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Comment fonctionne la Propagande de Guerre au cinéma ?

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Source : Insurge Intelligence, Matthew Alford & Tom Secker, 14-12-2018

Cela va bien au-delà des bureaux de liaison du gouvernement en matière de divertissement.

Par Matthew Alford et Tom Secker

En tant que coauteurs de « National Security Cinema » [« Cinéma de sécurité nationale », NdT], nous sommes connus – à tort – pour encourager deux idées majeures :

1. Que le gouvernement est vraiment important pour rendre les films plus militaristes.

2. Que Hollywood ne produit pas de films dissidents.

Alors que la première est quelque peu vraie, il s’agit d’une simplification, la seconde est un mensonge.

Le gouvernement participe à un éventail de projets de divertissement aussi vaste que vous pouvez l’imaginer, allant des jeux vidéo aux émissions débat, aux blockbusters et aux docudrames. Bien que beaucoup d’entre eux aient été militaristes dès leur conception, avant que le gouvernement n’intervienne, il ne fait aucun doute que le ministère de la Défense (alias le Pentagone) a encouragé la militarisation de la culture populaire et cherche activement à accroître son influence à Hollywood.

Cependant, nous tenons à souligner que le soutien du gouvernement n’est en aucun cas une condition préalable à la réalisation de films militaristes par Hollywood. Le sous-genre que nous avons proposé – le « cinéma de sécurité nationale » – ne nécessite pas nécessairement l’implication de l’appareil de sécurité nationale dans le processus de production.

Cinéma de sécurité nationale – Au-delà du gouvernement

Certains de ces exemples sont vraiment frappants. Prenons l’exemple de Rambo III (1988), dont l’action se déroule pendant la guerre soviétique en Afghanistan. Le film diabolisait les Soviétiques et dépeignait nos alliés de l’époque, les moudjahidin islamiques, comme des héros – quoique sauvages et stupides (en accord avec les stéréotypes hollywoodiens de longue date sur les Arabes).

Ce portrait est cohérent avec d’autres films qui ont été tournés pendant cette guerre, avant et après, comme le film de James Bond The Living Daylights (1987) [Tuer n’est pas jouer, NdT] et Charlie Wilson’s War (2007) [La guerre selon Charlie Wilson, NdT]. Bien que Rambo III ait techniquement reçu un certain soutien du Département d’État, cela n’a pas affecté le scénario, et le film reflétait en grande partie la politique du gouvernement américain sur les stéroïdes.

De même, American Sniper (2014) a été produit sans soutien gouvernemental, bien qu’il soit basé sur l’autobiographie du sniper militaire très décoré Chris Kyle. La Marine a été approchée en 2013 lorsque Steven Spielberg a été rattaché à la réalisation, mais après que « M. Strub [chargé de la liaison avec Hollywood au ministère de la Défense] ait reçu et revu le scénario », il a « refusé [le] projet ». Il n’y a pas eu de négociations sur le scénario et aucune participation des bureaux de liaison des divertissements.

Extrait du rapport du bureau de liaison des divertissements de l’US Navy, juin 2013

De tous les films dont nous discutons dans les médias, American Sniper est probablement le plus détesté, car il « héroïse » étrangement un véritable psychopathe du monde réel – mais n’oubliez pas qu’il vient de Hollywood, et non du Pentagone. Bien qu’il ait été rejeté par le ministère de la Défense et fermement condamné par certains critiques et le public, American Sniper a été nominé pour six Oscars, dont celui du meilleur film.

Bradley Cooper dans le rôle de Chris Kyle dans American Sniper

A l’autre extrémité de l’échelle de qualité, dans From Paris with Love (2010), James Reese est un agent de second plan de la CIA qui n’a jamais tué personne. Il est associé à un agent spécial grizzli joué par John Travolta. La première tâche de Reese est d’aider Travolta à faire passer une arme à feu par les douanes françaises. Travolta tire sur plusieurs terroristes qui travaillent dans un restaurant indien apparemment banal, puis fait exploser le plafond pour révéler une cargaison de drogues.

Reese apprend que sa fiancée est un agent « dormant » chargé de vivre avec lui et, bien qu’il fasse tout son possible pour la calmer, elle ne peut finalement être arrêtée que quand Reese lui tire une balle dans la tête. Dans la scène finale, Reese montre sa nouvelle arme et Travolta acquiesce d’un signe de tête, comme si tout le film était en train de devenir une sorte de publicité bizarre pour les armes de poing, la brutalité policière, et le meurtre du conjoint – ce qui est essentiellement le cas.

