Les Crises Les Crises
8.septembre.20228.9.2022 // Les Crises

Honduras : après la fin de la dictature, une Assemblée nationale constituante ?

Merci 89
J'envoie

Le gouvernement de gauche de Xiomara Castro doit créer les conditions d’une autodétermination dans un État vulnérable aux pressions américaines et conçu pour servir le capital monopolistique.

Source : Africa is a Country, Hilary Goodfriend
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Xiomara Castro lors de son investiture à la présidence du Honduras le 28 janvier 2022 (Crédit : Simon Liu, via Flickr CC).

En janvier 2022, Xiomara Castro est devenue la première femme présidente du Honduras, rétablissant la démocratie électorale dans le pays après plus d’une décennie de dictature. En se présentant avec le parti de gauche Liberté et Refondation (LIBRE), l’élection de Castro rompt avec le système bipartisan vieux d’un siècle qui permettait aux élites des partis national et libéral de se partager le pouvoir. Avec un mandat pour opérer une transformation et des aspirations populaires élevées, Castro doit faire face à des défis de taille dans un contexte de crise systémique profonde.

Le coup d’État militaire de 2009 qui a évincé le mari de Castro, le président démocratiquement élu Manuel Zelaya, du parti libéral, a plongé le Honduras dans le chaos. Le régime d’extrême droite qui s’en est suivi a été soutenu par la force militaire et une fraude électorale éhontée. La « République bananière » initiale est devenue un laboratoire pour de nouveaux modèles radicaux d’appropriation et de confiscation, les services publics et les territoires riches en ressources étant vendus aux enchères au plus offrant. Les leaders des mouvements sociaux ont fait face à une répression croissante, allant jusqu’à l’exécution très médiatisée de la célèbre militante indigène Berta Cáceres en 2016. Les intérêts privés des fonctionnaires, du capital extractif et des narcotrafiquants sont devenus indissociables. Face à l’augmentation des déplacements, de l’insécurité et des inégalités, les Honduriens paupérisés ont fui vers les États-Unis dans des proportions sans précédent.

Le LIBRE a été formé en 2011 à partir du Front national de la résistance populaire, qui s’est forgé dans les luttes anti-néolibérales de la décennie précédente et a défié la dictature dans les rues. Les mouvements militants paysans, indigènes et ouvriers ont été un élément fondamental de la victoire de LIBRE, mais la faction libérale Zelaya est la force dominante de la coalition gouvernementale. Les organisations démocratiques doivent maintenant naviguer entre les pièges de la démobilisation et ceux de la cooptation alors qu’elles cherchent à faire en sorte que le nouveau gouvernement tienne ses promesses tout en repoussant la tentative de déstabilisation venant de la droite.

Castro hérite d’un appareil d’État endetté et gangrené, d’une économie en crise qui est dépendante des exportations et d’une dangereuse opposition oligarchique. Le système judiciaire et les forces de sécurité restent profondément corrompus et redevables à l’ancien régime, à un point tel que le gouvernement a préféré extrader Juan Orlando Hernández (JOH), le prédécesseur de Castro, aux États-Unis pour trafic de drogue plutôt que d’essayer de faire respecter la justice au niveau national. L’administration a demandé le soutien des Nations unies pour la création d’une commission internationale de lutte contre la corruption, sur le modèle de l’organisme qui a été expulsé du pays du temps de JOH.

Les premières décisions de Castro ont consisté à démanteler en priorité les dispositifs instaurés par la dictature. Déclarant l’électricité comme bien public et droit humain, une réforme visant à sauver la Compagnie nationale d’énergie électrique s’engage à renégocier les contrats, se réservant le droit de confisquer les usines qui ne respectent pas les règles. Les législateurs ont révoqué le dispositif des immondes zones autonomes de libre-échange appelées « Zedes » [Zones de développement de l’économie et de l’emploi, à l’intérieur desquelles elles sont libres d’adopter leurs propres systèmes d’imposition et régimes juridiques, NdT], et abrogé la loi sur l’emploi horaire qui réduisait à néant les protections du travail. Dans le même temps, la présidente a fait progresser les dépenses sociales et mis en place des programmes de versements en espèces ciblés pour les familles en situation d’extrême pauvreté. De nouveaux corps administratifs tels que le Secrétariat pour la planification stratégique et sa filiale le Pouvoir populaire ont pour ambition de structurer le rôle des mouvements en matière de politiques publiques.

