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20.novembre.201120.11.2011
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Climat : L’imposture de l’hypothèse Svensmark

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Suite du billet sur Modélisation des températures. L’index général de la série de billets sur le réchauffement climatique est disponible ici

Aujourd’hui, un petit billet sur une des manipulations opérées par les climato-négationnistes…

Contexte

Un des principaux hérauts de des climato-négationnistes est le scientifique danois Henrik Svensmark.

Il a émis l’hypothèse d’une corrélation entre le rayonnement solaire et la couverture nuageuse, et a essayé de démontrer que ceci avait non seulement un rôle dans le réchauffement climatique, mais surtout que c’était un rôle quasi-exclusif.

Je précise que je trouve heureux que des scientifiques remettent en question la théorie dominante (ils le font tous dans toutes les matières, c’est comme cela que la science avance). SAUF QUE le processus est normalement :

  1. j’ai une hypothèse « révolutionnaire »
  2. je la teste
  3. je publie les résultats dans une revue scientifique à comité de lecture
  4. la communauté scientifique s’en empare, en débat, teste, re-teste, analyse
  5. un nouveau consensus se forme au bout d’un certain temps : acceptation ou rejet
  6. le public peut s’emparer du consensus

Or, en l’espèce, on en reste généralement au 2 voire au 3, et on passe directement au 6, en criant au complot des méchants scientifiques qui veulent dire que l’homme dégrade son habitat…

Analysons son hypothèse, qu’on trouve partout, en commençant par un point sur le rayonnement cosmique.

Le rayonnement cosmique

Le rayonnement cosmique est le flux de noyaux atomiques et de particules de haute énergie qui circulent dans le vide interstellaire à une vitesse proche de celle de la lumière.

Il est constitué de deux composantes, l’une permanente, d’origine galactique et extragalactique, l’autre plus sporadique, liée à l’activité du soleil.

Certaines de ces particules peuvent nous traverser, interférer avec l’ADN, traverser la roche et les bâtiments et profondément pénétrer les sol et sous-sol planétaires.

Ce rayonnement comprend deux parties :

  • une chargée, constituée principalement de protons (entre 85 et 90%) et de noyaux d’hélium (de 9 à 14%), le reste étant constitué d’électrons et de différents nucléons (noyaux d’atomes) ;
  • une neutre, constituée de rayons gamma ainsi que de neutrinos. Cette dernière n’est pas toujours décomptée dans le rayonnement cosmique.

La particule la plus abondante au niveau de la mer est le muon, car celui-ci interagit peu avec la matière : on en dénombre en moyenne un par centimètre carré par minute.

Avant d’arriver au sol ou à l’altitude de croisière des avions, le rayonnement cosmique est en partie stoppé par les deux « barrières » protégeant la Terre : le champ magnétique de la planète (créant une région isolée du vent solaire appelée « magnétosphère ») et l’atmosphère terrestre. C’est cette double protection qui a permis le développement de la vie.

Magnétosphère

Magnétosphère

Au passage, les particules du vent solaire sont déviées par la magnétosphère jusqu’aux pôles, où ils créent les fameuses aurores boréales dans le ciel nocturne.

Aurore Boréale

Aurore Boréale

Aurore Australe

Aurore Australe

La composante permanente du rayonnement cosmique puise son origine dans la galaxie. Elle est constituée de particules très énergétiques éjectées par les gigantesques explosions de supernovæ, étoiles massives parvenues en fin de vie. Le rayonnement cosmique galactique est isotrope, c’est-à-dire qu’il est le même dans toutes les directions. Par conséquent, toute la surface de la Terre y est exposée en permanence.

Ce qui nous intéresse est qu’une partie du rayonnement galactique est déviée par le champ magnétique transporté par le vent solaire. En effet, l’atmosphère du Soleil laisse échapper en permanence un flux de particules qui remplit tout le milieu interplanétaire, que l’on appelle le vent solaire. Les caractéristiques, notamment magnétiques, du vent solaire varient avec l’activité solaire et induisent un champ qui repousse le rayonnement cosmique de la Terre. Ainsi, ce rayonnement atteignant la Terre est moindre lorsque l’activité solaire est forte. Au niveau de la Terre, le rayonnement suit donc, comme l’activité du soleil, un cycle de onze ans.

