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26.décembre.202226.12.2022 // Les Crises

La Réserve fédérale provoque une récession et les Américains ordinaires en sont les premières victimes

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La Réserve fédérale tente depuis des mois de provoquer une récession, et les Américains ordinaires en subissent les frais. Pendant ce temps, sans le pansement des taux d’intérêt bas, nous constatons qu’une grande partie du monde des affaires américain a été construit sur la fraude.

Source : Jacobin Mag, Branko Marcetic
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Des desserts sont en vente dans un magasin Walmart à Rosemead, en Californie, le 22 novembre 2022. L’inflation aux États-Unis est montée en flèche pour atteindre les niveaux les plus élevés de ces dernières décennies, ce qui a conduit la Réserve fédérale à se lancer dans une campagne musclée pour calmer la plus grande économie du monde. (Frederic J. Brown / AFP via Getty Images)

Rien ne laisse présager que la Réserve fédérale mettra un terme à son programme de hausses des taux d’intérêt dans un avenir proche, et le public américain en ressent déjà les effets.

Un bref rappel : pour faire face à l’accélération des prix provoquée par les effets de la pandémie et de la guerre en Ukraine, la Fed a décidé de commencer à relever progressivement les taux d’intérêt après une longue période de taux exceptionnellement bas. Elle espère ainsi freiner la demande des consommateurs, en imposant « quelque souffrance » aux salariés américains moyens, même si le président de la Fed admet que tout cela ne fera rien contre la hausse des prix des denrées alimentaires et des carburants. À cette fin, la Fed a relevé le taux d’intérêt à court terme quatre fois de suite, atteignant un total de trois points de pourcentage.

Petit à petit, nous commençons à en voir les effets. Prenons par exemple le secteur agricole, qui dépend fortement du crédit entre les récoltes pour payer pratiquement tout ce qui est lié à son activité. Les intérêts débiteurs devraient augmenter de près de 40 % pour atteindre 26,5 milliards de dollars cette année, soit nettement plus que dans d’autres secteurs comme le commerce de détail et l’automobile. La Federal Reserve Bank of Chicago a récemment constaté que les prêts pour le secteur des bovins d’embouche et les prêts immobiliers agricoles dans le septième district de la Fed – qui comprend cinq États du Midwest allant du Michigan à l’Iowa – avaient atteint leur niveau le plus élevé en plus de dix ans. Résultat, les agriculteurs s’interrogent aujourd’hui sur la façon dont ils vont faire face à leur dette devenue tout à coup plus coûteuse, certains envisageant de faire moins de semis l’année prochaine, ce qui pourrait, paradoxalement, entraîner une nouvelle hausse des prix des denrées alimentaires.

Les petites entreprises – la vache sacrée, du moins sur le plan rhétorique, du discours politique américain – sont également mises à mal. Selon le Wall Street Journal, 46 % des 600 propriétaires de petites entreprises interrogés ce mois-ci ont déclaré que la hausse des taux d’intérêt affectait leur activité, certains donnant le coup de grâce à leurs projets d’expansion. Cela s’explique en grande partie par le fait que les propriétaires de petites entreprises ont plus de mal à rembourser leurs prêts, mais c’est aussi le résultat d’une demande freinée : une entreprise dont le profil a été établi par le journal, un fabricant de systèmes solaires pour toitures, a vu ses ventes chuter en raison du coût plus élevé des prêts accordés aux particuliers pour financer ce type de construction.

Comme on peut le constater, les consommateurs américains ordinaires ne sont pas non plus épargnés. Le taux d’intérêt moyen des cartes de crédit a atteint 19,04 %, le plus élevé depuis que Bankrate a commencé le suivi des taux il y a trente-sept ans, et juste un peu au delà du précédent record de 19 % datant de 1991.

C’est particulièrement inquiétant, en effet, si les consommateurs soucieux des coûts évitent d’autres types de dettes, ils continuent de solliciter des cartes de crédit à des taux élevés. Ce sont les Américains à faible revenu qui sont les plus susceptibles de s’en servir, et selon les économistes de Wells Fargo, les emprunts par carte de crédit n’ont jamais atteint un tel niveau depuis la Grande récession. En outre, comme ils le soulignent, le fait de dépendre des cartes de crédit pour maintenir un niveau de vie pré-inflation a pour effet de soutenir les dépenses de consommation, ce qui va à l’encontre de la stratégie de la Fed qui consiste à faire baisser les prix. Et les cartes de crédit ne sont que la moitié du problème : les taux des prêts privés étudiants ont grimpé en flèche, tandis que le taux hypothécaire moyen à long terme a plus que doublé par rapport à l’année dernière.

