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16.août.202216.8.2022 // Les Crises

Joe Biden au Moyen-Orient : un voyage utile pour Israël, les autocrates et les fabricants d’armes

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Mais il a probablement été très productif (et rentable) pour Israël, les autocrates arabes et les fabricants d’armes américains.

Source : Responsible Statecraft, Rami G. Khouri
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Le président américain Joe Biden s’apprête à monter à bord d’un avion après un sommet arabe, à l’aéroport international King Abdulaziz, à Jeddah, en Arabie saoudite, le 16 juillet 2022. REUTERS/Evelyn Hockstein

Le président Joe Biden fait souvent remarquer qu’il a 40 ans d’expérience dans la gestion des affaires mondiales, mais lui et Washington semblent être de mauvais élèves.

Les quatre jours qu’il vient de passer au Moyen-Orient confirment que ses propres vues et les politiques américaines dans cette région restent confuses, contradictoires et souvent contre-productives – bien que très rentables pour Israël, les autocrates arabes et leurs sbires, et les fabricants d’armes américains.

Le caractère amateur du voyage de Biden a été parfaitement résumé par l’attention que les médias ont portée à la question de savoir s’il avait serré la main ou frappé le poing du prince héritier d’Arabie saoudite Mohammad Ben Salman, que la CIA a déclaré responsable du meurtre du journaliste du Washington Post Jamal Khashoggi, un dissident saoudien.

Biden n’a eu aucune discussion de fond avec les dirigeants israéliens et arabes susceptible d’innover en raison des nombreux facteurs limitatifs qui ont été intégrés dans la politique américaine au Moyen-Orient depuis un demi-siècle. Même la simple demande de Biden en faveur d’une augmentation de la production pétrolière arabe pour réduire l’inflation en Occident n’a abouti à rien, car les producteurs de l’OPEP+ ont une capacité supplémentaire très limitée d’exportation de pétrole à l’heure actuelle, et la plupart des dirigeants arabes ont hésité à s’aligner sur les États-Unis contre la Russie alors qu’ils envisagent eux-mêmes des liens plus étroits avec ce pays.

Le programme général de Biden pour ce voyage n’avait aucune chance, honnêtement, en raison des cinq contraintes politiques qui ont façonné le violent héritage moderne de l’implication américaine dans la région :

  • soutenir Israël au détriment des droits des Palestiniens et des Arabes, à la fois dans la région et pour des gains en politique intérieure américaine ;
  • utiliser la puissance militaire pour tenter d’atteindre des objectifs politiques ;
  • considérer les excédents énergétiques et monétaires des pays arabes comme l’axe principal de l’engagement américain ;
  • promouvoir des liens stratégiques avec les États arabes principalement pour contenir les puissances indésirables dans la région, et,
  • ignorer totalement les conditions et les droits des centaines de millions d’hommes et de femmes arabes, iraniens et turcs dans cette région à prédominance musulmane, tout en cimentant des liens avec une poignée de dirigeants autocratiques qui engagent les États-Unis sur la base des quatre premiers principes ci-dessus.

Le voyage de Biden a approfondi cet héritage, en formulant des commentaires superficiels qui prétendaient exprimer l’engagement de Washington en faveur de la paix, de la sécurité, de la démocratie et de la prospérité pour tous les peuples de la région. Mais est-ce que quelqu’un prend cet engagement au sérieux aujourd’hui, en particulier après des décennies à entendre Washington parler de droits et de valeurs tout en mettant en œuvre des politiques qui ont contribué à envoyer la région arabe et la plupart de ses habitants dans des cycles de stagnation et de régression économiques (à l’exception d’environ quelques 20 % riches citoyens de la région) ? La plupart ont le sentiment de rester des sujets coloniaux officieux dirigés par des satrapes dociles qui considèrent les intérêts américains et israéliens comme supérieurs aux leurs.

Les hommes et les femmes arabes ordinaires reconnaissent que les interventions américaines au Moyen-Orient ont surtout favorisé des mécanismes qui ravagent leur vie : guerres incessantes, extrémisme, régime autoritaire, corruption galopante, violation massive du droit international, fragmentation des États et, plus récemment, pauvreté de masse qui touche aujourd’hui une majorité de personnes dans les États arabes. D’autres analyses effectuées par l’ONU ces dernières années montrent que la pauvreté multiforme et la vulnérabilité des familles touchent quelque 67 % des Arabes, et que les conditions se sont encore aggravées en raison du Covid, de la guerre en Ukraine et du changement climatique. Les enquêtes régionales de l’Arab Center montrent que plus de 70 % des familles ne peuvent pas répondre à leurs besoins mensuels de base ou ne peuvent que répondre à ces besoins sans pouvoir épargner.