Enfin, examinons The Peacemaker (1997) [Le pacificateur, NdT], qui est également remarquable, mais pour différentes raisons. Le film mettait en vedette un notable activiste anti-guerre (George Clooney), était le premier film du studio libéral DreamWorks SKG, et était inspiré du livre One Point Safe [ce titre désigne un système de protection contre le déclenchement accidentel d’une arme nucléaire, NdT], des journalistes Andrew et Leslie Cockburn. À eux deux, les Cockburn avaient écrit des livres qui critiquaient les relations israélo-américaines, la guerre secrète américaine au Nicaragua et le secrétaire à la Défense de l’époque Bush, Donald Rumsfeld.

Néanmoins, The Peacemaker a fait tout son possible pour souligner à quel point les États-Unis attachent de l’importance au caractère sacré de la vie des civils – même quand le personnage de George Clooney insiste pour qu’un tireur d’élite tue un terroriste pour empêcher une explosion nucléaire à New York, ce dernier ne le fait tout de même pas parce qu’un enfant est à proximité.

George Clooney et Nicole Kidman dans The Peacemaker

La directrice Mimi Leder a déclaré : « Nous sommes un monde vulnérable et nous devons nous protéger. C’est un message que j’espère faire passer avec le film ». Dans ces conditions, The Peacemaker y parvient – il suggère en effet que nous devons nous « protéger » de tout le Moyen-Orient, en particulier de l’Irak (que Clooney empêche d’acquérir des armes chimiques) et de l’Iran.

La solution implicitement préconisée est la violence ciblée exercée avec l’assentiment de l’État, incluant la violation de l’espace aérien russe. Il devient clair que Leder veut vraiment dire que les États-Unis soient le pacificateur dans son titre et il y a bien peu de signes d’ironie de sa part. Encore une fois, ni le Pentagone ni la CIA n’étaient impliqués.

Qu’en est-il des passages dissidents de ces films ?

En ce qui concerne les films dissidents ou radicaux, là encore, le tableau est plus complexe que ne le permettent les affirmations générales. Même les produits parrainés par l’État contiennent souvent du matériel qui ridiculise ou critique le pouvoir en place. Iron Man contient une scène où le protagoniste, Tony Stark, met en scène le complexe militaro-industriel et la corruption de l’industrie de l’armement.

Transformers II met en scène un personnage adepte des théories conspirationnistes qui insiste (à juste titre – dans le film) sur le fait que le gouvernement couvre l’existence de robots géants extraterrestres.

Goldeneye comprend une blague sardonique où M dit : « Contrairement au gouvernement américain, nous préférons ne pas recevoir nos mauvaises nouvelles de CNN ». Ces trois productions ont été soutenues par le Pentagone, qui avait un droit de veto ligne par ligne sur les scripts.

Dans le même ordre d’idées, Shooter (2007) et le remake télévisé (2016) présentent tous deux un complot visant à piéger un ancien tireur d’élite militaire pour tentative d’assassinat contre le président américain. Le film et la télévision comportent tous deux un dispositif qui peut être utilisé pour simuler un suicide par arme à feu.

Dans le film, il est utilisé par les conspirateurs pour tenter de tuer un agent du FBI et faire croire qu’il s’est tiré dessus. Malgré cela, le FBI a soutenu la production, et s’est même vanté de l’avoir fait sur son site Web. Le remake télévisé de Shooter, qui comporte également un dispositif pour mimer un suicide dans un épisode, semble avoir été soutenu par la CIA.

Dispositif visant à mimer un suicide dans Shooter

Cependant, ce sont des films dont l’impact est limité plutôt que des critiques sérieuses et durables de l’État qui interpellent le public une fois le film terminé. Le contenu global de ces films est infailliblement pro-gouvernemental et pro-guerre, même s’ils contiennent des arguments sur la meilleure façon de mener ces guerres.

Cette stratégie de propagande est plus subtile que les efforts criards et superficiels de pays plus ouvertement oligarchiques, et se résume par une participation du ministère de la Défense à la matrice hollywoodienne. Le film Dive Bomber de 1941 a été soutenu par la Marine en tant que « film de préparation » pour la Seconde Guerre mondiale. Même si « certaines personnes s’opposaient à la mort de certains pilotes qui pourrait nuire à leur image », la Marine a fait valoir que « si le film montrait seulement un côté positif, il serait qualifié de propagande ».

