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5.décembre.20155.12.2015 // Les Crises

État d’urgence : Le précédent des « lois scélérates », par Mathilde Larrère

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Source : Politis, 29-11-2015

TRIBUNE. En 1893-1894, après des attentats anarchistes, les républicains « opportunistes » avaient fait voter trois lois liberticides dont la ressemblance avec des personnages et événements contemporains devrait nous faire réfléchir.

Photo : Assassinat du président Sadi Carnot par l’anarchiste italien Santo Caserio à Lyon, le 24 juin 1894, vue par « Le Petit Journal » (ANN RONAN PICTURE LIBRARY / PHOTO12).

Au début des années 1890, la République semblait installée après des débuts difficiles. Elle avait triomphé de la crise boulangiste grâce à un réflexe de défense républicaine qui avait rassemblé derrière les républicains « opportunistes », entendez libéraux, une large gauche (radicaux et souvent socialistes). Mais la naissance d’une extrême droite nationaliste était désormais une menace claire dans le paysage politique.

Or les opportunistes qui tenaient le pouvoir sortent de la crise en opérant un virage conservateur les conduisant à s’arc-bouter sur leur politique de libéralisme économique, réprimant dans le sang le mouvement social. Le 1er mai 1891, les forces de l’ordre tirent à Fourmies sur une manifestation pacifiste pour la limitation du temps de travail : dix morts, dont des enfants, une trentaine de blessés [1]. Ce virage conservateur explique, entre autre, le ralliement de l’Église catholique à la république, amorcé en 1890 suite au toast d’Alger et scellé en 92 après l’encyclique pontificale Au milieu des Sollicitudes, ce qui permet la naissance d’une droite républicaine et cléricale.

Depuis la fin des années 1870, une partie des anarchistes avaient opéré un tournant tactique en optant pour la « propagande par le fait », recourant à l’attentat politique pour provoquer une prise de conscience populaire. Deux attentats provoquent en France des chocs retentissants : la bombe qu’Auguste Vaillant lance le 9 décembre 1893 dans l’hémicycle, faisant une cinquantaine de blessés ; plus encore l’assassinat le 24 juin 1894 du président de la République, Sadi Carnot.

Une véritable chasse aux sorcières

Dans l’émotion de ces deux attentats, le gouvernement fait passer trois loiscensées lutter contre cette menace anarchiste, mais qui arment surtout le gouvernement contre la gauche et enterre les libertés. Des lois qui restent dans l’histoire sous le nom de lois scélérates. Bismarck avait procédé exactement de la même façon en imposant des lois anti-socialistes au lendemain d’une tentative d’assassinat de l’empereur d’Allemagne en 1881.

Les deux premières lois sont imposées dans l’hémicycle à peine remis de l’explosion de l’avant veille, la troisième, dans la foulée de la mort du président. Ces lois réduisent considérablement la liberté de la presse, pourtant tout juste proclamée depuis 1881. Mais cette réduction ne vise que l’extrême gauche… Il s’agit désormais de pouvoir poursuivre et condamner tout discours « anarchiste » menaçant « la sûreté de l’état », même en l’absence du moindre fait délictueux. De pouvoir poursuivre et inculper tout « militant », tout « sympathisant » anarchiste, sans que la moindre distinction soit faite entre les deux, et sans qu’il y ait le moindre fait à leur reprocher si ce n’est leur opinion. La délation était officiellement encouragée.

Avec la troisième loi, tout propos anarchiste était susceptible d’être interdit et sanctionné. C’est une véritable chasse aux sorcières qui commence alors. Les services de renseignements établissent de longues listes de militants suspects, fichant aussi nombre de sans domicile fixe… Perquisitions, arrestations se succèdent. Nombre de procès également… Les journaux anarchistes sont interdits, ainsi du Père peinard par exemple, mais toute la gauche socialiste révolutionnaire est visée par ces mesures qui permettent de frapper les formes politiques et sociales du mouvement ouvrier.