La plupart des sociétés arabes sont profondément endettées et incapables de générer des économies productives équilibrées (en dehors des quelques producteurs d’énergie). Plusieurs pays comme le Liban, l’Irak, la Jordanie, la Syrie et le Yémen manquent d’eau, et parfois même d’électricité. La plupart des gouvernements semblent, dans une certaine mesure, avoir renoncé à leur souveraineté, car ils ne peuvent prendre des décisions importantes concernant l’achat d’armes ou l’importation d’électricité et d’eau qu’après avoir obtenu le feu vert d’une puissance étrangère (les principales étant les États-Unis, la Russie et l’Iran, mais aussi la Turquie, Israël et même l’Arabie saoudite).

C’est pourquoi la majorité des Arabes de la rue, s’ils étaient autorisés à s’exprimer librement, s’offusqueraient de la déclaration de Biden au sommet des dirigeants arabes à Djeddah samedi dernier : « Les États-Unis ne vont nulle part. Nous ne nous retirerons pas pour laisser un vide qui sera comblé par la Chine, la Russie ou l’Iran. Nous chercherons à tirer parti de ce moment grâce à un leadership américain actif et fondé sur des principes. »

Qu’en dites-vous ? Mais l’Iran, la Russie et la Chine ne cessent d’étendre leurs relations avec les pays arabes et les autres pays du Moyen-Orient, alors que les États-Unis tentent de les contenir. Certains de ces dirigeants arabes présents à Djeddah le week-end dernier mènent même leurs propres discussions bilatérales pour faire baisser les tensions avec l’Iran, ou dépendent fortement du commerce ouvert ou illicite avec l’Iran.

La tentative de Biden de rassembler le soutien des pays arabes et d’Israël pour contenir des puissances comme l’Iran, la Russie et la Chine est le dernier rebondissement en date d’un modèle américain bien établi qui consiste à essayer de se coordonner avec les pays locaux pour repousser les ennemis perçus des États-Unis ou de leurs alliés du Moyen-Orient. Parmi ces ennemis, on trouvait l’Union soviétique, les Frères musulmans, le nassérisme, l’Irak et la Syrie baasistes, les mouvements de guérilla palestiniens, le Hamas, le Hezbollah, I’EI et, aujourd’hui, l’Iran, la Russie et la Chine.

Pourquoi la Russie, l’Iran et la Chine continuent-ils à étendre leurs relations dans les pays arabes ? Toute analyse honnête montrerait que c’est l’impact des politiques américaines qui ont fermé les yeux ou directement encouragé les menaces structurelles dans la région arabe : une plus grande corruption arabe et l’incompétence de l’État, la colère populaire et souvent le désespoir, et un sentiment de découragement parmi des centaines de millions de personnes qui pousse beaucoup d’entre elles à vouloir émigrer. Cela ouvre les portes à tout parti qui prêche pour remédier à leurs maux.

Les présidents américains n’ont jamais compris qu’il est impossible d’aller très loin en essayant de promouvoir les relations d’Israël avec les États arabes, ou des coalitions arabo-israélo-américaines sérieuses pour affronter un tiers, tant que Washington regarde passivement Israël poursuivre son annexion coloniale des terres palestiniennes occupées et continue à offrir de l’argent et de la technologie pour maintenir la supériorité militaire d’Israël dans la région.

Alors que de nombreux dirigeants arabes recherchent désespérément le soutien des États-Unis et d’Israël pour survivre, la majorité des citoyens arabes considère toujours Israël et les États-Unis comme leurs principales menaces pour leur sécurité, respectivement 89 % et 81 %. Un autre sondage récent montre que la majorité des Arabes interrogés aux Émirats arabes unis, en Arabie saoudite et au Bahreïn voient désormais d’un mauvais œil la normalisation des relations dans le cadre des accords d’Abraham.

C’est pourquoi beaucoup de personnes au Moyen-Orient s’inquiètent lorsque Biden déclare, comme il l’a fait ce week-end : « Laissez-moi dire clairement que les États-Unis vont rester un partenaire actif et engagé au Moyen-Orient. » Beaucoup s’inquiètent parce que l’engagement actif et le militarisme sans relâche des États-Unis ont largement contribué à transformer la région arabe en champ de ruines.