Et ce n’est pas tout. En observant attentivement le bon état de santé (par rapport aux années précédentes) des comptes d’épargne des Américains, la présidente de la Banque de la Réserve fédérale de Kansas City, Esther George, a récemment indiqué qu’il s’agissait là d’une raison pour maintenir des taux d’intérêt plus élevés et pendant plus longtemps, car « si cette épargne est répartie plus uniformément dans la population, y compris parmi les ménages ayant une plus grande propension à dépenser leur revenu, alors il est probable que la persistance de la consommation sera plus forte ». En d’autres termes, comme un plus grand nombre d’Américains à faibles et moyens revenus ont pu épargner un peu d’argent pendant la pandémie, la Fed doit maintenir des taux d’intérêt élevés jusqu’à ce que cette épargne soit consommée, afin que les familles puissent y puiser pour acheter des biens et des services.

Outre les effets négatifs des hausses de la Fed sur les travailleurs américains et leurs perspectives d’emploi, elles ont également d’autres résultats inattendus. Les observateurs politiques se sont extasiés devant le cafouillage chaotique de la reprise de Twitter par Elon Musk il y a trois semaines, alors que des milliers d’employés étaient licenciés dans une tentative du fondateur de Tesla de réduire les coûts et de rationaliser son opération. Cette situation est plus directement due à l’incompétence de Musk, mais cette incompétence est le point final d’une série d’événements déclenchés par un ralentissement plus large du secteur technologique qui va au-delà de Musk, et même au-delà de Twitter – un ralentissement exacerbé par les hausses des taux directeurs décidés par la Fed.

Depuis des années, les start-ups technologiques, même celles qui n’étaient pas rentables, sont maintenues à flot par une pluie diluvienne apparemment illimitée d’argent bon marché, qui touche maintenant à sa fin en raison de la hausse des taux d’intérêt et d’une inflation tenace, ce qui a conduit à ce qu’un spécialiste du secteur de la technologie a appelé « la baisse la plus brutale et la plus généralisée depuis une génération ». Le financement par capital-risque au troisième trimestre de cette année a chuté de 53 % par rapport à 2021 et de 33 % par rapport au trimestre précédent, et à la mi-novembre, plus de 73 000 travailleurs du secteur des technologies avaient perdu leur emploi au cours de cette année.

Plus simplement, la nouvelle situation met en évidence le nombre de modèles commerciaux qui prospéraient avant le réajustement et qui sont de véritables escroqueries. La plus spectaculaire, bien sûr, a été l’implosion de l’industrie des crypto-monnaies, avec ses couches infinies de fraude et de boniments. Mais un autre secteur a souffert de la fin de l’ère de l’argent facile : les raiders du secteur du capital-investissement (PE). Les sociétés de capital-investissement et leurs rachats d’entreprises endettées avaient connu un boom prolongé, en grande partie grâce à la longue période de taux d’intérêt bas qui a suivi le krach de 2008, et elles sont maintenant confrontées à la hausse du coût de la dette et à la baisse des rendements.

Les conseillers en investissement Wilshire ont prévenu que les hausses de taux seraient un « vent contraire » pour le secteur, et les grandes banques se retirent du financement des grandes opérations de capital-investissement, le nombre de ces opérations dans la seule région de Chicago est passé de 446 en 2021 à 59 cette année. Le volume de tous les rachats de capital-investissement conclus cette année a diminué de 25 % par rapport à l’année dernière, tandis que les rachats à effet de levier – c’est-à-dire les rachats à fort endettement avec lesquels ce secteur est presque toujours associé – ont chuté, passant de près de 100 milliards de dollars d’opérations au niveau mondial au deuxième trimestre à seulement 12 milliards de dollars au troisième trimestre, selon Bloomberg.

Cependant, peu de gens vont verser des larmes concernant cette situation : le modèle de capital-investissement est connu surtout pour sa faculté à dépouiller les entreprises, y compris celles qui ont une valeur sociale importante, de tout ce qu’elles valent, tout en les accablant de dettes, et pour se sauver ensuite avec les profits avant que la victime malchanceuse ne fasse faillite.