Rayonnement cosmique et Activité solaire

On a représenté sur le graphique précédent le rayonnement cosmique et l’activité solaire. Puisque le vent solaire repousse les rayons cosmiques, quand l’activité du soleil est faible, le rayonnement est fort. Il faut donc inverser l’échelle du rayonnement pour mieux apprécier la corrélation parfaite :

Rayonnement cosmique et Activité solaire

L’hypothèse Svensmark

En 1997, les physiciens danois Eigil Friis-Christensen et Hensik Svensmark annoncent avoir établi une corrélation entre les variations passées du climat, la couverture nuageuse et l’activité solaire. Selon eux, une forte activité solaire entraînerait une diminution du flux des rayons cosmiques d’origine galactique, réduisant l’ionisation de l’atmosphère et entraînant une moindre formation des noyaux de gel et de condensation. La couverture nuageuse se réduirait, diminuant l’albedo de la planète et permettant ainsi un réchauffement.

Pour présenter leur travaux, je cite un des principaux sites internet « climato-sceptiques » qui a « pignon sur rue » et dénonce la « pensée unique », pour lequel vous me pardonnerez de ne pas faire de publicité en indiquant sa source exacte (l’image est issue du papier de Svensmark, les commentaires sont de moi) :

Voici un exemple des résultats étonnants {OB : on n’est pas au cirque non plus…} obtenu par l’équipe de Svensmark. […] Avouez {OB : « n’avouuue jamais, jamais, jamais… »} que le recouvrement de la courbe rouge (intensité des rayons cosmiques) et de la courbe bleue (taux de couverture nuageuse à basse altitude) est pour le moins confondante{OB : à ce stade, j’ai encore un doute pour le « fondante »…}

Svensmark

[…] À la grande surprise des expérimentateurs et du professeur Svensmark lui-même {OB : oui, c’est sûr qu’il s’attend à échouer le gars, c’est clair, il adore perdre son temps…}, les résultats ont été d’une efficacité stupéfiante. {OB : il ne faut pas trop en consommer d’ailleurs…}. Ils ont parus, sans tambour ni trompette {OB : bah, c’est la crise aussi, on a du les vendre aux Puces…}, le 4 octobre 2006 dans les Proceedings of the Royal Society A, publiés par la Royal Society et l’Académie des Sciences Britannique qui est, bien entendu, une revue au dessus de tout soupçon {OB : bien entendu…}. Les média, (s’ils sont au courant ?) {OB : oui, ils n’ont que ça à faire d’ailleurs…} n’en ont soufflé mot {OB : c’est à cause du vaste-complot-que-tu-sais, mais je ne peux en dire plus sans mettre ma vie en danger…}. Ils ont eu tort, car, de l’avis général {OB : oui, euh, surtout dans ton immeuble, quand même…}, cette découverte représente une vraie nouveauté dans la connaissance du climat de la Terre {OB : oui, qu’il y ait un lien entre le soleil et la température, il fallait être un génie pour y penser, grande nouveauté…}, même si elle ne leur fait pas plaisir {OB : oui, mais bon, comme « les medias » sont des néo-nazis qui mangent des enfants, ce n’est pas étonnant non plus…}, parce qu’à elle seule, et dans la mesure où elle est confirmée {OB : pour le coup, merci de le reconnaitre}, elle pourrait permettre d’expliquer en grande partie, si ce n’est la totalité {OB : hein ? } des variations de température de la Terre, passée, présentes et futures ! …sans l’effet de serre du CO2.

Hmmmm, intéressant. Enquêtons alors !

Enquête

Je vous passe mes heures de recherches particulièrement laborieuses sur ce sujet, visant à retrouver les données du rayonnement cosmique et à les consolider.

Voici le résultat, pour la période 1980-1994 :

Nuages et rayonnement cosmique

J’espère que vous m’accorderez que la proximité de mes données reconstituées avec celles de Svensmark sont « pour le moins confondantes ».

Bien. Pourtant…

Peu de temps après l’exposé de la théorie de Friis-Christensen et Svensmark, l’américain Paul Damon et le danois Peter Laut dirent avoir trouvé des erreurs dans les données citées pour soutenir leur hypothèse. En outre, une réduction de la couverture nuageuse diminue certes l’albédo, mais diminue également l’impact de l’effet de serre et il est plus difficile de déterminer si le bilan final entraîne un réchauffement ou un refroidissement de l’atmosphère. Enfin, le rôle des rayons cosmiques dans la création des noyaux de condensation est discuté, en particulier dans les basses couches de l’atmosphère où les aérosols semblent jouer un rôle prédominant.

Pas grave, les climato-négationnistes, continuent à le citer à toutes les sauces : « on n’est pour rien dans le réchauffement, c’est rien que la faute au Soleil ».

Sur le site dont je parlais, il est indiqué : « mis à jour le 07/10/2011 »

Chouette. Mais mettons alors les données à jour, puisque nous les avons désormais – où en est-on, vu que l’auteur s’est bien gardé de le faire ?