Cependant, la question de la mise en œuvre reste entière. Le Secrétaire à l’environnement a annoncé la révocation des permis d’extraction en cours et déclaré le pays exempt de toute exploitation minière à ciel ouvert, mais cette mesure n’a pas été appliquée. Après que le Congrès a décrété une amnistie pour les prisonniers politiques de la dictature, la Cour suprême l’a annulée. Et les investisseurs libéraux qui ont colonisé une partie de l’île de Roatán, dans les Caraïbes, contestent l’abolition des Zedes. Les prochaines élections au Congrès qui doivent désigner les magistrats de la Cour suprême et le procureur général seront déterminantes quant à l’application des réformes, tout comme le sera une pression soutenue venant de la rue. À plus long terme toutefois, le changement dépendra de la réponse aux exigences du mouvement de résistance, qui réclame une Assemblée nationale constituante.

Le gouvernement Castro doit créer les conditions d’une autodétermination dans un État conçu pour servir le capital monopolistique. Le Honduras est particulièrement vulnérable aux pressions américaines visant à maintenir la subordination du pays au sein des régimes régionaux de libre-échange et de sécurité, avec une présence militaire américaine considérable sur l’ensemble de son territoire et une dépendance économique de longue date. Pour la gauche, la défaite de la dictature n’est que la première étape d’un long processus de transition vers la refondation démocratique promise au nom du parti LIBRE.

A propos de l’autrice

Hilary Goodfriend est doctorante en études latino-américaines à l’Université nationale autonome du Mexique (UNAM). Elle collabore à la rédaction de Jacobin et de Jacobin América Latina.

Source : Africa is a Country, Hilary Goodfriend, 20-07-2022

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Nous vous proposons cet article afin d'élargir votre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s'arrête aux propos que nous reportons ici. [Lire plus]Nous ne sommes nullement engagés par les propos que l'auteur aurait pu tenir par ailleurs - et encore moins par ceux qu'il pourrait tenir dans le futur. Merci cependant de nous signaler par le formulaire de contact toute information concernant l'auteur qui pourrait nuire à sa réputation. 

Commentaire recommandé

RGT // 08.09.2022 à 10h50

Ce pays n’est pas encore sorti de l’auberge…

Tout changement vis à vis des traditions US néo-colonialistes risque à chaque instant d’entraîner un coup d’état (souvent sanglant) pour préserver le statu quo qui permet aux USA de venir siphonner toutes les ressources des pays larbins afin de continuer à gaver les « élites » US.

Regardez simplement ce qui s’est produit dans les pays qui ont tenté de favoriser la population locale : Coups d’états et junte militaro-économique associés à une répression illimitée contre tous ceux qui ne souhaitaient qu’une simple amélioration de leurs conditions de vie.

Et s’il n’est pas possible de revenir en arrière (profits immenses pour les oligarques US) les pays deviennent automatiquement des « dictatures sanguinaires qui oppressent leur population » tant que la situation n’est pas « normalisée » (au sens US du terme) comme c’est encore le cas pour cuba ou le Venezuela.

Je souhaite bonne chance aux habitants de ce pays, mais je crois que l’avenir ne sera pas rose.
Les USA sont prêts à « tout faire péter » plutôt qu’un pays prenne ses distances et puisse se développer dignement au profit de la population.

Ce serait un très mauvais exemple pour le reste des pays croupions dont les populations pourraient soudain avoir l’idée saugrenue de faire de même, entraînant de fait la chute des profits US et accélérant la chute de l’Empire qui serait étouffé par manque de profits du pillage de ressources extérieures.

