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6.septembre.20166.9.2016 // Les Crises

Usages médiatiques d’une critique savante de « la théorie du complot », par Patrick Champagne et Henri Maler

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Très intéressant article, dans la ligne du jour…

Source : Agone, Patrick Champagne, Henri Maler, 24/01/2012

Il existe, il a toujours existé, des « complots » et des « comploteurs » ainsi que des sociétés secrètes et, plus banalement encore, des lobbies et des groupes de pression qui cherchent, de manière plus ou moins cachée, à peser sur les prises de décisions politiques. Mais il existe par ailleurs des gens pour qui le monde est entièrement gouverné par ce qu’ils pensent être autant de forces occultes qui tireraient les ficelles – et que tout s’expliquerait par là. Sous cette dernière forme, le conspirationnisme est moins une « théorie » qu’une vision de la société et de l’histoire qui mérite d’être critiquée, c’est-à-dire d’abord analysée et comprise.

Un média cultivé comme France Culture devrait être la station de radio tout indiquée pour aborder sérieusement la question des formes et des motifs des visions « conspirationnistes ». Mais France Culture n’est plus tout à fait France Culture : les polémiques en dessous de la ceinture qui se présentent comme des débats cultivés tendent à s’y multiplier ; les émissions sérieuses masquent des émissions qui le sont beaucoup moins. Par ­exemple « Les nouveaux chemins de la connaissance » de Raphaël Enthoven qui, le 18 décembre 2009, était justement consacrée à « la théorie du complot ». Il recevait, pour en parler, un directeur de recherche au CNRS, Pierre-André Taguieff, présenté comme un spécialiste de la question.

Pendant la première demi-heure de l’émission, encouragé par Enthoven, Taguieff tente de définir les propriétés de cette « théorie », qu’il présente, en dépit de quelques dénégations, comme un objet unitaire dont il suffirait de recenser les multiples facettes. Notre savant explique que cette prétendue théorie repose sur une vision conspirationniste du fonctionnement du monde. Elle reposerait sur des croyances naïves et acritiques propagées par des individus de mauvaise foi ; ses tenants raisonneraient en s’interrogeant exclusivement sur le fait de savoir « à qui profite le crime » ; ils multiplieraient les sophismes et les stéréotypes, pratiqueraient l’amalgame, recourraient au plagiat et n’hésiteraient pas à fabriquer des faux. Enfin, cette « théorie » s’appuierait sur une conception de l’histoire délirante, obsédée par la dénonciation de grands complots aussi chimériques qu’imaginaires, fomentés par les Juifs, les francs-maçons, des ploutocrates, etc.

La description est souvent juste. Mais, pour que tout puisse entrer dans ce qu’il faut bien appeler un fourre-tout, Taguieff concède que cette « théorie » présente quelques variétés et des degrés, qui vont du complot purement imaginaire, comme « celui qui avait été attribué aux judéo-lépreux en 1321 en Aquitaine, qui n’était fondé sur rien », aux prétendus complots qui se fondent « sur des éléments de réalité certes mésinterprétés ou surinterprétés mais où on peut discuter », comme c’est le cas de certaines dénonciations contemporaines. « Il y a, explique Taguieff, des théories du complot qui se fondent sur des éléments empiriques, sur des fragments de réel, et c’est la force des complotistes contemporains que de se fonder sur quelques contradictions dans les relations des faits. »

Jusque-là, on peut être d’accord avec Taguieff, au moins sur un point : conclure au « complot » chaque fois qu’on est confronté à une explication insuffisante revient, en effet, à donner libre cours à l’imagination. Mais Taguieff franchit un pas de plus en proposant d’appeler les modernes conspirationnistes des « dubitationnistes » (pas « négationnistes » précise-t-il au cas où l’auditeur n’aurait pas saisi les résonances) car, plus pervers, ils ne nient pas mais, bien que cela revienne au même, ils ne font apparemment que douter. « Leur discours, poursuit-il, c’est de dire : “Je m’interroge, je ne réponds pas mais il y a des choses troubles, il y a du mystère.” » Et Taguieff conclut en observant que, « à force de critiques, on détruit le réel ». Faut-il en conclure que tout doute sur une explication mène tout droit à l’invocation d’un complot imaginaire ? Taguieff tend, pour le moins, à le suggérer.

En fait, cette dénonciation de « la théorie du complot » généralise une description qui peut être exacte : elle amalgame des assertions ou des élucubrations de nature très différente et mélange des faits qui ne relèvent pas de logiques identiques. Mais surtout elle caricature et ridiculise des représentations sociales que notre savant dénonce en bloc plutôt que de les expliquer. On ne tarde pas, au cours de l’émission, à en comprendre la raison : si Pierre-André Taguieff construit ainsi, de bric et de broc, « la » théorie du complot – une théorie délirante pour demeurés, pour individus menteurs, stupides ou paranoïaques, et, réellement ou potentiellement, antisémites (puisque les Juifs sont souvent dénoncés comme des comploteurs), c’est pour s’en servir comme arme qui peut atteindre, sans autre argument que la calomnie péremptoire, n’importe quel adversaire.

Les journalistes « complotistes » en version France Culture

Comme les complots ne se fomentent pas, par définition, au grand jour, ce sont les journalistes d’investigation ou de révélation qui sont d’abord pris dans les filets de la théorie de « la » théorie du complot.

« Est-ce qu’un journaliste comme Edwy Plenel, qui considère que son travail de journaliste consiste, à partir de quelques pièces de puzzle dont il dispose, à reconstituer le puzzle : est-ce que cette ambition-là, ce travail, cette conception qu’un certain nombre de journalistes se font de leur propre métier relève […] de la théorie du complot ? » demande Raphaël Enthoven.

On ne voit pas en quoi le travail d’investigation des journalistes relèverait d’une quelconque « théorie du complot » : ils font leur travail de journalistes qui consiste, non pas à proposer une théorie du monde social, mais à produire de l’information et à enquêter notamment sur le pouvoir et sur les affaires bien réelles qu’il tente de dissimuler. Tout cela relève de la fonction démocratique de la presse et non de délires « complotistes ».