Ben, il y a comme un petit bug :

Nuages et rayonnement cosmique Svensmark

et comme l’auteur n’a apparemment pas appris à lisser proprement une courbe, je le fais :

Nuages et rayonnement cosmique Svensmark

Ah oui, comment c’était ? :

« le recouvrement de la courbe rouge (intensité des rayons cosmiques) et de la courbe bleue (taux de couverture nuageuse à basse altitude) est pour le moins confondante« 

Pour le moins, en effet… 🙂 🙂 🙂

Bref, à mettre aux poubelles de la Science… Mais ça pullule encore sur Internet, n’ayez crainte… : 215 000 sites le mentionnent !

Critique : pour en finir avec Svensmark

À ce stade, vous me direz pourquoi « L’imposture Svensmark » et pas simplement « L’hypothèse Svensmark » ou « L’erreur Svensmark » ?

Car la science est remplie d’hypothèses erronées, qui sont indispensables car elles permettent de progresser. C’est donc très bien de défricher de nouveaux horizons.

Et bien pour plusieurs raisons, qui se résument à âneries dans le meilleurs des cas, et manipulations dans le pire.

Point 1 : Les données

Svensmark a quand même mis à jour son graphe en 2005 :

Svensmark

Bon, la corrélation est toujours là pour l’auteur.

Alors du coup, je fais comme lui :

Nuages et rayonnement cosmique Svensmark

Bien évidemment, ayant la série de données continue et complète, je ne m’explique pas l’écart de Svensmark…

Vous noterez que la divergence entre nos données se produit EXACTEMENT au moment où les données divergent et invalident son hypothèse… Tirez-en vos conclusions…

Regardez même le premier schéma :

Nuages et rayonnement cosmique Svensmark

La courbe bleue est tracée sur la période 1980-1994. Mais vous notez que la courbe rouge, elle, se termine bien en 1995, et que la courbe bleue s’arrête un an avant.

On va dire que Svensmark ne devait pas posséder les données de nuages pour 1994 quand il a tracé la courbe en 1997 (!), car s’il les avait eu, il aurait du tracer ceci :

Nuages et rayonnement cosmique Svensmark

ce qui aurait un peu affaibli son propos…

J’imagine d’ailleurs que c’est sans lien avec le fait qu’il soit chercheur au Danemark, pays vivant de la rente pétrolière…

Ce qui est fabuleux, c’est qu’il n’a plus mis à jour ces données, et se garde bien d’en reparler sur son site web – dont la « qualité » et la « richesse » (7 articles publiés, ouahou, quel vie de chercheur !). Ce n’est pas comme ce pauvre Centre National de Recherches Météorologiques et ses misérables 135 publications pour 2006 qui font le poids… Mais bon, c’est sur que vous n’avez jamais entendu Serge Planton, il n’est pas « climato-négationniste »… En tous cas, nulle part n’est indiqué que son hypothèse était fausse…

 

Point 2 : Je poursuis par la méthode. Honnêtement, penser révolutionner le monde avec un lien entre le soleil et les nuages, le tout observé sur la royale durée de 11 ans (1983-1994), qui est à peine UN cycle solaire, cela confine pour ma part à de l’escroquerie intellectuelle…

Point 3 : admirez l’enfumage. Je vous parle, comme lui, depuis 15 minutes du lien soleil / nuages. C’est bien gentil, mais il n’a guère réalisé de graphe convaincant sur le lien « rayons cosmiques / réchauffement » à l’époque – qui est quand même bien le sujet de base !!!

Et pour cause, car ce travail, je l’ai réalisé dans ce billet – qui montre le fort lien entre le soleil et la température, mais seulement pour sa part cyclique, très peu pour sa tendance à la hausse !!

Comment d’ailleurs l’activité du soleil, qui varie peu sur les temps humains, et qui n’a gère été profondément modifiée depuis 200 ans (cf. ce billet), pourrait déclencher une telle réaction sur la Planète, aussi rapide ?

Point 4 : Les nuages

Je conclus par ce point, qui est « épatant ». Comment passe-t-on des nuages à la température ? Citation du fameux site :

Les idées du professeur Svensmark, du Dr Shaviv en Israël et de quelques autres sur la planète, dont de nombreux chercheurs Russes sont finalement très simples : Lorsque l’activité solaire est très intense comme cela a été le cas à la fin du siècle dernier, les orages magnétiques qui lui sont associés, dévient efficacement les particules qui normalement fabriqueraient des nuages à partir de la vapeur d’H2O présente dans l’atmosphère. Par un processus qui n’est pas encore totalement éclairci et sur lequel les débats vont bon train, l’ensoleillement résultant sur la Terre est plus intense et la Terre s’échauffe. En revanche, lorsque l’activité solaire est plus faible, l’héliosphère devient plus transparente et les rayons ionisants parviennent, en plus grand nombre, jusqu’à l’atmosphère de notre planète provoquant ainsi un refroidissement qui résulte de l’augmentation de l’albedo des nuages..

