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6.avril.20206.4.2020 // Les Crises

L’Iran a mis en place une application prétendant diagnostiquer le coronavirus. Au lieu de cela, elle a récolté des données de géolocalisation de millions de personnes.

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Source : Vice News, David Gilbert, 14-03-2020

« Ils sont en fait capables de vous suivre. Si vous déplacez votre appareil d’un point A vers un point B, ils peuvent dans les faits le voir en temps réel. »

Le mardi 2 mars, les téléphones portables de dizaines de millions d’iraniens ont bipé tous en même temps.

« Mes chers compatriotes, avant de vous rendre à l’hôpital ou dans un centre de santé, installez et utilisez ce logiciel pour déterminer si vous ou vos proches avez été infectés par le coronavirus », disait le message, qui prétendait provenir du ministère de la santé.

Il comprenait un lien pour télécharger l’application depuis une logithèque iranienne appelée Cafe Bazaar.

Bien sûr, l’application ne pouvait pas déterminer si les citoyens avaient le coronavirus. Mais elle pouvait recueillir d’énormes quantités d’informations sur les citoyens, dont leur nom, leur adresses leur date de naissance, et elle pouvait même les suivre en temps réel.

Le gouvernement s’est déjà vanté que des millions de citoyens aient partagé ces informations avec lui, à l’heure où la majorité des iraniens sont complètement ignorants de la menace du coronavirus. Le gouvernement est accusé de cacher l’étendue réelle de l’infection et de la mortalité, tandis que des experts prétendent que les vrais chiffres suivent une exponentielle beaucoup plus haute. Pendant que le désordre et la peur paralysent une partie du pays, cette application veut en profiter pour renforcer les capacités de surveillance de Téhéran.

« La survie du régime est étroitement liée à l’écrasement, la surveillance, l’espionnage et l’intrusion dans les affaires personnelles du peuple iranien », rapporte Shahin Gobadi du conseil national de la résistance iranien à VICE News.

L’Iran est un des pays les plus durement touchés par l’épidémie du coronavirus. Samedi dernier, les autorités ont confirmé le décès de 611 personnes, pendant que le pays comptait 1365 cas d’infection supplémentaires, pour un bilan total de 12 700.

Mais les experts de la santé publique estiment que le taux de mortalité réel est beaucoup plus élevé, des prévisions basées sur une multitude de repères laissent penser que le nombre d’infections en Iran pourrait se rapprocher des 2 millions.

Jeudi dernier, le groupe CNR de Gobadi a présenté une étude effectuée par plus de 63 professionnels de médecine, de santé, et du monde médical de l’Europe, de l’Amérique du nord, et de l’Australie, et tire les conclusions de leurs recherches (qui incluent des entretiens avec du personnel soignant de première ligne) que le nombre de décès serait supérieur à 3000.

La rapport avance aussi que Téhéran a dissimulé les premiers cas du coronavirus dans le but de maximiser la participation à une marche annuelle célébrant l’anniversaire de la révolution du 11 février 1979, et les élections locales le 21 février.

Mais lorsque les législateurs iraniens et des officiels du gouvernement ont commencé à être infectés par le virus, et dans de nombreux cas à décéder, le gouvernement a cherché à calmer l’inquiétude grandissante avec une nouvelle application.

Le pistage en temps réel

Cette appplication porte le nom AC19 et prétend être en mesure de détecter si des personnes sont infectées, affirmant que « le programme anti-virus est conçu par le ministre de la santé pour détecter les probabilités d’avoir le coronavirus ».

Une fois téléchargée, l’application demande aux utilisateurs de confirmer leur numéro de téléphone portable, même si le gouvernement a accès à tous les numéros de téléphone grâce au contrôle national des opérateurs de téléphonie mobile.

Captures d’invites de l’application iranienne de pistage AC19, qui prétend diagnostiquer le coronavirus mais récolte en fait des données de géolocalisation.

Le problème est en fait que l’invite est intégrée au système Android, et que si les utilisateurs n’ont pas changé les paramètres par défaut, l’invite s’affiche en anglais, pas en perse, ce qui signifie que la majorité des utilisateurs ne sauront pas à quoi ils s’engagent.

Et pour 40% des utilisateurs en Iran qui utilisent une version obsolète d’Androïd, il n’y aura pas d’invite du tout, ce qui signifie que les données de géolocalisation seront partagées sans qu’ils le sachent.

Mais un expert qui a étudié le code de l’application affirme que la surveillance de la géolocalisation ne se restreint pas à savoir où vous êtes situés dans le pays :

« Cette récolte de données de données de géolocalisation n’est pas une action unique », rapporte un chercheur iranien en sécurité basé à Londres à VICE News, relevant le fait que l’application utilise une bibliothèque Android qui est généralement utilisée par des applications de fitness pour suivre les déplacements. « Ils peuvent en fait vous pister. Si vous vous déplacez d’un point A vers un point B, ils peuvent le voir en temps réel ».