Afin de déguiser efficacement la propagande d’État en divertissement impartial ou apolitique, les critiques limitées et/ou les représentations négatives sont autorisées.

Les films anti-guerre et le cinéma de la dissidence

En dehors du domaine subventionné par le gouvernement, Hollywood produit un nombre raisonnable de films dont le contenu global est critique à l’égard de l’État, et pas seulement ponctuellement au milieu d’un récit pro-État. The East (2013) a été produit par Fox Searchlight mais était basé sur les expériences réelles du réalisateur Zal Batmanglij et de la star Brit Marling qui ont pratiqué le freeganisme [mode de vie alternatif consistant à consommer des produits gratuits et vegans, NdT] pendant l’été 2009. Marling a commenté :

Nous avons appris à sauter dans les trains, nous avons appris à dormir sur les toits, nous avons appris à réclamer l’espace qui procure un sentiment d’intimité. Nous avons rejoint ce collectif anarchiste.

Le film s’articule autour d’un groupe éco-anarchiste appelé The East, qui fait des « crasses » très sophistiquées contre les chefs d’entreprise, allant du remplissage de la maison d’un dirigeant avec du pétrole brut à l’empoisonnement du conseil d’administration d’une société pharmaceutique militaire avec leur propre médicament.

Alors que la moralité des actions du groupe The East est remise en question, en particulier lorsqu’un des membres est abattu par des gardes armés, l’immoralité de leurs cibles n’est pas contestée. Marling y joue en tant qu’agent infiltré travaillant pour une société de renseignement privée, qui infiltre The East mais qui est attiré par leur idéologie radicale et la bravoure de leurs opérations.

Britt Marling et Alexander Skarsgård dans The East

The East a reçu des critiques très positives, mais n’a été diffusé que dans quatre cinémas. Bien qu’il ait rapidement pris de l’ampleur une fois que le film s’est avéré populaire auprès du public, il a atteint un sommet de 195 salles au cours de sa quatrième semaine avant que l’intérêt pour le film s’estompe. Cette distribution limitée n’a nécessité que 2,4 millions de dollars à l’échelle mondiale, pour un budget de 6,5 millions de dollars.

À titre de comparaison, la superproduction After Earth de Will Smith a été présentée la même fin de semaine dans plus de 3 400 cinémas, ce qui a permis à ce film d’action aux mauvaises critiques et peu original de rapporter près de 250 millions de dollars dans le monde. Malgré un revenu moyen par salle environ deux fois supérieur à celui d’After Earth, The East a été diffusé moins longtemps, dans beaucoup moins de cinémas, ce qui a entraîné une perte pour ce film qui a été beaucoup mieux accueilli par le public et la critique.

Jeremy Renner dans le rôle de Gary Webb dans Kill the Messenger

Kill the Messenger [Secret d’État, NdT] (2014) a subi un sort similaire. Le producteur et vedette Jeremy Renner était si enthousiaste à l’idée de faire un film sur la vie du journaliste Gary Webb et de révéler l’implication de la CIA dans le trafic de drogue, qu’il a fondé sa propre société de production et investi son propre argent. Renner a expliqué que les grands studios « ne balançaient pas d’argent » sur des films comme Kill the Messenger, et donc :

Afin de protéger ma carrière et d’avoir un contrôle de la qualité du contenu que je voulais créer, j’ai fondé une entreprise qui développerait le matériau ou serait à la recherche de ce matériau qui me donnerait envie d’aller travailler, d’être défié.

Comme The East, Kill the Messenger est en partie un hommage aux grands thrillers conspirationnistes des années 1970, retraçant la recherche par Webb de l’identité de la personne derrière le commerce illégal de la drogue de Los Angeles, l’assassinat qui en a résulté inspiré par la CIA, et son suicide éventuel des années plus tard. Il a été bien accueilli par la critique et le public, mais la société de distribution et de marketing Focus Features a raté sa distribution. Alors que le film a été présenté dans 374 salles de cinéma respectables, ce nombre est tombé à 211 la troisième semaine et à seulement 75 la quatrième semaine.