Pendant ce temps, la presse ultra nationaliste prospère, les journaux assomptionnistes (La Croix) peuvent se targuer d’être « les plus antisémites de France »…. Bientôt, ce sera le déchaînement contre Dreyfus… Sans la moindre interdiction.

Suite à lire sur Politis, 29-11-2015

Pour approfondir le sujet : https://fr.wikipedia.org/wiki/Lois_sc%C3%A9l%C3%A9rates

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LEMOINE // 05.12.2015 à 08h16

Il me semble qu’il manque ici quelque chose : c’est l’écrasement du mouvement ouvrier (les 30.000 morts et les déportés de la Commune). Comment comprendre autrement le « tournant des années 1870 ». Appeler cela un « tournant tactique » le réduit à un calcul politicien alors qu’il s’agit d’un profond et durable désespoir. Car le terreau du terrorisme, c’est le désespoir.

9 réactions et commentaires

  • LEMOINE // 05.12.2015 à 08h16

    Il me semble qu’il manque ici quelque chose : c’est l’écrasement du mouvement ouvrier (les 30.000 morts et les déportés de la Commune). Comment comprendre autrement le « tournant des années 1870 ». Appeler cela un « tournant tactique » le réduit à un calcul politicien alors qu’il s’agit d’un profond et durable désespoir. Car le terreau du terrorisme, c’est le désespoir.

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  • gilles // 05.12.2015 à 08h34

    « La loi du 28 juillet 1894 ayant pour objet de réprimer les menées anarchistes est finalement abrogée le 23 décembre 1992 avec la publication au Journal Officiel8 du nouveau Code pénal. » On peut pas dire que les différents gouvernements de gauche des 3° (front populaire), 4° (1956) et 5° (entre 1981 et 2001) république se soient pressés de l’abroger

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  • CLAUDE // 05.12.2015 à 09h37

    Dans les causes des lois scélérates, il est omis l’histoire du scandale de Panama qui éclate le 4/2/1889 avec la faillite de la compagnie et l’ouverture d’une enquête pour escroquerie révélant par la suite que bon nombre de politiciens sont impliqués ou susceptibles de l’être dont M Clémenceau et d’autres grand noms de la politiques. Les attentats terroristes viendront à point nommé…
    L’historie se répète, a-t-on l’habitude de dire….

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Scandale_de_Panama

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    • theuric // 05.12.2015 à 19h03

      J’ai remarqué la même chose et, au début, je m’étais demandé si je n’avais pas la berlue.

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    • kasper // 06.12.2015 à 00h57

      Je pense qu’il s’agit plutot d’un symbole hippie, signe de paix, aggremente d’une barre horizontale pour faire la tour Eiffel.

      http://les-zed.com/origine-du-symbole-peace-and-love/

        +3

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  • criticus // 05.12.2015 à 10h18

    Cette démonstration arrive à la conclusion inverse de son but. La France de la IIIe République est restée un régime démocratique et respectueux des libertés malgré les lois scélérates.
    Blum arrivé au pouvoir 40 ans plus tard ne sera pas plus tendre avec les ligues, la loi autorisant le Gouvernement à dissoudre des associations date de cette époque, elle est pourtant attentatoire aux libertés.

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  • Jagajaga // 05.12.2015 à 11h11

    La loi n’a pour seul objet que le maintien de l’ordre établi, autrement dit des rapports de production et de domination. On constate au passage à quel point l’extrême droite, même anti-républicaine, n’a jamais inquiété le pouvoir.

    Ces « lois scélérates » ne sont jamais que la prolongation de toutes celles qui privent la populace et les sans dents des moyens politiques, matériels ou intellectuels de se faire entendre…

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    • apero // 06.12.2015 à 03h41

      Euh faut pas exagérer non plus…La loi c’est avant tout ce qui constitue l’Etat de droit, sans loi c’est le règne du plus fort et la justice à la gueule du client.

      Certes tous les complots de l’extrême droite ont échoué, mais c’est passé tout près. La funeste manif de février 34 aurait dû réussir sans les hésitations de certains leaders.

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