Des résultats immédiats

L’application serait capable d’indiquer si un utilisateur a contracté le COVID-19 ou non. Pour cela, une série de questions est posée, auxquelles il faut répondre par oui ou non en fonction des symptômes ressentis par l’utilisateur. Une fois le questionnaire complété, l’utilisateur clique sur « envoyer » pour transmettre ses réponses au gouvernement afin qu’elles soient examinées.

Mais au lieu d’avoir à attendre des heures ou même des jours pour avoir les résultats, l’application se targue de pouvoir vous diagnostiquer en quelques secondes seulement, en vous indiquant quelle est la probabilité d’avoir contracté la maladie, et si vous devez ou non aller à l’hôpital.

Il est impossible de dire combien de citoyens iraniens ont téléchargé l’application, mais selon ce tweet du ministre de l’Information MJ Azari Jahromi, 3.5 millions de personnes, au minimum, ont transmis leur position et leurs informations personnelles au gouvernement.

Historique de la surveillance

Par le passé, Téhéran a montré sa volonté de surveiller et de suivre les communications de ses citoyens, notamment en limitant, voire en fermant l’accès à Internet en temps de crise.

Lors du soulèvement de novembre 2018 en Iran, les manifestants ont largement utilisé l’application de communication chiffrée Telegram. Au lendemain de la crise, le régime a construit ses propres versions de cette application, appelées Golden Telegram et HotGram, qui ont eu jusqu’à 30 millions d’utilisateurs en Iran.

Les applications ressemblaient à l’application officielle de Telegram, mais la société a rapidement averti qu’elles n’étaient pas sûres et que le gouvernement iranien pourrait surveiller toutes les communications.

La société qui a développé les applications pour le gouvernement en 2018 était Smart Land Solutions, une société connue aujourd’hui sous le nom de Sarzamin Housmand – la même société qui a produit l’application pour le coronavirus.

Le développement de l’application ne fera probablement qu’ajouter à la confusion des citoyens en Iran, où le régime a gardé un contrôle étroit sur les informations échangées.

Vendredi, Téhéran a pris des mesures pour limiter la propagation du coronavirus en annonçant que les forces de sécurité nettoieraient tous les espaces publics, dont les rues de la ville – autre décision destinée à maintenir le contrôle à tout prix.

« L’attitude du régime est évidente pendant la crise du coronavirus », a déclaré M. Gobadi. « Au lieu d’être transparent et d’alerter le public sur l’ampleur réelle de la crise, le régime a eu recours à une campagne massive de tromperie et de dissimulation, en particulier en ce qui concerne le nombre de victimes et de décès ».

Photo du haut : Une femme porte un masque de protection et utilise un smartphone sur un trottoir de Téhéran, le 24 février 2020. (Photo par ATTA KENARE/AFP via Getty Images)

Source : Vice News, David Gilbert, 14-03-2020

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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4 réactions et commentaires

  • Emile // 06.04.2020 à 10h33

    Bon soyons francs avec nous même : on restera sur le terrain du repérage!
    1,7 million de parisiens ont migré en Zone libre : c est Orange qui le dit !
    Au lieu de crier a l atteint « a ma liberté « en periode de pandémie potentiellement mortelle , il faudra ACCEPTER un outil sur la base du volontariat couplé a une QR code attribué des que l on aura eu des tests POSITIFS ANTICORPS post Covid pour permettre un deconfinement sans risque de DEUXIEME VAGUE !
    Au fait , aux LIBERTARIENS qui liront ! :
    CHAQUE FOIS QUE VOUS PAYEZ UN MEDECIN ,NON ANONYMISÉ SUR VOTRE RELEVÉ DE CARTE BANCAIRE ,IL Y A RUPTURE DU SECRET MEDICAL tout la banque est au courant de votre etat de Santé ! MÊME LA CNIL EN EST INFORMÉE et s en fout !!

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  • .Josy // 06.04.2020 à 10h45

    Doit on conclure bêtement /oh ce n’est pas bien c’est un régime . Ce n’est pas chez nous qu’on ferait ça.
    De quoi s’étonne l’auteur de l’article? De ce que les iraniens font la même chose que les français ? De quoi parlaient les partisans de la mondialisations ?Le secret de la vie privée c’est le vol de toutes vos données .

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  • thibaut // 07.04.2020 à 06h27

    Evdemment, l’Iran est une tête de gondole de choix: pensez, tous ces barbus fanatiques. Quant à la désinformation on ferait mieux de commencer à poser nos regards près de chez nous, chez nous. On sait que la corée du Sud a utilisé les gsm des coréens pour voir plus clair dans les groupes à risque, les isoler. Ce n’est pas sans danger et risque, d’accord, mais ils semblent s’en sortir mieux que les Français. Comme les chinois. ah les chinois, encore des menteurs! Naturellement on les accuse de truquer les statistiques.
    « Les Crises » commencent à ressembler à la presse généraliste dite « mainstream », néo-coloniale, sans recul autre qu’une posture délibérée de doute pour tout ce qui est un peu trop pas français ou pas européen. Bref je dirais pas que je suis déçu du truc « les crises », mais que je m’en passe très bien depuis un moment, sauf à ricaner sur la dérive idéologique(?) du site,  « complotisme » oblige. on m’excusera.

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