Une pétition en ligne a attiré l’attention sur le fait que le film a reçu plus de promotions six semaines après sa sortie, alors qu’il n’était déjà plus que dans 18 cinémas, qu’avant sa sortie. Des comparaisons ont été faites avec un autre film distribué par Focus Features, The Theory of Everything [Une merveilleuse histoire du temps, NdT], qui est sorti au même moment. Focus a accordé à ce biopic apolitique de Stephen Hawking plus de six fois le nombre de publicités télévisées qu’à Kill the Messenger.

Alors que The Theory of Everything a culminé à plus de 1200 cinémas et a été présenté pendant 23 semaines, Kill the Messenger a culminé à seulement 427 et a été présenté pendant 9 semaines. En conséquence, The Theory of Everything a rapporté plus de 35 millions de dollars au pays (et 87 millions de dollars de plus à l’échelle mondiale) pour un budget de 15 millions de dollars, ce qui s’est traduit par un profit considérable. Pendant ce temps, Kill the Messenger a pris moins de 2,5 millions de dollars sur un budget de 5 millions de dollars, et n’a été distribué qu’aux États-Unis, ce qui a entraîné des pertes de profits.

Eddie Redmayne dans le rôle de Stephen Hawking dans The Theory of Everything

Parmi les autres films récents qui s’articulent autour d’histoires qui critiquent le pouvoir en place figurent Lord of War (2005), The Hurt Locker [Démineurs, NdT] (2008), Che (2008), Green Zone (2010) et Good Kill (2014). Certains de ces films plus radicaux ont été produits par de grands studios, mais comme l’a dit Renner :

Warner Bros. fera peut-être un de ces films dans un an, puis ils continueront et feront des Batman et ainsi de suite. Il en va de même pour tous les autres studios.

La majorité des films dissidents sont des productions à petit budget et à sortie limitée dont la plupart des gens n’entendent même jamais parler. Faute de bénéficier de la distribution et de la commercialisation de films de plus grande envergure, leurs perspectives sont largement marginalisées par les mécanismes industriels, pour des raisons industrielles.

Hollywood est une grande Église

Dans l’ensemble, Hollywood est donc une grande église quand il s’agit de politique. Mais ça reste une église. Son architecture est ancienne et repose sur des fondations solides. La dissidence existe, mais elle est généralement tiède, presque invariablement ignorée et peut être punie. Les évêques sont les dirigeants des conglomérats de presse, flanqués de leurs membres du clergé de la sécurité nationale.

Il est approprié que le mot « propagande » provienne du catholicisme du XVIIIe siècle durant lequel les cardinaux « propagèrent la foi ». Le public moderne est la nouvelle congrégation, alimentée par un flux constant de miracles et d’alcool de contrebande.

Mais notre recommandation n’est pas que Hollywood fasse plus de films critiques. Certains de nos films préférés sont aussi éloignés de la politique qu’on peut l’imaginer. Non – notre préoccupation est simplement qu’il devrait y avoir beaucoup moins de cinéma de sécurité nationale.

Comment y parvenir au mieux ? Le grand public a beaucoup de pouvoir pour « voter avec son argent » et soutenir davantage les films marginaux et radicaux et moins le cinéma de sécurité nationale. Cela obligerait l’industrie à répondre à la demande du marché et à distribuer plus largement les films les plus radicaux.

En ce qui concerne les films parrainés par le gouvernement, deux réformes simples pourraient être adoptées :

(1) Le gouvernement devrait être tenu par la loi de rendre ses dossiers sur la coopération hollywoodienne accessibles au public.

(2) Les studios devraient déclarer explicitement toute coopération dans le générique d’ouverture de leurs films, émissions de télévision et jeux vidéo.

Nous pressentons que cela signifierait la fin des divertissements liés à la sécurité nationale, car les téléspectateurs abandonnent du contenu qu’ils reconnaîtront beaucoup plus facilement comme de la propagande.

Jusqu’à ce jour, avec Hollywood comme usine du rêve américain, nous continuerons à vivre et à mourir dans un cauchemar militaire et industriel.

Cet article est adapté du dernier chapitre de National Security Cinema : The Shocking New Evidence of Government Control in Hollywood [Cinéma de sécurité nationale : la nouvelle preuve choquante du contrôle du gouvernement à Hollywood, NdT]

Dr Alford est chargé de cours au Département de politique, de langues et d’études internationales de l’Université de Bath. Son film documentaire basé sur ses recherches, The Writer with No Hands, a été présenté en avant-première en 2014 à Hot Docs, à Toronto. Il est le coauteur du nouveau livre Union Jackboot : What Your Media and Professors Don’t Tell You About British Foreign Policy [Union Jackboot : ce que vos médias et vos professeurs ne vous disent pas sur la politique étrangère britannique, NdT].