Source : Responsible Statecraft, Rami G. Khouri, 19-07-2022

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Selim // 16.08.2022 à 18h43

Les valeurs dont parle Washington ne sont pas des valeurs dont l’homme espère pour une vie tranquille. Les américains cherchent à ruiner des pays et massacrer leurs peuples pour leur survie. Et en plus ils sont soutenus par des pays qui font la même chose ailleurs. Toute chose a une fin. Et cette fin n’est pas loin. Il y a d’autres pays qui émergent et ils son puissant. Et c’est la peur de Washington. Ces américains sont aveuglés par leur armement en sacrifiant leur population pour enrichir des cupides.

4 réactions et commentaires

  • James Whitney // 16.08.2022 à 08h08

    Le programme général de Biden pour ce voyage n’avait aucune chance, honnêtement, en raison des cinq contraintes politiques qui ont façonné le violent héritage moderne de l’implication américaine dans la région : »

    Au cotraire, le programme général de Biden pour ce voyage était de maintenir les buts de toujours. En particulier les 5 principes de la liste.

    Tout l’histoire de ce monsieur le démontre.

      +4

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    • Savonarole // 16.08.2022 à 11h53

      Heu, Brandon est reparti avec de vagues promesses et pas grand choses de plus… les histoire de prod pétrolières ont été remises à la prochaine réunion de l’OPEP+ (c’est le + qui est marrant).
      En attendant , Aramco encaisse l’oseille : https://www.globaltimes.cn/page/202208/1272954.shtml , du coup je suis pas sur que les chameliers et le montreur d’ours soient chaud pour noyer le marché.
      Enfin le plus rigolo va ètre la visite de Winnie l’ourson, à voir si il réussi à acheter son pétrole en billets rouges à la place des billets verts …

        +2

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  • Selim // 16.08.2022 à 18h43

    Les valeurs dont parle Washington ne sont pas des valeurs dont l’homme espère pour une vie tranquille. Les américains cherchent à ruiner des pays et massacrer leurs peuples pour leur survie. Et en plus ils sont soutenus par des pays qui font la même chose ailleurs. Toute chose a une fin. Et cette fin n’est pas loin. Il y a d’autres pays qui émergent et ils son puissant. Et c’est la peur de Washington. Ces américains sont aveuglés par leur armement en sacrifiant leur population pour enrichir des cupides.

      +8

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  • vert-de-taire // 19.08.2022 à 11h18

    Qui peut croire que l’Empire fera autre-chose
    que de se donner tous les moyens de dominer tout ou partie du monde ?
    Tous les moyens, c’est à dire TOUS.
    La vie des gens n’est RIEN face à la nécessité de survie du Système (de domination).

    Nous avons compris en lisant le passé que rien ne résiste à la survie des mafieux dominants états-uniens.

    Ils sont (comme) des animaux qui font tout pour maintenir l’espèce.
    Et s’ils ne le faisaient pas, l’espèce (cette mafia) disparaîtrait, comme depuis toujours pour le Vivant.
    Ce comportement animal (gestion par proie prédateur concurrent) entraîne l’humanité à faire de même :
    Quand la violence seule sert la survie, elle se généralise – chacun réagit pour sa survie.
    Le comportement violent des mafieux se propage donc à l’humanité.
    ILS NOUS POURRISSENT LA VIE.
    CQFD
    On a tenté d’imaginer des manières de vivre en PAIX, c’est accepter de se limiter, c’est ce que le SYSTÈME CAPITALISTE, ne peut pas admettre, c’est antinomique, contraire à son fonctionnement.

    La raison et les limites à l’asservissement de tous a contraint les espèces, les individus du Vivant, à limiter leur prédation. Le voisin peut aussi te blesser ou te tuer si tu empiètes, si tu le menaces dans sa survie.

    Ceci est la logique du Vivant, accepter les autres ou prendre un risque vital.

    Ceci n’est pas accepté par la mafia états-unienne.
    La règle naturelle de l’Alpha (groupes animaux et capitalisme) est que
    le plus fort domine tous les autres. Ce fut le cas depuis une centaine d’années, l’Empire a pris le pouvoir total sur la planète.
    Mais encore raté.
    Depuis qqs temps, cette règle du plus riche qui domine tout, donne à la Chine la quasi (ou le risque imminent de) domination totale.

    Le régime capitalisme qui donne au plus riche TOUT le pouvoir, N’EST PLUS ADÉQUAT aux mafieux états-uniens.

    Reste le fascisme, la terreur, le nouvel ordre mondial i.e. la puissance totalitaire fasciste.
    CQFD

      +1

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