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12.mai.201812.5.2018
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[RussEurope-en-Exil] Un rêve de journaliste ? Les « entretiens » de J-M Sylvestre, par Jacques Sapir

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Billet invité

Jean-Marc Sylvestre vient de publier un livre d’entretiens imaginaires[1]. C’est, on le comprend, une méthode pour défendre ses idées. C’est aussi un rêve pour tous journaliste. Lequel d’entre eux ne voudrait réaliser l’interview de grands personnages du passé ? Alors, ce rêve, l’imagination de Jean-Marc Sylvestre l’a accompli.

Ce sont donc vingt personnalités que l’imagination de l’auteur a convoquées et rencontrées. On passe donc de Cléopâtre, reine d’Egypte sous influence à George Washington, Marie-Antoinette, Colbert et Napoléon III. L’ouvrage se conclut sur Charles de Gaulle, c’est dire la qualité des interlocuteurs que Sylvestre s’est choisi. On y trouve de grands économistes, Keynes, Marx, Schumpeter, mais aussi Bastiat, Malthus et Ricardo. On y trouve aussi d’autres personnages auxquels on ne s’attendait pas, Chanel et Mozart, mais aussi Zola. Ils côtoient les figures de grands révoltés, Louise Michel et Danton, mais aussi celle d’un philosophe comme Aristote.

Exercice imaginaire, donc, mais exercice réalisé avec talent et surtout humour. Sylvestre a rencontré suffisamment de gens importants pour savoir que ceux-ci ont parfois un humour ravageur, et des réparties assassines. Bref, tant dans le projet que dans sa réalisation, ce livre fait passer un bon moment.

Jean-Marc Sylvestre est ce que l’on appelle un libéral, avec des idées très arrêtées (et très contestables) en économie. Ceux qui suivent nos joutes hebdomadaires sur RT en français, dans l’émission le LabEco qui est diffusée tous les vendredis, le savent. Pour les autres, un petit détour par cette chaîne s’impose[2]. Il est donc évident que je ne partage pas les idées (ou les représentations) de l’économie de Jean-Marc. Du moins, pas le plus grand nombre car il fut aussi enseignant d’économie, que ce soit à Caen ou lors de la création de l’Université de Dauphine ; nous avons donc, aussi, un fond commun d’intérêt et de passion. Mais, j’apprécie aussi son sens de l’humour et le fait que, sous un abord austère, il ne se prenne pas aux sérieux. D’ailleurs, ce livre en est la preuve.

Alors, certains trouveront qu’il y a de la caricature dans les entretiens avec des personnages qui sont à l’antipode des idées défendues, qu’il s’agisse de Marx, de Keynes, ou de Louise Michel. Mais, c’est la loi du genre. On doit le remercier d’avoir sur traiter avec la même légèreté de ton des auteurs qui lui correspondaient mieux, comme Bastiat ou Ricardo. Jamais, cependant, il n’inflige à son lecteur un catéchisme libéral. Et il y a une certaine profondeur qui parfois transparaît.

Bien entendu, on peut – comme dans tout entretien réel – être frustré par les questions posées et se dire in petto que l’on aurait pu être plus mordant, plus incisif, voire que l’on aurait pas choisi l’angle qui a été adopté. Mais, ce type de réaction montre en réalité la réussite du livre, car ce sont les sentiments que nous inspirent des interviews réelles. Parfois, on se dit que les réponses de ses personnages imaginaires sont un peu plates. Charles de Gaulle aurait sans doute émaillé l’entretien de certaines de ses fameuses formules, et il se serait sans doute montré plus cruel avec ses successeurs. Et surtout, il y manque le son…

De même, l’entretien avec Colbert passe à côté de ce que les travaux des historiens nous apportent tant sur le côté ruffian du grand ministre (il s’occupait de la gestion de la fortune personnelle de Mazarin, c’est dire), que sur les objectifs qu’il visait. A trop vouloir ramener le passé dans le présent, Sylvestre prend le risque de faire dire des anachronismes à ses personnages, surtout ceux issus de l’Ancien Régime ou de l’Antiquité.

En fait, c’est ici que l’on bute sur l’un des angles de ce livre. Sylvestre veut faire parler ses personnages sur le présent. Or, c’est peut-être les moments les moins intéressants. Il eut mieux valu orienter les textes sur une réflexion quant à la place du personnage dans son temps. Alors, cela se sent en de multiples endroits. Il évoque Adam Smith et la fameuse « main invisible » avec Ricardo. Mais, il passe à côté de la dimension religieuse, que les travaux de Jean-Claude Perrot ont bien établie[3], de cette fameuse formule. La « main invisible » est une proche parente du « Dieu caché » des jansénistes[4].