Secker est un écrivain britannique qui traite des services de sécurité, d’Hollywood et de l’histoire du terrorisme. Il dirige le blog SpyCulture qui peut être soutenu via Patreon.com. Son travail a été relayé par The Mirror, The Express, Salon, TechDirt et ailleurs.

Source : Insurge Intelligence, Matthew Alford & Tom Secker, 14-12-2018

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Nous vous proposons cet article afin d'élargir votre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s'arrête aux propos que nous reportons ici. [Lire plus]Nous ne sommes nullement engagés par les propos que l'auteur aurait pu tenir par ailleurs - et encore moins par ceux qu'il pourrait tenir dans le futur. Merci cependant de nous signaler par le formulaire de contact toute information concernant l'auteur qui pourrait nuire à sa réputation. 

Commentaire recommandé

Toff de Aix // 22.01.2019 à 09h26

Article intéressant…

Pour une bonne mise en perspective, il faut parler de « zéro dark thirty » de katryn Bigelow.

Ce film, sorti en 2012, relate la « traque de ben Laden par un commando des Navy Seals ». Il a bien entendu fait un carton au box office (130 millions de recettes pour un coût total de production de 40 millions). Il a été nominé a 5 reprises aux oscars… Ce film montre des scènes de torture, notamment le fameux waterboarding, sur des « suspects » qui « dissimulent des informations cruciales  » comprenez « ce sont des ordures mais la fin justifie les moyens ». En fait, cette question de « la fin justifie-t-elle les moyens » est patiemment instillée tout au long du film. A aucun moment il ne sera fait allusion au fait que ben Laden, et les groupes de moujahidines, ont été entrainés et financés par les fonds de la CIA a l’époque de la guerre d’afghanistan, pour déstabiliser l’urss. A aucun moment il n’est fait allusion au fait que les services secrets pakistanais ont vraisemblablement couvert ben Laden, alors que ces mêmes services étaient les alliés objectifs des USA dans la région.

Le film relate juste cette « traque » et cette exécution, du point de vue du camp du Bien. Camp qui se croit tout permis, au fond, car comme chacun sait, le Bien est supérieur au mal, alors que sont quelques séances de torture (jusqu’à 183 d’affilée pour certains…) si le but c’est de stopper ces vilains terroristes (que nous avons enfanté, mais chut ça il ne faut pas le dire!). Et puis, il y a plus troublant : l’opération ayant mené a « l’exécution » de ben Laden, qui pourrait dire, aujourd’hui, que c’est juste ce qu’on appelle, en droit international, une exécution extrajudiciaire illégale ?
Et le vrai exploit du film est là… Devant ce qui est passé quasiment inaperçu, et a été pris pour argent comptant par le monde entier, critiques et spectateurs inclus.

A l’époque, l’opinion s’est focalisée sur cette polémique de torture, certains y voyant a juste titre une apologie de celle-ci… Mais implicitement, le film arrive a faire passer pour acquis le fait de tuer, hors de toute juridiction légale, un citoyen étranger, sans procès. Fut il Oussama ben Laden… C’est un exploit qui montre bien la capacité de nuisance et d’aliénation de cette propagande culturelle hegemonique, que n’aurait pas reniée un certain Goebbels… Et qui s’en est largement inspirée, d’ailleurs.

Rappelons nous ce que ce même Goebbels disait dans son premier « manuel de propagande », écrit en 1925 :

«Le moteur d’un mouvement idéologique n’est pas une question de compréhension mais de foi (…) Pour son sermon sur la montagne, le Christ n’a donné aucune preuve. Il s’est contenté d’émettre des affirmations. Il n’est pas nécessaire de prouver ce qui est une évidence.»

Troublant n’est-il pas?

17 réactions et commentaires

  • Fritz // 22.01.2019 à 07h38

    Pourquoi ces m….. venues des iouèssé s’étalent sur nos écrans ? Zut, j’avais oublié les accords Blum-Byrnes.