Mais tout peut entrer dans « la » théorie du complot comme le montre le « spécialiste » qui, loin de refuser l’amalgame, répond : « C’est le modèle paléontologique appliqué dans un domaine qui est mi-policier mi-journalistique. Il y a un modèle policier du travail journalistique, notamment chez certains journalistes d’investigation. Edwy Plenel fait partie d’une immense famille… Ce point de vue, qu’on trouve dans le gauchisme ­culturel aujourd’hui, qui consiste à s’intéresser aux zones ­d’ombre. L’expression d’ailleurs est fameuse et utilisée par lui. Ce sont des gens qui s’intéressent aux zones d’ombre. Zones d’ombre, souterrain, crypte, caveau, nuit – tout cela, c’est le complot. C’est l’imaginaire du complot. Le complot, évidemment, ne se fait jamais au grand jour. On fomente des complots dans les caves et les zones d’ombre. Et donc il y a une espèce… »

Ainsi, selon Taguieff, tout serait transparent et tout se ferait au grand jour. Rien n’étant caché, prétendre révéler d’hypothétiques secrets fait de certains journalistes des « théoriciens du complot ». On espère qu’il existe encore quelques journalistes d’investigation à France Culture qui ne se laisseront pas dissuader de faire leur travail. Et on espère également, en dépit de ce qui suit, que France Culture accueillera encore quelques sociologues soucieux de mettre au jour des relations qui ne sautent pas aux yeux.

Pierre Bourdieu, « complotiste » jargonnant & académique

Sans transition, après avoir réglé leur compte aux journalistes d’investigation, Taguieff s’en prend au sociologue Pierre Bourdieu, qui ferait partie de l’« espèce » et doit donc, lui aussi, être classé dans la décidément très vaste catégorie des adeptes de « la théorie du complot » : « Et donc il y a une espèce… Comme dans la sociologie d’ailleurs de Bourdieu, ce qu’a vu très bien dans son dernier livre Nathalie Heinich, notamment dans le recueil de textes Contre-feux de Bourdieu. Bourdieu dénonce, par exemple, un gouvernement mondial invisible. Bon, manifestement, il cite un certain nombre d’organismes qui ressemblent beaucoup à des sociétés secrètes selon lui. Sa sociologie est une traduction plus ou moins jargonnante, en tout cas académique, d’une certaine théorie du complot, ce que Popper appelait la “théorie sociologique du complot”. »

Notre directeur de recherche au CNRS cite donc, comme une preuve irréfutable, le livre d’une de ses collègues, Nathalie Heinich. Celle-ci a publié un pamphlet, Le Bêtisier du sociologue : prétendant parler, elle, au nom de la vraie science, elle dénonce chez ses collègues ce qu’elle pratique pourtant elle-même allègrement, et au carré, dans son propre livre de circonstance, où elle milite avec ardeur contre tout militantisme, excepté le sien. Il ne suffit pas, en effet, de se prévaloir de l’inusable « neutralité axiologique » exigée par Max Weber (la suspension des jugements de valeur dans le métier de savant) pour régler une fois pour toutes, comme elle croit le faire, la question des rapports entre la sociologie, le politique et l’engagement militant.

Dans son opuscule, si Nathalie Heinich prend effectivement à partie le « complotisme » de Pierre Bourdieu, coupable à ses yeux d’avoir parlé d’un « gouvernement mondial invisible », elle se garde bien de condamner toute l’œuvre : il s’agirait « seulement » d’un « moment d’égarement », l’expression d’« une grosse faiblesse, à la fois intellectuelle et psychique », de Pierre Bourdieu à la fin de sa vie [1] !

Moins prudent que sa collègue, Taguieff dénonce toute l’œuvre de Bourdieu. Pour ce faire, il évoque, sans le moindre souci de précision, le texte d’une conférence du sociologue prononcée en mai 2000 à Zurich devant l’Union des syndicats suisses et en juin 2000 à Berlin devant les étudiants de l’université Humboldt : un texte qui a été édité sous le titre « La main invisible des puissants » [2].

Dans cette conférence, constatant que les dominants se sont déjà organisés au niveau européen, Bourdieu se borne à exhorter les forces politiques de gauche et les syndicats à s’organiser, eux aussi, au niveau européen pour défendre les acquis sociaux qui sont remis en cause par le néolibéralisme et la logique du capitalisme financier. S’appuyant sans doute sur le seul titre de la conférence, Taguieff voit dans ce texte la dénonciation exclusive « d’organismes qui ressemblent beaucoup à des sociétés secrètes » là où Bourdieu évoque le champ du capital financier, qui « fonctionne comme une sorte de machine infernale sans sujet qui impose sa loi aux États et aux entreprises » ; ou encore insiste sur le fait que, « en face d’un mode de domination aussi complexe et raffiné dans lequel le pouvoir symbolique tient une place si importante, il faut inventer de nouvelles formes de lutte » ; ou encore que « tout ce qu’on décrit sous le nom à la fois descriptif et normatif de “mondialisation” est l’effet non d’une fatalité économique mais d’une politique, consciente et délibérée, mais le plus souvent inconsciente de ses conséquences » [3]. Faut-il nier l’existence de formes de concertation qui s’étalent au grand jour et de choix politiques délibérés pour ne pas être soupçonnable de « conspirationnisme » ? Et pour que la mesure soit comble, est-il indispensable de ne tenir aucun compte de phrases qui insistent sur la complexité des mécanismes sans sujet et de politiques inconscientes de leurs conséquences ? – des phrases qui suffisent à situer l’analyse aux antipodes de tout conspirationnisme.

Mais sa disqualification allusive ne suffit pas à Taguieff, qui décrète que c’est toute l’œuvre du sociologue qui relèverait d’« une certaine théorie du complot ».

Bourdieu « conspirationniste » ne serait-il pas, en outre, potentiellement ou réellement, aussi antisémite ? Et s’il est antisémite, cela n’expliquerait-il pas qu’il soit un adepte de « la théorie du complot » ? C’est Raphaël Enthoven qui se charge de faire ce rapprochement en posant une question dont la relation avec « la théorie du complot » est pour le moins assez lointaine : « Vous iriez jusqu’à dire, comme Jean-Claude Milner sur les ondes de France Culture, que Les Héritiers de Bourdieu, c’est un livre sur les Juifs ? »

Cette allusion à la « charge indécente et diffamatoire de Jean-Claude Milner [4]» ressasse et entretient le doute – bien que cette charge, chose rare, ait fait l’objet d’un droit de réponse sur France Culture. Peut-être faut-il voir dans cette interrogation et dans la réponse un cas de ce « dubitationnisme » dont Taguieff a forgé le « concept » et dont il abuse quelque peu ? « Non, ça je… on peut soutenir cette thèse, mais ce n’est pas la mienne, précise Taguieff. Non, moi je vois simplement la sociologie de Bour­dieu comme une sociologie s’intéressant aux stratégies liées à des réseaux qui ­com­plotent. Je pense que le modèle, le paradigme de la pensée de Bourdieu, est un modèle conspirationniste. »

En soutenant qu’il s’agit d’une « thèse » qui « peut se soutenir », Taguieff entretient donc le doute – un doute qui lui fournit l’occasion de réaffirmer « simplement » que la sociologie de Bourdieu repose sur « un paradigme » : façon pseudo-savante de désigner un modèle sous-jacent, complotiste évidemment. Et comme chacun sait que le « complot juif », dénoncé par les antisémites, est un exemple exemplaire de « théorie du complot »…

« La théorie du complot » comme argument de propagande médiatique

Ainsi les critiques englobantes de « la théorie du complot » ne se bornent pas à débusquer des interprétations abusives ou délirantes : ils les amalgament et leur amalgament tout ce qui, de près ou de loin, mais ­surtout de loin, leur déplaît.

