Le 9 décembre 2020, Pheanith Hannuna a mis fin à ses jours. Ses parents l’ont retrouvé pendu dans sa cham­bre. Il avait 21 ans. Pheanith Hannuna n’était pas ce qu’on appelle un garçon à problèmes. Il se posait des questions sur le sens de la vie, comme tous les jeunes de son âge. Mais il ne broyait pas du noir, ne fréquentait pas les psys, ne souffrait pas de solitude. Il avait des tas d’amis, une copine qui l’adorait, d’excellentes relations avec ses parents, une folle passion pour le dessin et mille projets en tête.

«La veille de sa mort, je lui ai proposé de m’accompagner à un escape game, témoigne Raphaël Lux, son ami d’enfance, pour qui il était comme un frère. Il m’a tout de suite répondu que ça le branchait à fond, il était super motivé.»

Pheanith était très demandé, et son emploi du temps plutôt chargé. Des musiciens lui avaient proposé de dessiner leur plaquette, il travaillait sur un sujet de bande dessinée et, en attendant, mettait la dernière main à une vaste fresque que lui avait commandée un commerçant du quartier pour égayer sa boutique.

Ses œuvres, des illustrations au trait vif et limpide, empreintes d’une profonde humanité, avaient un succès fou : jusqu’à 17 000 personnes ­suivaient le compte Instagram sur lequel il les postait, et les retours étaient enthousiastes. A 21 ans, une telle réussite est rare.

Pour comprendre le geste fatal de ce surdoué du crayon, il faut revenir quelque mois en arrière. En octobre 2019, Pheanith Hannuna entre à Lisaa, une école parisienne d’arts appliqués. Les artistes n’ont pas besoin de diplôme pour tracer leur chemin, mais, en cas de pépin, un bachelor peut tout de même constituer une assurance.

Pheanith n’a pas tellement l’esprit scolaire, il ne mérite pas le premier prix d’assiduité et ses résultats sont irréguliers, mais son «projet individuel» – vaste travail personnel qui constitue le point d’orgue de la première année – est excellent : il obtient 17 sur 20, la meilleure note. C’est cela qui le perdra.

Depuis quelque temps, un petit groupe d’élèves (quatre ou cinq filles et un ou deux garçons, qui ont tous refusé de répondre à Capital) s’est en effet mis en tête de faire la loi parmi ses camarades. Sur le compte Instagram de la classe, ces caïds auto­proclamés distribuent les bons et les mauvais points, frictionnent un peu les têtes qui ne leur reviennent pas.

Et le 17 sur 20 de Pheanith ne leur revient pas, mais alors, pas du tout. Non seulement ils le jugent outrageusement surévalué, mais ils accusent le lauréat de s’être rendu coupable de plagiat.

Dès lors, sur le site Instagram de la classse, dont Capital a pu consulter des captures, c’est la curée. Les petits procureurs abreuvent d’insultes leur nouvelle tête de Turc, finement rebaptisée «pénis». «Enculé», «nique-lui sa mère», «tu lui as parlé du cours de Photoshop», «Pheanith sera forcément puni par le destin», «le cas Pheanith, faut en parler en privé», «pour avoir 17, il faut 17k abos (17 000 abonnements à son compte personnel Instagram, NDLR)», «on va pas se mentir, on vise tous pénis»…

«Jamais de ma vie je n’avais assisté à un tel déferlement de haine, témoigne Thibault, l’un des élèves ayant tenté de s’opposer à ce harcèlement, qu’il attribue uniquement à la jalousie. Moi je ne risquais rien car j’avais décidé de quitter l’école, mais les autres n’osaient pas intervenir, ils avaient peur de devenir à leur tour des cibles ou avaient fini par se laisser convaincre. Quand un train comme ça est lancé, il est très difficile de l’arrêter.»

Nos tourmenteurs ne se con­ten­tent pas d’éructer sur le réseau social. En juin 2020, joignant le geste à la parole, ils s’en vont trouver le responsable pédagogique de première année (qui a refusé de répondre à Capital) pour dénoncer le supposé plagiat dont se serait rendu coupable leur souffre-douleur. «On est des balances…», ricane l’un d’eux sur le réseau. «On est en train d’enfoncer le clou délicatement», se réjouit un autre. Mais les faits sont têtus. Après avoir un moment envisagé de faire réexaminer la note litigieuse par un jury, la direction de l’école décide de la maintenir, balayant au passage les accusations du petit groupe.

«Il n’y avait pas le moindre plagiat dans le projet personnel de Pheanith, témoigne Théo, un autre de ses soutiens. Il s’est juste inspiré de certains artistes, comme on le fait tous, et sans d’ailleurs s’en cacher, c’est tout à fait normal, c’est comme ça qu’on travaille.» «Ces accusations ne tiennent pas une seconde, confirme Sixtine*, une camarade de sa classe qui ne se remet pas du drame. C’était juste un moyen pour la meute de démolir Pheanith, parce qu’il avait plus de talent que les autres.»

Leur victime ne se plaint pas, ce n’est pas son genre, mais elle accuse le coup. Le 19 juin, sa mère, Anne-Sophie Mercier-Hannuna, adresse un long mail assorti de captures d’écran au responsable pédagogique pour le mettre au courant de la situation. «Selon un ami avocat, écrit-elle, ces échanges sont sans conteste révélateurs d’un phénomène de harcèlement, qui concerne cinq ou six personnes dans cette classe.»

Le responsable pédagogique organise immédiatement un entretien vidéo avec elle et Pheanith, dans lequel il «condamne ce qui a été publié sur les réseaux sociaux». Mais il ne donne aucune suite à la demande d’Anne- Sophie Mercier-Hannuna d’orchestrer une confrontation générale entre son fils et les harceleurs.

L’été passe, la deuxième année commence. Contrairement à ce qu’il espérait, Pheanith n’a pas été séparé de ceux qui lui veulent du mal : il se retrouve dans la même classe que deux d’entre elles. Et le cauchemar recommence. «Il y a eu des rumeurs sur moi l’année dernière, et ça continue encore aujourd’hui, donc j’ai personne à qui je peux demander de l’aide», écrit-il le 22 novembre à un prof, comme un appel au secours, sans obtenir de réponse.

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