    Le site Nanarland propose une définition intéressante du « héros américain » au cinéma :
    http://www.nanarland.com/glossaire-definition-10-A-comme-americain.html

    Heureusement, il reste des héros américains crédibles, qui défendent la Terre contre le péril rouge :
    https://www.youtube.com/watch?v=aWe7A7UV2I4

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    • DocteurGrodois // 22.01.2019 à 09h42

      @Fritz

      Ceux des générations 80-90 auront du mal à se souvenir d’un seul film sans drapeau US ou sans une ligne du type « je suis fier d’être Américain ». (cf.le sketch « Rambo » de Dupontel: « Rambo, il ramène ses potes dans un hélicoptère Russe … il les ramène chez nous, en Amérique. »)

        +5

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      • madake // 25.01.2019 à 19h52

        Le film Rambo est l’adaptation cinéma du roman « First Blood ».
        L’histoire assez proche du film est beaucoup plus dure et tragique dans le roman. Il met en avant la clochardisation des vétérans du Vietnam, partis se battre pour « le monde libre », et sont rentrés comme les perdants d’une mauvaise guerre. Presque tout le monde meurt hommes et bêtes, Rambo compris.
        Tout ça est un peu vain.
        Mais le choix d’une « happy end » ouvrant la porte aux suites du film s’est avéré un choix très rentable, et a fabriqué un mythe puissant de la propagande, qui perdure.

          +1

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  • calal // 22.01.2019 à 08h22

    mouais, ca ou se taper des films francais qui montrent des bourgeois,bourgeoises ou fils de bourgeois qui s’ennuient parce qu’ils n’ont pas besoin de bosser pour gagner leur croute…

      +18

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  • Toff de Aix // 22.01.2019 à 09h26

    Article intéressant…

    Pour une bonne mise en perspective, il faut parler de « zéro dark thirty » de katryn Bigelow.

    Ce film, sorti en 2012, relate la « traque de ben Laden par un commando des Navy Seals ». Il a bien entendu fait un carton au box office (130 millions de recettes pour un coût total de production de 40 millions). Il a été nominé a 5 reprises aux oscars… Ce film montre des scènes de torture, notamment le fameux waterboarding, sur des « suspects » qui « dissimulent des informations cruciales  » comprenez « ce sont des ordures mais la fin justifie les moyens ». En fait, cette question de « la fin justifie-t-elle les moyens » est patiemment instillée tout au long du film. A aucun moment il ne sera fait allusion au fait que ben Laden, et les groupes de moujahidines, ont été entrainés et financés par les fonds de la CIA a l’époque de la guerre d’afghanistan, pour déstabiliser l’urss. A aucun moment il n’est fait allusion au fait que les services secrets pakistanais ont vraisemblablement couvert ben Laden, alors que ces mêmes services étaient les alliés objectifs des USA dans la région.

    Le film relate juste cette « traque » et cette exécution, du point de vue du camp du Bien. Camp qui se croit tout permis, au fond, car comme chacun sait, le Bien est supérieur au mal, alors que sont quelques séances de torture (jusqu’à 183 d’affilée pour certains…) si le but c’est de stopper ces vilains terroristes (que nous avons enfanté, mais chut ça il ne faut pas le dire!). Et puis, il y a plus troublant : l’opération ayant mené a « l’exécution » de ben Laden, qui pourrait dire, aujourd’hui, que c’est juste ce qu’on appelle, en droit international, une exécution extrajudiciaire illégale ?
    Et le vrai exploit du film est là… Devant ce qui est passé quasiment inaperçu, et a été pris pour argent comptant par le monde entier, critiques et spectateurs inclus.

    A l’époque, l’opinion s’est focalisée sur cette polémique de torture, certains y voyant a juste titre une apologie de celle-ci… Mais implicitement, le film arrive a faire passer pour acquis le fait de tuer, hors de toute juridiction légale, un citoyen étranger, sans procès. Fut il Oussama ben Laden… C’est un exploit qui montre bien la capacité de nuisance et d’aliénation de cette propagande culturelle hegemonique, que n’aurait pas reniée un certain Goebbels… Et qui s’en est largement inspirée, d’ailleurs.

    Rappelons nous ce que ce même Goebbels disait dans son premier « manuel de propagande », écrit en 1925 :

    «Le moteur d’un mouvement idéologique n’est pas une question de compréhension mais de foi (…) Pour son sermon sur la montagne, le Christ n’a donné aucune preuve. Il s’est contenté d’émettre des affirmations. Il n’est pas nécessaire de prouver ce qui est une évidence.»

    Troublant n’est-il pas?