Ce sont les familles de salariés qui seront le plus durement touchées par la détermination de la Fed à provoquer une récession, mais comme nous pouvons le voir, les turbulences qui en résulteront se répandront dans tous les secteurs de l’économie, entraînant toutes sortes de conséquences et de bouleversements sociopolitiques que nous ne sommes même pas encore en mesure de prévoir. Mais derrière tout cela se dessine un paradoxe singulier, à savoir que tout cela pourrait ne servir à rien : une récente enquête de la Bank of America auprès de gestionnaires de fonds a révélé que 92 % d’entre eux pensent que nous nous dirigeons vers la stagflation, c’est-à-dire un taux de chômage élevé et une forte inflation. Profitez en pendant qu’il en est encore temps.

CONTRIBUTEUR

Branko Marcetic est un des rédacteurs de Jacobin, il est aussi l’auteur de Yesterday’s Man : The Case Against Joe Biden (L’homme du passé, le dossier contre Joe Biden, NdT). Il vit à Chicago, dans l’Illinois.

Source : Jacobin Mag, Branko Marcetic, 26-11-2022

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Commentaire recommandé

vert-de-taire // 26.12.2022 à 08h29

Je ne voudrais pas être médisant mais on peut gloser sur le sexe des anges ad æternam quand les prémices sont fausses.

Le fonctionnement capitaliste, ploutocratique de prédation de tous les biens (communs) montre ses effets dévastateurs. D’abord sur la nature et accessoirement les colonies mais maintenant aussi sur les populations occidentales – les destinataires du Spectacle.

On pouvait l’ignorer quand le Système progressait, les miettes aidaient les gueux à croire aux miracles et contes de fées ; le seul grand changement est que les miettes se font rares et que les gueux vont comprendre qu’ils sont « colonisés ».

Ce Système est depuis toujours une dictature ploutocratique et des ‘croyants’ commencent à le voir car on ne peut plus le leur cacher.

Et nous restons comme des lapins hypnotisés devant la peau du serpent agonisant sans voir qu’il a déjà mué : le nouvel ordre mondial fasciste est déjà là.

Car ILS ont prévu que les gueux allaient ouvrir les yeux.
Les refermer avec des guerres a toujours très bien fonctionné.

Le mésusage des instruments de la coercition sont bien peu de chose face à ce basculement mondial.

9 réactions et commentaires

  • vert-de-taire // 26.12.2022 à 08h29

    Je ne voudrais pas être médisant mais on peut gloser sur le sexe des anges ad æternam quand les prémices sont fausses.

    Le fonctionnement capitaliste, ploutocratique de prédation de tous les biens (communs) montre ses effets dévastateurs. D’abord sur la nature et accessoirement les colonies mais maintenant aussi sur les populations occidentales – les destinataires du Spectacle.

    On pouvait l’ignorer quand le Système progressait, les miettes aidaient les gueux à croire aux miracles et contes de fées ; le seul grand changement est que les miettes se font rares et que les gueux vont comprendre qu’ils sont « colonisés ».

    Ce Système est depuis toujours une dictature ploutocratique et des ‘croyants’ commencent à le voir car on ne peut plus le leur cacher.

    Et nous restons comme des lapins hypnotisés devant la peau du serpent agonisant sans voir qu’il a déjà mué : le nouvel ordre mondial fasciste est déjà là.

    Car ILS ont prévu que les gueux allaient ouvrir les yeux.
    Les refermer avec des guerres a toujours très bien fonctionné.

    Le mésusage des instruments de la coercition sont bien peu de chose face à ce basculement mondial.

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  • calal // 26.12.2022 à 09h02

    La hausse des taux d’interet est une necessite pour purger le systeme. Beaucoup d’entreprises ne sont viables que parce que la fed a cree beaucoup trop de credit. Ces entreprises zombies doivent faire faillite.Le probleme est toujours le meme: est ce que les entreprises zombies des « copains » des gouvernants seront sauvees et celles des « rivaux » des gouvernants coulees deliberement ou est ce que le « marche » decidera « librement » qui coule et qui survit?

    De plus beaucoup de gens ont arrete de travailler (essentiellement les « fourmis » ceux qui produisent plus qu’ils ne consomment) et ne sont prets a revenir a la production que quand les taux d’interet seront a nouveau a 5%.