Cette critique par amalgames, surtout quand elle peut se prévaloir de références savantes, est particulièrement ajustée aux exigences des médias cultivés [5]. De quoi s’agit-il en fait ? De donner une apparence savante à une dénonciation qui englobe, dans une même vision du monde, des pseudo-explications par des complots imaginaires et des tentatives d’explications par des causes (qui sont parfois des conspirations) bien réelles. La dénonciation des premières permet, à peu de frais, de se débarrasser des secondes.

Vous menez une recherche sur le lobby militaro-industriel américain qui cherche par des moyens discrets à peser sur les prises de décisions politiques – et l’on peut vous accuser de voir des complots partout ; vous enquêtez sur le fait de savoir qui a fait couler le Rainbow Warrior ou quel fut le rôle de la CIA dans la chute d’Allende au Chili – et vous êtes censé être obsédé par les actions des services secrets qui comploteraient contre la démocratie ; vous suivez l’épistémologie de Gaston Bachelard selon laquelle il n’y a de « science que du caché » – et vous êtes là encore atteint par ce qui, finalement, serait moins une théorie qu’une sorte de maladie.

En réalité, « la théorie du complot », telle que la conçoivent quelques pseudo-savants et les journalistes qui les suivent, n’existe que dans la tête de ceux qui la dénoncent. Tout et n’importe quoi peut se voir rangé sous cette dénomination – et il en est de même de la pseudo-psychiatrie du « délire » étendue à des explications de toute nature. Au point que les pourfendeurs de cette version de la théorie du complot finissent par prêter leurs propres élucubrations et leur propre imagination à ce qu’ils dénoncent – un peu à la manière de ces présidents de ligues de moralité qui conjurent et pourchassent leurs propres « perversions » à travers celles, souvent imaginaires, qu’ils ont tendance à voir un peu partout autour d’eux.

Le « cas » de Pierre-André Taguieff – que nous nous garderons de qualifier de « paranoïaque » – est, à cet égard, éclairant. Enthoven, qui ne peut pas ne pas voir l’obsession dénonciatrice de son interlocuteur, lui tend la perche pour qu’il s’en défende : « Mais je vous pose la question ; enfin, je me fais l’interprète de ceux qui se la posent en vous écoutant : est-ce que vous ne faites pas vous-même le même travail, c’est-à-dire de sociologue du complotisme ? Est-ce que, en pointant des liens, des réseaux, des accointances, des homologies, des structures, des isomorphismes entre différents discours, est-ce que vous ne tombez pas vous-même sous le coup du reproche que vous formulez à l’attention des complotistes ? En somme, est-ce que vous ne seriez pas… que répondez-vous à ceux qui considèrent que vous voyez des paranoïaques partout et qu’en somme il y aurait une paranoïa propre à la détestation de la paranoïa ? »

La réponse est révélatrice d’une des logiques au principe de la dénonciation, englobante au point d’en devenir délirante, de la « théorie du complot ». Pour se doter du prestige moral qui donne à ses versions les plus vulgaires une caution savante, elle se présente elle-même comme une « autocritique » d’un ancien « égaré ». Pour Taguieff « cela, on peut le dire évidemment de tout examen critique, bien sûr. Je ne peux pas répondre puisque c’est un argument ad hominem. Donc je peux dire : “Écoutez, je suis de bonne foi, lisez mes textes, voyez tout de même les autocritiques que je peux faire, je n’ai pas une trajectoire je dirais rectiligne parce que, tout simplement, je me suis moi-même égaré à un certain moment.” Par exemple, quand je travaillais sur l’extrême droite, je me fondais sur une idée très banale et reçue, et qui, d’ailleurs, est une des théories du complot des années 1950 et 1960, l’idée communiste qu’il y a un grand complot fasciste mondial. Idée que ce brave boy-scout intellectuel qu’est Daniel Lindenberg a reprise dans son dernier livre ».

Cette allusion vise peut-être Le Procès des Lumières, dans lequel personne, hormis Taguieff, ne pourrait trouver le moindre indice de la thèse d’un « grand complot fasciste mondial » [6]. Elle vise, plus sûrement, un essai précédent du même auteur, Le Rappel à l’ordre, dans lequel celui-ci classait Taguieff parmi les « nouveaux réactionnaires » [7]. Quelle meilleure réplique que de lui attribuer une « théorie du complot » avant de généraliser. « Donc, continue Taguieff, ce sont des gens en quête d’indices d’un complot ­[mondial] fasciste ou néonationaliste ou néoconservateur, peu importe, qui est une idée qui, évidemment, relève du mythe. Et moi-même j’étais persuadé, j’étais en quête, je cherchais des indices au début des années 1980, je tenais un discours militant, engagé, antifasciste traditionnel. »

Si Taguieff reconnaît avoir été atteint par cette maladie, c’est pour dire que, à la différence de certains de ses anciens petits camarades – Linden­berg, Plenel, etc. –, lui, il est vraiment guéri. Et même bien guéri parce qu’il a été très malade et qu’il a touché le fond du conspirationnisme. Et qu’il faut avoir été très malade pour être définitivement guéri.

« Bon, ben j’ai rompu avec cela, continue Taguieff. Mais il faut aller jusqu’au bout de la nuit, jusqu’au bout de l’erreur. Plenel l’a fait, mais il y est resté. On peut rester dans l’erreur, on peut rester dans le mythe, on peut rester dans les fantasmes, mais on peut aussi s’en sortir. Je pense que, sur ces questions-là, j’ai échappé à la pensée conspirationniste, mais pour l’avoir traversée. »

La lucidité à laquelle Taguieff prétend désormais est rehaussée par une autocritique illusoire. Après avoir vu des complots partout, il voit désormais partout des « théories du complot », qu’il passe son temps à pourchasser, à la manière de ces anciens staliniens devenus des antistaliniens de manière stalinienne. Et France Culture concourt à donner des lettres de noblesse à une chasse aux « complotistes » imaginaires : une chasse que nombre de médias accueillent et pratiquent avec délectation.

Des cibles ajustées à la disqualification de toute critique des médias

Cette critique par amalgames est également partagée par quelques journalistes de haut rang et d’éminents intellectuels médiatiques. Elle a pour cible toute trouvée la critique des médias.