Mais, ce livre écrit avec humour et qui ne se prend pas au sérieux, se lit agréablement, peut faire bondir (mais c’est le cas de tout bon livre) et il peut même, et pourquoi pas, inciter certains à prendre leurs plumes. N’est-ce pas, en fin de compte, ce que l’on attend de tout bon livre ?

[1] Sylvestre Jean-Marc Les Grands Entretiens de l’Histoire, Paris, Editions Saint-Simon, 2018.

[2] https://francais.rt.com/magazines/le-lab-eco

[3] Perrot J-C. Une histoire intellectuelle de l’économie politique, XVIIe-XVIIIe siècle, Paris, Editions de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, 1992 ; in-8°, 496 pages

[4] Goldmann L., Le Dieu Caché, Paris, Flammarion, 1955.

Commentaire recommandé

Pepin Lecourt // 12.05.2018 à 09h39

Certes, mais à côté de cela, animant la même émission que Sylvestre sur RT, il n’aurait pas parlé du livre cela eut été blessant pour Sylvestre, le canonner aurait compliqué la suite de l’émission, alors Sapir se livre à un exercice délicat, rendre hommage à un livre en se montrant gentil ou complaisant, un peu obligé comme lorsque l’on doit écrire une nécrologie d’un collègue !

8 réactions et commentaires

  • Araok // 12.05.2018 à 08h35

    Ça a un petit côté « spécial copinage » un peu dérangeant. Je n’attendais pas cela de J. Sapir. On croit lire la 4 eme de couverture ds Amazon.

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    • Pepin Lecourt // 12.05.2018 à 09h39

      Certes, mais à côté de cela, animant la même émission que Sylvestre sur RT, il n’aurait pas parlé du livre cela eut été blessant pour Sylvestre, le canonner aurait compliqué la suite de l’émission, alors Sapir se livre à un exercice délicat, rendre hommage à un livre en se montrant gentil ou complaisant, un peu obligé comme lorsque l’on doit écrire une nécrologie d’un collègue !

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    • sassy2 // 12.05.2018 à 12h24

      Certes,
      mais je vais l’acheter

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  • RST // 12.05.2018 à 10h56

    C’est vraiment triste d’en arriver à faire de la pub pour Sylvestre (Sylvestre c’est ça : http://urlz.fr/5Xp0)
    On sent l’exercice forcé et comme le dit Araok plus haut, le côté copinage. Qui plus est, avec « un libéral, avec des idées très arrêtées », autrement dit un orthodoxe borné, le genre de type qui croit que la seule façon de gérer l’économie passe par une bonne cure d’austérité !

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  • Philippe // 12.05.2018 à 20h18

    On peut ne pas avoir le même point de vue qu’une personne et pourtant la respecter.
    Se connaitre et connaitre « son ennemie » c’est un gage de réussite.
    Sapir comprend et lit l’autre malgré un mode de pensée différent.
    Par respect et parce qu’il apprécie le bouquin sans pour cela abonder, il en parle.
    Et oui il bosse avec sur RT, et alors. Il est plus facile de faire de la « pub » pour quelqu’un qu’on connait, non?
    Quand je veux faire référence à un jardin très bien entretenu, je parle de celui de mon frère, est-ce du favoritisme? Peut être, c’est aussi le beau jardin que je voit le plus et si parfois j’ai les ongles en deuil, ce jardin n’y est pas étranger.

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  • Ando // 13.05.2018 à 17h38

    Rien de choquant dans la recension de Jacques Sapir. Il présente de façon urbaine et courtoise l’ouvrage d’un essayiste en économie tout en marquant clairement sur le fond ses divergences de conviction. C’est une attitude civilisée qui permet une forme d’empathie sans servilité puisqu’il ne renonce à rien de ses idées. Ceci étant, je ne prends pas Sylvestre au sérieux.

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  • Melson Moinfort // 14.05.2018 à 08h24

    ——- Message à ne pas publier—– ——- Message à ne pas publier——- Message à ne pas publier

    Je note une faute d’orthographe dans la phrase : : « …c’est dire la qualité des interlocuteurs que Sylvestre s’est choisi … ».
    Il faut écrire « …s’est choisis ».

    ——- Message à ne pas publier——- Message à ne pas publier——- Message à ne pas publier

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  • SanKuKai // 15.05.2018 à 21h54

    On attend avec impatience le même exercice de la part de Laurent Delahousse au regard de son talent inimitable pour interroger les grands de ce monde.
    On pourrait enfin savoir si les horloges étaient bien réglées chez Émile Zola, si Le chien de Jules César faisait caca dans la cour intérieure ou la couleur des boules de l’arbre de Noël de Georges Washington.

      +2

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