      +36

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    • DocteurGrodois // 22.01.2019 à 10h15

      @Toff

      En dehors des éléments polémiques comme la torture, le plus gros problème de Zero Dark Thirty est que son scenario lui-même a de très grandes chances d’être une fabrication totale, et donc d’être une œuvre de propagande de bout en bout.

      L’auteur Tom Secker ci-dessus a aussi analysé ce film (https://www.spyculture.com/review-zero-dark-thirty/). En dehors de son immense travail sur le complexe militaro-hollywoodien, il écrit aussi une série d’articles passionnants sur les personnalités « médiatiques » du terrorisme « Une Histoire Alternative d’Al Qaeda », et décortique des sujets comme l’affaire Skripal, Integrity Initiative, etc. (https://medium.com/@tomsecker)

        +2

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    • Deepnofin // 22.01.2019 à 11h13

      Bien d’accord avec vous. Et d’ailleurs, Bin Laden a t-il réellement été tué ? C’était quand même étrange de rejeter son cadavre dans la flotte comme ça. Bref, toute cette histoire, comme tout le reste, ça pue un max, et on n’aura le fin mot de l’Histoire que lorsqu’on révisera tous les dossiers secrets défense. Il me semble que si on lit entre les lignes, tout notre passé nous amène à ce constat : on continuera de se faire avoir sur l’ensemble, tant qu’on se montrera pas assez mûrs pour se prendre en main.

        +11

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    • ima // 22.01.2019 à 11h22

      Je suis grand amateur de vos explications, Toff de Aix, mais dans le cas présent, il me semble que vous avez omis au moins une composante pourtant cruciale.
      On le sait, Ben Laden était atteint d’une déficience rénale grave dont le premier signe fut cette hospitalisation à l’hôpital étasunien de Dubaï en juillet 2001, on a déjà le droit de hausser les sourcils au vu de son statut d’ennemi public n°1, suivi, en septembre de la même année de son entrée à celui de Rawalpindi au Pakistan. cette infection semblant s’aggraver assez rapidement au point de nécessiter 2 dialyses par semaine.
      Comme ce n’est pas le plus courant du côté de Tora-Bora, où trouvait-il matériel et prise de courant pour effectuer ces longs traitements aussi fréquemment, nous sommes dans le massif de l’Himalaya ?
      Aucune obligation de me croire, mais demandez à un docteur combien de temps on peut espérer vivre sans dialyse. De là à dire que ce n’est, en plus, même pas Ben-Laden qui fut assassiné….

        +5

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      • Toff de Aix // 22.01.2019 à 11h32

        Bonjour, vos conjectures ne sont que… Des conjectures. Ça ne veut pas dire que je n’y croie pas, ou que je ne les crois pas dignes d’intérêt mais justement : il s’agit de suppositions, et non de faits avérés.

        Ce que j’ai essayé de démontrer, a partir de cet exemple, c’est une théorie (faire passer pour acquis un comportement de voyou, illégal internationalement, et immoral) qui est quand même étayée par un certain nombre de faits, faits mettant a mal la ‘narrative’ officielle. Concernant la dialyse dont avait besoin ben Laden, j’ai aussi entendu un certain nombre d’affirmations parfois le confirmant (il aurait d’ailleurs pu être hospitalisé grâce a l’aide de l’ISI pakistanais, ce que j’evoque plus ou moins quand je parle de « soutien »), soit l’infirmant (il était suivi par un médecin personnel, pouvait se faire dialyser discrètement, voire n’a eu besoin de dialyses que vers la fin.)

        La seule vérité si je puis dire, c’est qu’on ne saura jamais ce qui s’est vraiment passé… Il faut savoir lire entre les lignes de ce qu’ils veulent bien nous lâcher dans la version officielle 😉

          +6

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    • Paul // 22.01.2019 à 11h49

      Mais n’oubliez pas que le modèle de Goebbels est Mr Edward Bernays, neveu de Freud.
      Il écrit en 1928 dans Propaganda : Si l’on parvenait à comprendre le mécanisme et les ressorts de la mentalité collective, ne pourrait-on pas contrôler les masses et les mobiliser à volonté sans qu’elle s’en rendent comptent ?
      En lisant ce livre on a l’impression de lire stop mensonge le site complotiste par excellence. Il justifie dans cet ouvrage le fait qu’une minorité éveillée gouverne une majorité de mouton crétin, pour leur bien bien sûr. Cela pourrait faire rire si c’était un simple péquin qui écrivait cela. Mais lui (pas seul bien entendu) a fait entrer les USA en guerre en 17, fait fumer les femmes, fait manger du bacon aux américains… Son livre était la bible de ce Goebbels. Ironie du sort Propaganda écrit par un juif a aidé Goebbels a entrainé une foule à exterminer les juifs.