Ainsi « d’imaginaires “théories du complot” » sont-elles convoquées comme « arguments de propagande » [8]: des citations détournées de leur sens (quand elles ne sont pas coupées pour leur faire dire le contraire de ce qu’elles affirment) permettent de falsifier la critique des médias par Noam Chomsky et Edward Herman [9].

Militant engagé dans la critique-critique de la critique des médias, Philippe Corcuff « découvre » que la « vision des médias » d’Acrimed serait « fondée sur “la manipulation” consciente et dans les coulisses, par quelques individus en “connivence” et en “réseaux” ». Pour décrypter cette « vision », il suffit d’affirmer qu’« elle n’utilise pas en général les mots “complot” ou “conspiration” mais recourt à un vocabulaire et à des constructions de phrases qui en suggèrent le sens [10]». Cette « vision » serait ainsi une vision complotiste « fondée », non sur ses arguments, mais sur ce que les mots et la grammaire « suggèrent »… à leur interprète.

Soutenue par le journaliste Emmanuel Lemieux, la sociologue Nathalie Heinich reprend la même chanson dans la revue Sciences humaines [11]. Et le journaliste Jean Quatremer, piqué au vif parce qu’on lui reproche de présenter comme une vérité avérée une thèse controversée, réagit en brandissant l’accusation de « Théorie du complot » [12].

Les hommes politiques qui contestent l’ordre médiatique ne sont pas mieux traités. François Bayrou dénonce-t-il, au cours de la campagne de l’élection présidentielle de 2007, la place prépondérante accordée à deux autres candidats ? Alain Minc l’accuse d’avoir parlé de complot médiatique, Bernard-Henri Lévy d’être atteint de « complotisme » – « une des vilaines maladies partagées, une maladie, une vérole commune à la gauche et à la droite » –, et Le Monde d’avoir eu recours à « la vieille thèse du “complot médiatique” » [13].

Le décryptage de la prestation de Pierre-André Taguieff permet peut-être de mieux comprendre pourquoi, dans l’espace médiatique, la critique des médias peut être régulièrement accusée de succomber à la « théorie du complot » – même lorsque les accusés ne cessent de s’opposer à toute conception réductrice et obsessionnellement manipulatrice des médias.

Les pressions (et censures) politiques et économiques seraient en effet inefficaces si les rapports de forces institutionnels ne les favorisaient pas. La corruption, quand elle existe – et elle existe –, est d’abord structurelle. Les journalistes, quand ils sont « manipulés » (mais dès lors, cet adjectif ne convient plus), le sont avant tout par les logiques sociales qui sont à l’œuvre dans le microcosme médiatique et notamment par la concurrence interne entre supports et par les contraintes objectives de la production de l’information. Il reste que ces processus objectifs s’incarnent dans des personnes, et même des personnalités.

Une critique sérieuse, c’est-à-dire argumentée et reposant sur des faits précis, se doit d’enquêter, de citer les déclarations et les commentaires de journalistes à l’appui des analyses, de compter les invitations dans les émissions, de mettre en évidence les échanges de services et les connivences, bref de faire apparaître des relations objectives à partir de la désignation de personnes qui ne cultivent guère leur anonymat et qui ne peuvent pas être dégagées de toute responsabilité individuelle. Dans cet univers social (comme dans tout autre), les relations objectives que l’on cherche à mettre en évidence passent en grande partie par des relations interpersonnelles qu’il n’y aurait aucun sens à passer sous silence. On comprend dès lors pourquoi la dénonciation de la « théorie du complot » trouve un écho favorable, notamment chez ceux qui occupent une position éminente dans les médias : elle permet de disqualifier toute analyse qui les désigne nommément et de se débarrasser à peu de frais de toute critique effective des médias.

Plus généralement, le procès en conspirationnisme, fondé au mieux sur de vagues impressions et de maigres citations, fonctionne comme un véritable opérateur de dénégation du social. Les journalistes, du moins la minorité qui occupe le sommet de la hiérarchie professionnelle et dont la tête ou la signature est connue et reconnue, cultivent une revendication d’indépendance dont dépend le crédit qu’il conviendrait d’accorder à ce qu’ils disent : ils sont censés dire et écrire librement ce qu’ils pensent, sans préjugés ni esprit partisan, et ne servir que la vérité et la démocratie. Mais cette revendication n’est pour une large part qu’une croyance : une croyance que menace de défaire brutalement toute critique des médias qui, s’appuyant sur les méthodes des sciences sociales, leur rappelle que, comme tout individu, les journalistes sont socialement conditionnés, que le sentiment de liberté qu’ils éprouvent effectivement réside en grande partie dans le fait qu’ils sont les bonnes personnes à la bonne place dans un ensemble social très vaste et très complexe. C’est pourquoi placer sous le titre de « théorie du complot » une sociologie (imaginaire) des médias, qui ferait des journalistes de simples marionnettes des puissants, offre un repoussoir commode à toute tentative d’objectivation qui se propose de mettre méthodiquement en relation position sociale, propriétés sociales et prise de position, sans se taire sur les personnes et les faits qui les illustrent.

Le rapport que nombre de médias entretiennent avec « la théorie du complot » est en définitive purement instrumental. Tandis que certains journalistes dénoncent à juste titre des élucubrations complotistes, ­d’autres – et parfois les mêmes – participent à ces « marronniers » des news magazine sur les « francs-maçons » ou les « dessous de… » dont le contenu est tellement superficiel qu’il encourage les visions purement manipulatrices de la vie sociale et politique.

C’est pourquoi cette mise au point restera vraisemblablement sans effet. Si l’accusation de « complotiste » peut revenir en permanence, c’est que la théorie de « la théorie du complot » remplit des fonctions sociales et idéologiques relativement puissantes. Et cela d’autant mieux qu’il ne s’agit pas d’une véritable théorie, c’est-à-dire d’un ensemble de propositions cohérentes, discriminantes et falsifiables. Elle annexe à des critiques qui peuvent être fondées des imputations sans preuves, qui fonctionnent alors comme de simples calomnies. Et la calomnie peut frapper d’autant plus largement que la théorie de « la théorie du complot », telle qu’elle est construite, est un vaste fourre-tout attrape-tout qui fonctionne par association de mots et mélange tous les genres : journalistiques et scientifiques, théoriques et polémiques, militants et politiques.

Notes

1 Nathalie Heinich, citée in « Pierre Bourdieu et le “gouvernement mondial ­invisible” », Conspiracywatch.info.

2 Pierre Bourdieu, Contre-feux 2, Raisons d’agir, 2001, p. 43-55.

3 Ibid., p. 45, 53 et 57.

4 Henri Maler, « Droits de répondre et droit de répandre : Jean-Claude Milner, Alain Finkielkraut et compagnie », Acrimed.org, 8 mars 2007.