    Bien sur tout cela causera de la douleur.Mais il faut expier le plaisir a credit qui a ete consomme dans les annees precedentes: la dette,un impot sur les generations suivantes (merci les boomers).

      +5

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  • Dominique Gagnot // 26.12.2022 à 12h01

    Jusqu’ici l’homme était au service de l’économie.
    Maintenant l’homme est au service de l’inflation.
    « Et si notre système économique était une gigantesque Arnaque? » https://bit.ly/8capitalisme

      +6

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  • gracques // 26.12.2022 à 12h01

    Vous avez raison , moi qui vis de mes rentes , je n’ai pas envie que mon capital légué par mes ancêtres fonde comme bon beurre au soleil pour satisfaire la gloutonnerie sans fin des pauvres mal nes.
    Vive l économie doloriste et punitive …. tout ceci est tres « moral’ donc « juste  » et obéissant aux règles naturelle voir même divines…..

      +7

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  • nulnestpropheteensonpays // 26.12.2022 à 12h47

    Ca va etre très dur de se débarrasser de ces ploutocrates , ils vont nous forcer a etre des crapules , putain fait chier ….

      +9

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  • gracques // 26.12.2022 à 12h50

    Dites et si l inlation est supérieure aux taux d intérêt sans dépasser 10% …. c est quoi l effet sur la dette ? et si on y ajoute une échelle mobile des salaires …. quel, effet sur le partage de la,valeur ?
    Du coup que peut on dire de la politique de la Fed?

      +1

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  • yann // 26.12.2022 à 14h39

    Comme dirait Villanus, Dieu des mathématiques : $8 c’est plus simple que $7.98.
    Y’aurait-y pas blasphème sur la photo ?
    Gntidjuu.

      +2

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  • Bouddha Vert // 27.12.2022 à 00h17

    Le dollars comme monnaie de réserve a assuré le maintient de la puissance des Etats Unis, les pétros-dollars y ayant largement contribué.
    Or, comme évoqué dans un autre article des crise, l’OCS est en train de rallier nombre des anciens « amis » des EU qui désormais risquent de se détourner d’une monnaie valant le prix du papier et de l’encre.
    La Fed cherche évidemment à redonner de la consistance à son PQ quitte à sacrifier une partie de sa population.
    La situation est, à mon avis, encore plus préoccupante pour l’UE puisque notre politique monétaire a été identique, que nous la prolongeons encore aujourd’hui sans disposer de ressources.
    En prenant encore un peu de recul, les tentatives à vouloir pérenniser un monde croissantiste sont suicidaires, il faut par conséquent passer par une période difficile (doux euphémisme) où la production devra être compatible avec la préservation de notre planète, et si nous ne l’organisons pas les déplétions s’en chargerons.

    NB: La photo indiquant le prix des gâteaux à la crème devenus trop chers pour les pauvres dénote s’il en été besoin le caractère « hors sol » des préoccupations des « pays riches », c’est dire si les solutions recherchées sont à l’opposé d’un monde où les limites commencent à se faire sentir partout.

      +3

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  • Anfer // 31.12.2022 à 09h47

    Les liberaux appliquent le modèle neoclassique, ils ne voient jamais de boucles de rétroaction, sauf dans un cas, salaire-inflation, l’inflation étant forcément due à des salaires trop élevés, qui amènent trop de monnaie en circulation causant de l’inflation.

    Pour les solutions, Ils sont comme les médecins de l’ancien temps qui croyaient aux « humeurs », ils n’ont que deux remèdes, la purge et la saignée.
    Modération salariale et hausse des taux d’intérêt.

    Le modèle neoclassique leur dit que l’investissement vient de l’épargne, qui elle même vient du profit, donc ils faut augmenter l’épargne, c’est à dire augmenter le taux de profit, et éviter l’inflation car elle fait baisser la valeur de l’épargne.

    Donc, modération salariale pour augmenter les profits, hausses du coût de la monnaie pour en limiter la circulation.

    Sauf que, au delà du fait que cette théorie repose sur des hypothèses fausses, ont peut remarquer que les solutions proposées ne sont pas différentes de d’habitude, c’est toujours les mêmes, crise ou pas, inflation ou pas.

    C’est normal car ce modèle ne prévoit pas de crise, sauf si on a pas bien fait ce qu’il préconise.

    Ça ne marche pas ? C’est parce qu’on en a pas fait assez.

    On dirait l’Europe libérale ? Normal c’est la même chose.

      +1

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