Bon, pourquoi pas.

Mais le plus drôle, c’est la source de données sur les nuages.

Petite précision : il existe de nombreux types de nuages. On les classe en 3 grands types, suivant la hauteur de leur base : les nuages bas, moyens et hauts :

Types de nuages

Types de nuages

Plus d’informations sur les nuages sur ce site.

Svensmark ne s’intéresse qu’aux nuages bas. Pourquoi ? Hmmm, parce que ! Observons les autres, nuages moyens et nuages hauts :

Types de nuages

Types de nuages

Aucun suspens : il n’y a aucune corrélation entre les nuages moyens et hauts et l’activité solaire…

Cela n’a nullement arrêté Svensmark, et comme cela collait avec les nuages bas, pourquoi se réfréner ?

Mais j’ai encore plus drôle pour la fin.

Toutes les données sur les nuages sont issues de mesures satellites. Et ce n’est pas simple de détecter proprement les nuages. Il y a 2 méthodes différentes pour ce faire : utiliser une analyse dans le visible, et une autre dans l’infrarouge – qui aboutissent en fait à des mesures soit dans l’infrarouge seul, soit dans l’infrarouge plus le visible (les données étant évidemment plus précises…). Observons :

Types de nuages

La prise en compte de mesures visibles invalide donc la théorie. Pas grave, il suffit d’ignorer les données pertinentes…

Bref, comment manipuler les données pour arriver au résultat qu’on souhaite « démontrer »…

 

Et voilà comment un français parle de vous, danois, un beau soir, 14 ans après la sortie d’un papier… « Célébrité » à bon compte ?

Conclusion

Laissons la parole à notre climato-négationniste :

Je ne serais d’ailleurs pas étonné que le Professeur Svensmark, avec ses collègues et le Dr Shaviv de Jérusalem, reçoivent un jour le prix Nobel pour cette découverte qui révolutionne nos idées dans cette matière. Mais sans doute faudra t’il attendre que tout le battage médiatique sur l’effet de serre soit retombé et que les innombrables polémiques soulevées par cette découverte se soient calmées.

Car n’imaginez pas que les tenants de l’effet de serre anthropogénique restent inactifs. Loin de là ! Cette découverte est pour eux une véritable catastrophe et ils consacrent beaucoup d’énergie à la minimiser, voire à la ridiculiser… Par exemple un membre éminent de l’establishment, R. Pachauri, le président du GIEC, rejeta violemment les idées de Svensmark et Friis-Christensen en les qualifiant de « naïves et irresponsables« .

Hé, l’ami, ne réserve pas trop vite ton billet d’avion pour la remise du prix à Stockholm quand même…

Je profite en conclusion pour vous garantir ma parfaite « bonne foi », n’y connaissant rien je n’ai nullement abordé ce sujet en défenseur de l’orthodoxie, mais l’esprit ouvert à de nouveaux horizons, usant d’une méthodologie la plus scientifique possible…

Quant au reste, quoi répondre – Svensmark est assez talentueux pour se ridiculiser lui-même, je n’ai fait que vérifier les données, ce qu’ont juste omis de faire les autres, instillant des niaiseries (c’est le bon mot, je rajouterais « criminelles ») dans l’esprit des gens…

Chapeau l’artiste !

Épilogue

Pour information, le co-auteur de 1997, Eigil Friis-Christensen a reconnu en 2002 que la corrélation climat-activité solaire ne s’observait plus depuis les années 1980… Mais c’est omis dans tout ce genre de sites… « À jour au 07/10/2011 » ?

Et en 2007, le quatrième rapport du GIEC estime que le forçage radiatif dû aux gaz à effet de serre produits par l’activité humaine est dix fois plus important que celui dû au rayonnement solaire – il traite donc bien du sujet et en reconnait l’existence !

Le GIEC emploie bien les méthodes élémentaires de débat scientifique…

Le doute oui, la chienlit, non…

P.S. Svensmark se lance maintenant dans des corrélations avec la durée du cycle solaire – qui est déjà battue en brèche par la communauté scientifique, j’en reste là pour ma part… 🙂

Dans le billet suivant, vous trouverez une présentation des conséquences du réchauffement climatique.

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