5 Lire par exemple Arnaud Rindel et Henri Maler, « Arte et la théorie du complot : une émission de propagande de Daniel Leconte », Acrimed.org, 27 avril 2004.

6 Daniel Lindenberg, Le Procès des Lumières, Seuil, 2009.

7 Daniel Lindenberg, Le Rappel à l’ordre.Enquête sur les nouveaux réactionnaires, Seuil, 2002.

8 D’après le titre d’un article d’Arnaud Rindel et Serge Halimi, « D’imaginaires “théories du complot” comme arguments de propagande », Acrimed.org, 20 août 2007 – version abrégée de « La conspiration. Quand les journalistes (et leurs favoris) falsifient l’analyse critique des médias », Agone, 2005, n° 34, <http://www. agone.org.agone34/>

9 Lire Gilbert Achcar, « Corcuff et la “théorie du complot” », Acrimed.org, 6 septembre 2006.

10 Philippe Corcuff, « De quelques aspects marquants de la sociologie de Pierre Bourdieu », .org, octobre 2004.

11 Lire Henri Maler, « Modeste contribution au “bêtisier du sociologue” de Nathalie Heinich », Acrimed.org, 8 janvier 2010.

12 Henri Maler, « M. Quatremer, de Libération, n’est pas content », Acrimed.org, 28 mars 2006.

13 Lire « Brèves de campagne (5) : Professionnalismes… », Acrimed.org, 20 mars 2007 ; également Henri Maler et Sébastien Fontenelle, « Le Monde réplique à François Bayrou », Acrimed.org, 13 septembre 2006.

Patrick Champagne et Henri Maler

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Commentaire recommandé

Georges Clounaud // 06.09.2016 à 08h01

Ce que Taguieff nomme du complotisme chez Bourdieu n’est autre que de la conscience de classe au sens marxiste très développée chez les classes sociales dominantes.
Pierre-André Taguieff, directeur de recherche au CNRS est donc collègue de Marie Mandras. Il partage indéniablement avec cette dernière une même « rigueur intellectuelle »….

33 réactions et commentaires

  • Homère d’Allore // 06.09.2016 à 07h03

    Taguieff avait moins de rigueur à dénoncer les méthodes complotistes lorsque Charles Enderlin fut injustement attaqué sur son reportage concernant un enfant palestinien tué par Tsahal.

    https://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/261010/quand-pierre-andre-taguieff-et-dautres-se-lache

      +14

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  • Georges Clounaud // 06.09.2016 à 08h01

    Ce que Taguieff nomme du complotisme chez Bourdieu n’est autre que de la conscience de classe au sens marxiste très développée chez les classes sociales dominantes.
    Pierre-André Taguieff, directeur de recherche au CNRS est donc collègue de Marie Mandras. Il partage indéniablement avec cette dernière une même « rigueur intellectuelle »….

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  • Homère d’Allore // 06.09.2016 à 08h26

    L’article sur Arte, Daniel Leconte et l’outil de propagande désormais commun d’amalgamer les théories délirantes avec toute critique du système est ici :

    http://www.acrimed.org/Arte-et-la-theorie-du-complot-une-emission-de-propagande-de-Daniel-Leconte

      +12

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  • Zahir // 06.09.2016 à 09h37

    Très interessant, je me suis du coup mis à appliquer cette recette pour débusquer les théoriciens du complot, prenant le burkini, un fait réel, partiel et partial, ou subsiste bien des zones d’ombre, puis viennent des politiciens théoriciens pour nous expliquer qu’il y a complot en la demeure, complot contre la nation française, complot bien agencé et pensé par des sémites……tiens tiens valls est complotiste

      +8

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    • Sébastien // 06.09.2016 à 12h41

      Vous mettez le doigt sur la plaie!
      Le seul complot qui a droit de citer est le complot islamiste. Utilisez la même grille de lecture que Taguieff et compagnie, ça fonctionne pile-poil.

        +6

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  • Caliban // 06.09.2016 à 11h45

    Merci à M. Champagne pour cette analyse théorique très intéressante.

    Mais trop courte 🙂 J’aurais bien aimé une seconde partie
    • plus circonstancielle (l’évolution des théories du complot et de leurs usages dans le temps, singulièrement depuis 2001)
    • et « médiologique » (rôle des nouvelles technologies de l’information, notamment dans la production de l’information)

      +2

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  • patrick // 06.09.2016 à 14h06

    Ca pourrait faire rire si on n’y voyait pas tout de suite la mise en place d’une tactique pour éliminer toute forme de contestation.
    Toute critique , voire tout forme de doute , est immédiatement qualifiée de théorie du complot et donc écartée du débat , il n’y a plus de débat , plus de réflexion possible puisque tout est vrai et transparent.
    La théorie du complot étant maintenant « enseignée » à l’école et présentée dans les médias , elle est devenue une nouvelle arme … zut !! je deviens complotiste !!!

      +11

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  • Didier // 06.09.2016 à 15h09

    En janvier 2002, le jour de la mort de Pierre Bourdieu, j’ai écouté le flash de France Info (j’étais encore assez c… pour écouter cette chaîne, à l’époque).

    En trente secondes, le « journaliste » de service a réussi à placer à son propos les termes « gourou » et « secte ».

    Ce jour-là, j’ai compris ce qu’était une théorie du complot.

    Et j’ai définitivement cessé d’écouter France Info.

      +11

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  • TuYolPol // 06.09.2016 à 15h10

    Le rapport que nombre de médias entretiennent avec « la théorie du complot » est en définitive purement instrumental
    Ceci devrait pouvoir servir d’épitaphe à cette expression pseudo lucide, et revenir à des argumentations au cas par cas. Si ce n’est pas trop fatigant.

      +3

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  • Jusdorange // 06.09.2016 à 17h25

    Les termes complotisme, conspi, etc… n’ont aucun sens, sont inutiles, et dangereux.

    1) Si on remarque des traits communs à plusieurs théories, de telle sorte que l’on pourrait les grouper sous un qualificatif, alors il faut justifier cette catégorisation en posant clairement le critère qui distingue ces théories. Les « anti-conspis » échouent sur ce point. Cette catégorie n’a pas de sens.

    2) Admettons que le problème précédent est réglé. Ces termes sont des néologismes. Un néologisme se justifie si un autre terme déjà existant ne suffit pas à définir l’objet. Or en lisant les « définitions » données, on remarque que l’on peut remplacer ces termes par « paranoïaque ». Ces termes sont inutiles.

    3) Ces termes ont pour effet de mettre dans la même catégorie des théories qui peuvent avoir du mérite, avec des qui sont fausses, voire odieuses. En voulant diaboliser les premières par cette association, on risque également de valoriser les secondes. Ces termes sont dangereux.

