de la santé et des affaires sociales, a parlé des masques lors d’une conférence de presse le 29 juillet et a déclaré : « Nous n’avons pas cette tradition ou cette culture » et que le gouvernement « ne réexaminerait pas la décision de l’Agence de santé publique de ne pas recommander les masques. »

Tout cela crée une situation qui laisse les enseignants, les chauffeurs de bus, les travailleurs médicaux et le personnel des maisons de soins plus exposés, sans masque facial à un moment où le reste du monde approuve clairement le port généralisé des masques.

Le 13 août, Tegnell a déclaré que pour recommander des masques au public, « il faut beaucoup de ressources. Il y a beaucoup d’argent qui serait dépensé si vous deviez avoir des masques ». En effet, les courriels entre Tegnell et ses collègues de l’Agence de santé publique et Andreas Johansson du ministère de la santé et des affaires sociales montrent que les préoccupations politiques de l’autorité sanitaire ont été influencées par des intérêts financiers, y compris les préoccupations commerciales des aéroports suédois.

Swedavia, le propriétaire du plus grand aéroport du pays, Stockholm Arlanda, a déclaré aux employés qu’au printemps et au début de l’été, ils ne pouvaient pas porter de masque ou de gants pour travailler. Un employé a déclaré au journal Upsala Nya Tidning le 24 août : « Beaucoup d’entre nous ont été malades au début de la pandémie et deux collègues sont morts à cause du virus. J’estime que 60 à 80 % du personnel des contrôles de sécurité ont été infectés. »

« Nos représentants syndicaux se sont battus pour que nous ayons des masques au travail », a déclaré l’employé, « mais la réponse de l’aéroport a été que nous étions une autorité qui ne répandrait pas la peur, mais que nous montrerions que le virus n’était pas si dangereux ». La réponse de Swedavia a été qu’ils avaient mis en place les mesures de contrôle de l’infection recommandées par les autorités. Le 1er juillet, la compagnie a changé sa politique, recommandant le port de masques pour toutes les personnes venant à Arlanda – ce qui, selon un porte-parole de Swedavia, n’était pas le résultat d’une « mesure de contrôle de l’infection préconisée par les autorités suédoises », mais plutôt d’une recommandation commune de l’Agence de la sécurité aérienne de l’Union européenne et de l’ECDC pour toute l’Europe.

Dès janvier, l’Agence de santé publique a mis en garde le gouvernement contre les coûts. Dans un communiqué du 31 janvier, le directeur de l’Agence de santé publique Johan Carlsson (nommé par Löfven) et l’avocate générale Bitte Bråstad ont écrit au ministère de la santé et des affaires sociales, mettant en garde le gouvernement sur les coûts liés à la classification de la COVID-19 comme maladie socialement dangereuse : « Après une décision de quarantaine, les coûts de celle-ci [comprennent] une indemnisation qui, selon la loi, doit être versée à ceux qui, en raison de la décision de quarantaine, doivent s’abstenir d’exercer un emploi rémunéré.

Les facteurs d’incertitude sont nombreux ne serait-ce que lors du calcul de ces coûts. La société peut également subir une perte de production en raison de la mise en quarantaine [et] de l’impossibilité d’exercer un emploi rémunéré qui aurait autrement été exercé ». La Suède n’a jamais mis en place de quarantaine dans la société, pas même pour les personnes qui reviennent d’un voyage à l’étranger ou les membres de la famille de ceux qui ont été testés positifs à la COVID-19.

Non seulement cette absence de mesures a probablement entraîné une augmentation des infections et des décès, mais elle n’a même pas aidé l’économie : la Suède a connu une situation économique pire que celle des autres pays nordiques tout au long de la pandémie.

La méthode suédoise n’a apporté que mort et souffrance. Et cette situation n’a pas été honnêtement décrite au peuple suédois ni au reste du monde.

Un rapport de l’Agence de santé publique publié le 7 juillet comprenait des données sur les enseignants des écoles primaires travaillant sur place ainsi que sur les enseignants du secondaire qui sont passés à l’enseignement à distance. Dans le rapport, ils ont fusionné les deux sources de données et ont comparé le résultat à celui de la population générale, affirmant que les enseignants ne couraient pas plus de risques et laissant entendre que les écoles étaient sûres. Mais en fait, le taux d’infection des personnes qui enseignent en classe était 60 % plus élevé que celui des personnes qui enseignent en ligne, ce qui va à l’encontre de la conclusion du rapport.

Des conteneurs frigorifiques utilisés comme morgues de fortune pour entreposer les personnes décédées à la suite de la COVID-19 mis en place derrière l’hôpital universitaire Karolinska à Huddinge, en Suède, le 26 mars 2020. IBL/Shutterstock

Le rapport compare également la Suède à la Finlande pour la période allant de mars à fin mai et conclut à tort que « la fermeture des écoles n’a pas eu d’effet mesurable sur le nombre de cas de COVID-19 chez les enfants ». Comme les tests chez les enfants en Suède étaient presque inexistants à cette époque par rapport à la Finlande, ces données ont été mal représentées ; une meilleure façon de voir les choses serait de considérer le fait qu’en Suède il y avait sept fois plus d’enfants par habitant dans les unités de soins intensifs pendant cette période.