7 réactions et commentaires

  • RGT // 08.09.2022 à 10h50

    Ce pays n’est pas encore sorti de l’auberge…

    Tout changement vis à vis des traditions US néo-colonialistes risque à chaque instant d’entraîner un coup d’état (souvent sanglant) pour préserver le statu quo qui permet aux USA de venir siphonner toutes les ressources des pays larbins afin de continuer à gaver les « élites » US.

    Regardez simplement ce qui s’est produit dans les pays qui ont tenté de favoriser la population locale : Coups d’états et junte militaro-économique associés à une répression illimitée contre tous ceux qui ne souhaitaient qu’une simple amélioration de leurs conditions de vie.

    Et s’il n’est pas possible de revenir en arrière (profits immenses pour les oligarques US) les pays deviennent automatiquement des « dictatures sanguinaires qui oppressent leur population » tant que la situation n’est pas « normalisée » (au sens US du terme) comme c’est encore le cas pour cuba ou le Venezuela.

    Je souhaite bonne chance aux habitants de ce pays, mais je crois que l’avenir ne sera pas rose.
    Les USA sont prêts à « tout faire péter » plutôt qu’un pays prenne ses distances et puisse se développer dignement au profit de la population.

    Ce serait un très mauvais exemple pour le reste des pays croupions dont les populations pourraient soudain avoir l’idée saugrenue de faire de même, entraînant de fait la chute des profits US et accélérant la chute de l’Empire qui serait étouffé par manque de profits du pillage de ressources extérieures.

      +16

    Alerter
  • Dorian // 08.09.2022 à 12h06

    2009, president Obama non?
    C’est marrant, toutes les crapuleries US faites sous Obama taisent son nom. Ce coup d’état aurait eu lieu entre 2016 et 2020, le president US aurait éte cité une dizaine de fois.

      +5

    Alerter
  • Grd-mère Michelle // 08.09.2022 à 13h17

    Heu… comment retrouver (à l’aide d’une tablette ou d’un smartphone) la page sur le référendum au Chili, qui ne se trouve déjà plus sur l’actuelle page d’accueil?
    Une liste des liens vers les précédents articles(au moins ceux des 6 derniers mois) serait bienvenue, surtout pour les nouveaux lecteurs/trices…

    L’article ci-dessus, bien détaillé, montre les multiples difficultés que le Honduras doit affronter.
    Nous comprendrions sans doute mieux celles du Chili si nous disposions à son sujet du même type d’informations…

      +4

    Alerter
    • 6422amri // 08.09.2022 à 13h48

      https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9f%C3%A9rendum_constitutionnel_chilien_de_2022

      Tout est la…

      Cherchez avec votre moteur de recherche avec les mots chili referendum 2022

        +0

      Alerter
    • Grd-mère Michelle // 08.09.2022 à 18h50

      Oui, merci, toutes mes excuses au site, je me suis rendu compte qu’il n’existe pas de page/d’article consacré au référendum au Chili, seulement abordé dans des commentaires. Pourtant, la situation là-bas est extrêmement intéressante… et instructive…

        +2

      Alerter
  • vert-de-taire // 08.09.2022 à 14h06

    Le Honduras est depuis un siècle le verger des United Fruit et avatars
    dont le gouvernement des Etats-Unis protège les interets, coute que coute.
    Ceci par tous les moyens.
    Massacres le plus souvent.
    Le Honduras est terrorisé par les Etats-Unis depuis très très longtemps.
    Et pas que le Honduras…

      +3

    Alerter
  • Christian Gedeon // 08.09.2022 à 18h45

    Elle devrait regarder de près ce qui s’est passé au Chili avec cette obsession de constituante et de nouvelle constitution. Défaite retentissante du jeune coq chilien qui s’est complètement mépris sur le sens de son élection. Elle devrait également écouter son Vice President. Ce serait dommage de ne pas pouvoir appliquer son programme social et économique au moins en partie pour courir comme son jeune collègue chilien après des chimères.

      +2

    Alerter
  • Afficher tous les commentaires

Les commentaires sont fermés.

Et recevez nos publications