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    • Jusdorange // 07.09.2016 à 19h52

      Les termes en -isme doivent désigner une doctrine ou assimilé (idéologie, courant etc…). Rassembler plusieurs théories dans le même -isme est justifié si elles ont un point commun doctrinale.

      Le fait que des théories se diffusent par un médium ou un autre, ou avec plus ou moins d’efficacité, d’ampleur, ne change pas la nature des doctrines sur lesquelles elles reposent, donc ne justifie pas qu’elles soient rassemblées sous un terme en -isme.

      Il est, selon moi, faux de considérer que des théories pseudo-scientifiques et paranoïaques diffusées sur Internet ont nécessairement une doctrine commune. C’est pourtant ce que le terme complotisme laisse entendre.

      Le langage courant a tendance à créer des termes en -isme (court-termisme, je m’en foutisme, absentéisme ).
      http://www.cnrtl.fr/definition/-isme

      Je suis peut-être vieux jeu : http://www.academie-francaise.fr/construction-en-isme

      Vos inquiétudes, que je partage, ne répondent pas à mon comm.

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      • Prométhée Enchaîné // 07.09.2016 à 21h17

        Je ne suis pas le mieux placé pour énoncer les principes du complotisme. Je vous ai indiqué où chercher.
        Il y a tout de même un lien entre le complotisme et votre argumentaire, non que votre argumentaire soit complotiste, mais vous argumentez sur un sujet dont vous ne connaissez pas tous les enjeux. Ne le prenez pas mal, ça m’arrive aussi.
        Mais en général, les complotistes ont une idée préconçue, une thèse, qui ne se fonde même pas sur une connaissance profonde du sujet, et vont tout faire pour rassembler des faits pour la défendre.
        Le parallèle avec votre argumentaire, c’est que vous ne connaissez visiblement pas les principes rassemblés dans le complotisme, mais vous concluez sur son inutilité et partez dans une extrapolation (danger de l’usage du terme).

        Encore une fois, c’est bien d’émettre des hypothèses… Mais si vous lisez un peu d’historiographie, vous savez qu’il ne peut y avoir d’esprit critique sans une connaissance préalable du sujet. Ainsi, on n’émet pas des hypothèses dans le vide ! Une fois qu’on a suffisamment de matière, on peut commencer à classer et émettre des hypothèses. Mais ça ne suffit pas : il faut prouver !

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      • Prométhée Enchaîné // 07.09.2016 à 21h22

        Une fois que vous connaîtrez le sujet, si vous persistez à dire que ça ne constitue pas une doctrine, nous pourrions alors en débattre plus précisément.

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      • Prométhée Enchaîné // 07.09.2016 à 21h56

        Je vais moi-même vous montrer que je parlais sans savoir, enfin, en ne maîtrisant pas le sujet de notre débat :
        http://www.conspiracywatch.info/Qu-est-ce-que-le-conspirationnisme_a317.html

        Car le conspirationnisme n’est pas synonyme de la théorie du complot :
        « Il convient de distinguer entre « théorie du complot » et « conspirationnisme », souvent entendus, à tort, comme synonymes. Une théorie du complot est un récit circonstancié tandis que le conspirationnisme est un mode de discours. »

        Je souligne aussi que les catégories ne sont jamais parfaites… L’impressionnisme en peinture est problématique dans bien des cas, c’est un concept limité. Pourtant il a une certaine pertinence.

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        • Jusdorange // 08.09.2016 à 01h40

          A Prométhée,

          Un mode de discours ne constitue pas une doctrine.

          La poésie est un mode de discours. Parle-t-on de poétisme et de poétiste ? Non, on dit poésie et poète.
          Le discours scientifique est un mode de discours. Parle-t-on de scientifisme ? Non. On parle de science et de scientifique.

          La seule fois où l’on parle de scientisme, c’est quand quelqu’un fait de la science un horizon politique et moral. Autrement dit lorsque l’on passe du mode de discours (scientifique) à la doctrine (scientisme).

          Il y a des exceptions comme journalisme, terrorisme, néologisme… mais en général un -isme désigne une doctrine.

          Admettons qu’un -isme puisse désigner un mode de discours. Même là le terme conspirationniste est mal fichu.

          Un « poétiste » ne peut pas désigner quelqu’un d’hostile à la poésie, au contraire. Idem pour un scientifiste. Un conspirationniste devrait désigner quelqu’un qui pratique le complot, et pas celui qui cherche à le débusquer. La morphologie est juste mal fichue ici.

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          • Prométhée Enchaîné // 08.09.2016 à 01h49

            Vous êtes plus linguiste que la langue si je puis dire. Il n’y a pas tant de rationalité dans l’usage des mots. Comme vous l’avez parfaitement prouvé vous-même.

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          • Jusdorange // 08.09.2016 à 03h10

            Pouvez-vous me donner un exemple d’un terme en -iste où le radical désigne une chose X , mais le terme en X-iste désigne une personne qui s’oppose à cette chose X.

            Exemple : un terroriste s’oppose à la terreur ?
            Un communiste s’oppose au commun ?
            Un absentéiste s’oppose aux absences ?

            Non c’est le contraire et même les créations issues du langage courant respectent la règle, et là on parle de gens censés utiliser un langage rationnel, rigoureux et académique.

            Il s’agit d’un terme (conspirationniste) utilisé par ceux qui se donnent pour mission de corriger les théories « conspis » au nom de la rigueur intellectuelle.

            C’est bien le dernier groupe qui devrait tolérer si peu de rationalité dans le langage utilisé, et pourtant LE terme central de leurs travaux est l’un des plus mal construit que je connaisse.

            C’est comme ça qu’ils pensent régler le problème du discrédit des institutions du savoir dont vous dites vous inquiéter ?

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          • Prométhée Enchaîné // 08.09.2016 à 12h38

            Un conspirationniste ne désigne pas quelqu’un opposé à la conspiration… Mais quelqu’un qui postule systématiquement la conspiration.

            C’est un partisan de la thèse de la conspiration.

            Un journaliste n’est pas quelqu’un qui fait un journal, c’est quelqu’un qui recherche des faits et les met en forme pour écrire un article. C’est un articliste.

            Arrêtez de vous fixer comme ça sur une prétendue perfection de la langue. Cette perfection est aussi illusoire que la perfection de la démocratie ou du journalisme…

            Vous me dites quelque chose mais vous ne me contredites pas quelque chose.

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          • Jusdorange // 08.09.2016 à 17h32

            « Un conspirationniste ne désigne pas quelqu’un opposé à la conspiration… Mais quelqu’un qui postule systématiquement la conspiration. »

            Tous les termes en X-iste désigne des personnes soit qui pratique X (journaliste, terroriste…) soit qui ont un regard positif sur X (communiste, nationaliste…).