Lorsqu’on lui a fait part des divergences dans le rapport, l’épidémiologiste de l’Agence de santé publique Jerker Jonsson a répondu le 21 août par e-mail : « Le titre est un peu trompeur. Il ne s’agit pas d’une comparaison directe de la situation en Finlande avec la situation en Suède. Il ne s’agit que d’un rapport et non d’une étude scientifique évaluée par des pairs. Il s’agit juste d’un rapport rapide sur la situation et rien de plus ». Cependant, l’Agence de santé publique et le ministre de l’éducation continuent de se référer à ce rapport pour justifier le maintien de l’ouverture des écoles, et cela sert d’exemple à d’autres pays.

Ce n’est pas le seul cas où les fonctionnaires suédois ont déformé les données afin de donner l’impression que la situation est mieux maîtrisée qu’elle ne l’est en réalité. En avril, un groupe de 22 scientifiques et médecins ont critiqué le gouvernement suédois pour les 105 décès par jour que le pays enregistrait à l’époque, Tegnell et l’Agence de santé publique ont répondu en disant que le vrai nombre était seulement de 60 décès par jour.

Les chiffres révisés du gouvernement montrent maintenant que Tegnell était dans l’erreur et que les critiques étaient justifiées. L’Agence de santé publique affirme que l’écart était dû à un retard dans la comptabilisation des décès, mais elle a cumulé les décès tout au long de la pandémie, ce qui rend difficile le suivi et l’évaluation du nombre de décès en temps réel.

La Suède n’est jamais entrée dans une phase de confinement officiel, mais on estime que 1,5 million de personnes se sont isolées, principalement des personnes âgées et des personnes appartenant à des groupes à risque. C’est probablement le facteur le plus important qui a permis de ralentir la propagation du virus dans le pays pendant l’été. Cependant, des données récentes indiquent que le nombre de cas augmente à nouveau dans le pays, et rien n’indique que les politiques gouvernementales vont s’adapter.

Les professionnels de la santé, les scientifiques et les citoyens ont tous exprimé leurs inquiétudes quant à l’approche suédoise. Mais la Suède est un petit pays, fier de son image humanitaire – à tel point que nous ne semblons pas comprendre quand nous l’avons bafouée. Il n’y a tout simplement aucun moyen de justifier l’ampleur des pertes en vies humaines, la détérioration de la santé et l’isolement à long terme des groupes à risque, surtout pas dans le but d’atteindre une immunité collective irréalisable. Les pays doivent faire preuve de prudence avant d’adopter la « méthode suédoise ». Elle pourrait avoir des conséquences tragiques pour cette pandémie ou la prochaine.

Source : Time, Andrew Ewing, 14-10-2020
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises


Commentaire

Comme on le voit, la situation est, comme souvent, bien plus complexe que les présentations manichéennes qui en sont faites. Ainsi, des actions ont bien été prises en Suède, avec interdiction des grands rassemblements, télétravail et consignes données à la population de limiter les contacts. Et pour mémoire, en France, le confinement n’a pas été absolu, une partie importante de la population ne pouvant télétravailler a, par exemple, continué à prendre les transports et à se rendre dans leur entreprise.

L’information cruciale de l’article est la suivante : « le chiffre réel des tests aléatoires d’anticorps n’est que de 11,4 % pour Stockholm, 6,3 % pour Göteborg et 7,1 % pour toute la Suède » (fin juin, la source est ici).

En France, l’Inserm l’a estimé (pour mai) à partir d’analyses sanguines à 4,5 % au niveau national et à 9 % pour Paris :

Ainsi, il y a eu à peine plus de contaminés à Stockholm qu’à Paris, la population s’étant donc auto-confiné, sans mesures très contraignantes.

Pour mémoire, dans une vraie situation de non confinement et maintien de la vie normale, le taux n’est pas de 10 % de contaminés, mais de près de 70 %, comme à Manaus au Brésil ou à Bergame en Italie, par exemple.

En conclusion, si, au final, les taux de mortalité ne sont pas si différents entre la Suède et la France, c’est simplement que les taux de contaminés y sont du même ordre, c’est-à-dire que les situations de confinement y ont été proches en pratique.

A contrario les autres pays scandinaves, ayant analysé les exemples français ou italiens, ont réagi bien plus tôt, et ont donc obtenu de bien meilleurs résultats.


En complément, nous vous proposons donc quelques graphiques sur la situation de la Suède par rapport aux pays comparables de Scandinavie.

Voici tout d’abord le nombre de cas testés positifs chaque jour :

Et voici le nombre cumulé de positifs :

Voici le nombre de décès quotidiens :

Et voici enfin le cumul des décès :

Voici l’impact de la crise sanitaire dans ces quatre pays :

Et voici enfin un graphique synthétisant ces informations :

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