        +6

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    • Tonton Poupou // 22.01.2019 à 12h17

      La propagande ne propage pas. Elle intensifie ce que l’idéologie à déjà propager.

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    • Sebcbi1 // 23.01.2019 à 14h05

      Je me permets de réagir sur ZERO DARK THIRTY.

      En ce qui me concerne, il ne s’agit ni d’un film de propagande, ni d’une critique de l’administration américaine. Il s’agit simplement d’un film se concentrant sur les individus ayant effectué sa traque sur près de 10 ans, et ayant amené à son assassinat.

      D’où la raison pour laquelle le film ne mentionne pas l’aide apportée par les américains pendant la guerre d’Afghanistan contre les soviétiques (c’est, cinématographiquement…hors sujet), ni ne remet en cause l’opération qui a mené à son assassinat (ce n’est pas le sujet non plus).

      Le film se place du point de vue de différents personnages ayant joué un rôle dans cette traque. C’est un procédé cinématographique, habituel chez sa réalisatrice (voyez ou revoyez K-19, DÉMINEURS, ou DETROIT) : elle met en scène des individus faisant leur boulot, avec abnégation et sacrifice. Sans aucun jugement de valeur. Elle se place du côté de ceux qui sont dans l’ombre, qui font leur boulot : « Aux gros coups et au petit personnel qui les provoque ». Une phrase à priori anodine, mais qui donne tout son sens au propos du film.

      Alors évidemment, le film « s’inspirant de compte-rendus de faits réels », on garde une forme de soupçon vis-à-vis des évènements relatés. De là à voir de la propagande…

      En tout cas, selon l’ex espion de la chaîne Talks with a spy, le personnage de Jessica Chastain est assez proche de la réalité : https://www.youtube.com/watch?v=AlHCRrLcAGU (à partir de 8 min 30)

      Bien à vous

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  • Theoltd // 22.01.2019 à 09h54

    Je suis allé voir le film Yeti, avec ma fille de 9 ans. le film repose sur la théorie du complot. je me suis dit »c’est parti » contre les complotistes. A ma grande stupéfaction, les complotistes sont devenus les héros du film, quand le complot s’est avéré vrai.

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    • Deepnofin // 22.01.2019 à 11h20

      Si je me trompe pas, d’ici quelques années même pas, le « complotisme » aura une nouvelle connotation, et les geeks anti-conspi, pour ne parler que d’eux, se feront bien silencieux. Il me semble qu’on ne peut plus ignorer que la réalité de notre système est d’ordre conspirationniste… Jtrouve ça vraiment hallucinant qu’on continue d’avoir peur de ce mot… On continue de tomber dans le piège de l’ingénierie sociale anti-conspi… alors qu’en réalité on l’est tous. Breeef.

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  • Vladimir K // 22.01.2019 à 15h10

    Si vous aimez la propagande américaine, je vous recommande le blog et les vidéos de « l’odieux connard » (note pour la modération : c’est le vrai nom du blog, pas une insulte), qui reparle d’histoire, et explique les blockbusters américains.

    https://unodieuxconnard.com

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  • petitjean // 22.01.2019 à 15h11

    La propagande est partout, surtout à Hollywood, mais pas seulement
    Restons chez nous, j’aimerais une étude sur le cinéma français avec son ministère de tutelle et de subventions, le ministère de la kulture ! L’exception kulturelle française, en plus de la propagande, ça nous coûte combien ? Les scenarii sont nuls, gavés de propagande socialo-marxiste, du « vivre-ensemble » et autres niaiseries du genre. Quant à la qualité de la plupart des interprètes ………………..
    ps : cinéma et télé c’est la même chose : des outils de propagande pour la plupart

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  • PsyyyX // 23.01.2019 à 08h19

    The East est un de mes films préféré. Marling est génial de toute façon.

    Le genre de personne capable d’écrire, de jouer, de réaliser et de produire des films. Une auteure au sens artiste du terme. Et une reconnaissance bien en deçà de ce qu’elle devrait être.

    Je regarderais les autres films dissidents, merci pour la découverte.

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