            Les conspirationnistes dénoncent et débusquent (maladroitement ou malhonnêtement) les conspirations. Le terme ne désigne ni ceux qui pratiquent le complot, ni ceux qui ont un regard positif sur le complot. Évidemment que les « conspi » s’opposent aux complots, c’est leur raison d’être.

            Encore une fois : le langage académique doit être rigoureux, a fortiori pour ceux qui prétendent défendre la rigueur intellectuelle.

            Le seul bénéfice ici c’est le potentiel comique de voir les anti-conspi se sentir investi d’une mission au nom de la raison, tout en réclamant le droit de s’en exonérer.

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        • Jusdorange // 08.09.2016 à 01h45

          Je suis d’emblée sceptique quand j’entends un mot récent. Par exemple le terme « europhobe ». Son effet est de réduire l’interlocuteur à une pathologie, même chose pour le terme islamophobe. Cela tue le débat puisque qu’on ne peut pas raisonner un malade mental.

          Mais au moins ces deux termes sont construits de telle manière qu’ils expriment effectivement ce que le locuteur entend exprimer, à savoir la peur de l’Europe et la peur de l’islam. J’en conteste l’usage, mais pas la morphologie.

          Avec le terme conspirationniste j’en conteste et l’usage (c’est mon point 3 du comm initial) et la morphologie. Je persiste : ce terme n’a pas de sens.

          Pour ce qui est du point 2)
          Pouvez-vous me dire à quoi sert ce terme ?

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          • Prométhée Enchaîné // 08.09.2016 à 02h30

            Si vous voulez, le complotisme, c’est poser d’abord l’hypothèse du complot et chercher des tas de « faits » ou d’arguments pour le corroborer, au lieu de partir d’un ensemble de faits contextualisés et de s’interroger sur leur sens par la suite.

            il y a aussi une focalisation sur certains faits mais pas sur d’autres. Ainsi, les Américains interviennent en Libye et en Syrie comme pour l’Irak pour déstabiliser la région et pour le pétrole. Ainsi on ne voit pas que l’Irak a été un gouffre financier pour les Etats-Unis, que le peuple Américain en a été traumatisé, que le pétrole dans une zone instable n’a aucun intérêt, que le congrès était opposé à l’intervention en Libye, qu’Obama a réfréné les diplomates interventionnistes jusqu’à leur mettre des bâtons dans les roues, etc, etc. Tant de faits qui n’ont pas la même exposition que certains mensonges diffusés ad nauseam sur YT, parmi les réseaux alter etc. Il y a une fausse représentation des faits sur internet. Une logique de diffusion qui n’a rien de rationnelle. Une paranoïa de réseau, qui n’est plus paranoïa individuelle mais collective. Or ce n’est pas tout le monde qui est complotiste, il y a des militants, des gens qui passent du temps sur internet.

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          • Prométhée Enchaîné // 08.09.2016 à 02h32

            Désolé, c’est un peu brouillon mais il est tard et je vous l’ai dit, je ne suis pas suffisamment expert pour exposer le complotisme de façon claire et précise. Je crois cependant avoir montré certaines caractéristiques. Si ce n’est pas le cas, alors j’ai failli et je vous invite à ne pas me lire sur le complotisme mais à consulter les auteurs qui ont travaillé sur la question.

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          • Jusdorange // 08.09.2016 à 03h44

            Les caractéristiques que j’entends le plus souvent sont les suivantes :
            – théorie irréfutable (au sens de Popper).
            – utilisation partielle et partiale des faits.
            – surinterprétation paranoïaque (avec par exemple le fait de considérer un phénomène curieux comme le fruit d’une malveillance plus que d’une erreur).

            Si quelqu’un soutient une telle théorie, on peut montrer que la théorie est illogique (tautologique par exemple c’est le plus courant), ou que l’expérience la contredit.
            En quoi le terme conspi est utile ici ?

            Si je souhaite montrer que ces théories se développent, je dirais : « des théories fausses se développent » ou s’il le faut « des théories fausses et paranoïaques se développent ».
            En quoi le terme conspi est utile ici ?

            Pouvez-vous me donner un exemple d’une situation où le terme conspi vous a été utile ? Ou imaginer une situation où il pourrait être utile , soit pour contre argumenter une théorie fausse, soit pour montrer l’étendu du développement de ces théories ?

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          • Prométhée Enchaîné // 08.09.2016 à 12h56

            Théorie illogique : je viens de montrer dans l’article d’Amnesty à quel point le débat est illusoire avec les croyants. A un argument, la réfutation n’en est pas une : il s’agit de refuser l’argument au nom même de la thèse discutée. Pro : Amnesty est partial – Contre : Amnesty publie aussi des articles sur les pays occidentaux – Pro : Amnesty est partial donc ces articles sont là pour donner le change. Hypothèse invérifiée mais avancée comme réfutation.

            Encore une fois, c’est un phénomène d’ampleur. L’absence de méthodologie et la masse d’erreurs. C’est là le problème, il vous faudrait rentrer dans le jeu du débat systématique de chacune des théories. Personne n’en a les moyens. Comment sait-on qu’elles sont fausses ? Parce qu’on a trouvé quelques trucs qui reviennent, une logique commune, une base commune. En somme, des éléments qui permettent de créer une catégorie ! Ça ne désarme pas les conspirationnistes, dont les croyances sont trop importantes pour être ébranlées par des arguments rationnels. Mais ça les discrédite effectivement. Ca les catégorise comme des personnes qui commettent des fautes de raisonnement trop nombreuses et grossières pour prétendre faire l’objet d’un débat rationnel. Vous n’allez pas demander au premier hurluberlu venu de vous exposer la théorie de la relativité. Allez-vous demander à celui-ci de vous exposer la politique étrangère américaine ?

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          • Prométhée Enchaîné // 08.09.2016 à 13h08

            Un exemple pour le conspirationnisme ? le 11/09.
            On n’argumente pas avec des conspirationnistes forcenés. On argumente avec ceux qui se montrent ouverts au débat.
            Le conspirationnisme est un sujet de recherche, puisque de fait, celui-ci s’invite dans l’Education Nationale. Il met en lumière le phénomène, explique les raisons de son émergence, les égarements de sa méthode, etc.
            Il sert à désigner également les gens qui s’y adonnent, au moins d’une manière intensive. Car personne n’est à l’abri de ses hypothèses délirantes. Mais on n’est pas obligé d’écrire des pages et des pages dessus, de les répandre via des réseaux. La parole engage celui qui l’emploie. S’il se fourvoie, pourquoi ne devrait-il pas être inquiété ? Surtout quand il a une grande visibilité. Et par « inquiété », j’entends contesté.

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          • Jusdorange // 08.09.2016 à 16h57

            Un de mes arguments est de dire que le terme conspi n’est pas utile car d’autres termes déjà existant et plus simple désigne ce que vous voulez désigner. Vous me répondez en me donnant les caractéristiques des théories conspi.

            J’examine ces caractéristiques, et je vous réponds que ce sont également les caractéristiques de théories tout simplement fausses, illogiques, invalides etc… Le néologisme n’est donc pas nécessaire.

            Ce à quoi vous me répondez :
            « Théorie illogique : je viens de montrer dans l’article d’Amnesty à quel point le débat est illusoire avec les croyants. » Et ensuite vous continuez en donnant d’autres caractéristiques qui sont autant de caractéristiques comprises également dans les termes invalides, illogiques etc…

            A quoi vous sert le terme conspi ? Et ne me dites pas que vous avez répondu car ce n’est pas le cas. C’est quoi la caractéristique INTERNE ET SPECIFIQUE à la théorie conspi ?

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          • Jusdorange // 08.09.2016 à 17h02

            (suite)

            Je précise « interne » car vous semblez croire que l’ampleur de diffusion d’une théorie fausse justifie un nouveau qualificatif en -isme. Non. Une théorie communiste qui passe de l’imprimé au numérique ne change pas sa nature, elle ne mérite pas un nouveau qualificatif en -isme. Mais vous allez me répondre qu’il ne faut pas exiger de la rationalité dans le langage utilisé. Je vous demande alors pourquoi avoir répondu à mon comm initial qui portait sur la rigueur intellectuelle du lexique ? Pourquoi ne pas avoir dit d’emblée que, pour vous, ceux qui prétendent défendre la rigueur intellectuelle n’ont pas à être rigoureux dans la construction du mot qui est au centre de leurs travaux ? Pourquoi dire que la rigueur intellectuelle du mot conspi n’est pas votre souci, tout en publiant des commentaires dont le but est de montrer que le mot conspi est rigoureux ? Il faut choisir.

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          • Prométhée Enchaîné // 08.09.2016 à 20h20

            Je pense que votre erreur provient du fait que vous voulez absolument qu’un mot en -isme constitue une doctrine. Mais sans doute ai-je moi-même commis des erreurs d’explication pour ne focaliser que sur la logique.
            En fait, le complotisme est un concept sociologique. C’est un phénomène sociologique qui inclut réseaux puissants (internet), militantisme, raisonnements faux ou biaisés ET argumentaire quantitatif. On ne peut pas lutter contre une abondance de théories. On ne peut que prévenir que le phénomène existe, l’expliquer, expliquer la méthode pour établir les faits et le risque de la spéculation abusive.
            Tout cela n’est pas seulement une histoire de raisonnement faux, c’est la diffusion militante d’une vision du monde paranoïaque et délirante qui s’insinue dans la vie citoyenne, et qui est contagieuse, lorsqu’on n’a pas la méthode qui est un garde-fou du doute.

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          • Prométhée Enchaîné // 08.09.2016 à 23h43

            Dommage que vous ne le preniez pas au sérieux. Les avertissements de Najat Vallaud-Belkacem ne viennent pas de nulle part. Sur YouTube, on a vu le cas d’un « complotiste » qui expliquait aux étudiants les questions qu’il fallait poser en cours d’Histoire sur la Shoah. C’est un vrai problème pour l’EdNat mais pas seulement.
            Vous prenez ça à la légère parce que vous avez l’impression d’une persécution envers des gens « qui ne font que questionner » ou douter. Mais oui, les théories du complots sont relayées ou les complotistes, les vrais de vrais, banalisés ou crédibilisés, pas forcément de manière volontaire… Et ces élucubrations sont dangereuses.

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    • Dids // 08.09.2016 à 09h47

      Notre époque médiatique et la dictature des substantifs. Complotistes les dénonciateurs précoces de ‘gladio’. Demeurés les dubitatifs qui ne gobent pas la démolition contrôlée de 3 tours par 2 avions (sûrement une faiblesse en arithmétique). Simplets les opposants aux guerres d’agression délibérées qui ont réhabilité Milosevic depuis des années.

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    • ,Lysbeth Levy // 13.09.2016 à 09h46

      tiens un « agent » qui croie au complotisme du peuple contre l’élite ? Pas étonnant là vu les mots employés ! Qui accuse les « autres » de complotistes ? Un complotiste d’état payé pour ce sale boulot voyons : http://cinquiemecolonne.canalblog.com/archives/2016/02/11/33357654.html un blog à lire sans modération

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    • ,Lysbeth Levy // 13.09.2016 à 10h03

      Gérald Bronner celui qui fait parti du conseil scientifique d’AREVA : http://www.areva.com/mediatheque/liblocal/docs/groupe/Rapport-annuel/2013/pdf-ra-2013/RA2013-FR.pdf
      bien sur et qui n’aime pas le « peuple » a travers son livre « la démocratie des crédules » il démontre que le « peuple » ou les citoyens n’ont aucune connaissances scientifiques et doivent donc déléguer aux seuls « initiés » les « hommes politiques » le devoir et le droit de décider pour 63 millions de français ce qui est bon. Un type qui se prétend expert en sociologie du complotisme comme si c »était une science exacte est un IMPOSTEUR qui aime les OGM et est payé par les grosses multinationales afin de faire la promotion de ce qui vient des multinationales !A noter qu’un autre promoteur des OGM est un ancien expert des truthers et leur présumée folie est aujourd’hui promoteur des OGM : Jérôme Quirant ! C’est au fond un tout petit monde ces « expert en complotologie » la sphère néoconservatrice française, la Zététique (prise en otage) sont devenus des leaders en matière de chasse aux sorcières » !

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  • bluerider // 07.09.2016 à 01h40

    (suite) Or dans cet article RH dit bien de façon explicite que ce « travers psychologique » qui consiste à voir des complots partout est le propre d’une droite dure et radicale qui est la seule à avoir été structurée politiquement aux USA (et qui reste puissante ). La seule mention qu’il fait de la gauche, c’est au travers des « journaux populistes de gauche », sans citer aucun exemple concret. Certes nous sommes aux USA, cependant le site « anticons » avance une différence de taille entre pensée paranoïaque et pensée dite « de gauche », c’est que la pensée de gauche s’appuie sur la lutte des classes qui est tout sauf paranoïaque. Elle suppose des stratégies et des valeurs collectives partagées par sa base, et laisse peu de place aux spéculations individuelles exacerbées. Mais les dévoiements existent, à droite comme à gauche. Dès lors, quoi de plus facile que d’amalgamer dévoyés paranoÏaques et simples sceptiques en une vaste « soupe » à complotistes…

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