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28.février.201828.2.2018
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[RussEurope-en-Exil] Productivité, compétitivité externe et taux de change

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Les mesures de la productivité du travail sont toujours délicates à établir. Néanmoins, l’OCDE fournit des chiffres en valeur absolue (et pas seulement en accroissement), basés sur la mesure du PIB en parité de pouvoir d’achat (en Dollars constants) et sur la base d’estimations du temps de travail global annuel. On sait que les mesures du temps travaillé diffèrent sensiblement du temps de travail « légal » dans les différents pays. Ceci permet d’établir quelques comparaisons internationales, dont on extrait les « micro-Etat » ou les quasi-paradis fiscaux (comme le Luxembourg…)[1].

Etat des lieux…

Le premier point qu’il convient de noter, en restant dans des économies comparables en matière de niveau de développement, est que trois pays se détachent de l’échantillon, la France, l’Allemagne et les Etats-Unis. En 1990, ces pays sont à peu près au même niveau, ainsi que l’Italie, pour la productivité annuelle horaire. La France bénéficie d’un léger avantage.

Si la productivité aux Etats Unis dépasse en 2016 la France et l’Allemagne, c’est avant tout le résultat d’une sortie de crise (à partir de 2009) bien plus rapide. La France et l’Allemagne ont la même valeur pour la productivité annuelle horaire (PAH). Or, cette « PAH » est une mesure assez robuste de la compétitivité entre les pays. Or, on constate que la France et les Etats-Unis accumulent depuis 2003 (France) et depuis les années 1990 (Etats-Unis) le déficit commercial. De même on constate que le Japon et la Corée du Sud ont des PAH nettement plus faibles, et pourtant accumulent un excédent commercial notable.

Graphique 1

Cela renvoie, bien évidemment, au taux de change des monnaies. Le Dollar US apparaît comme surévalué sur l’ensemble de la période. Par contre le mécanisme de l’Euro aboutit à une sous-évaluation du taux de change réel pour l’Allemagne et une surévaluation pour la France. Ceci recoupe les études faites par le FMI depuis plusieurs années. Le décalage entre l’excédent commercial de l’Allemagne (plus de 260 milliards d’euros) et le déficit de la France (plus de 60 milliards)[2] est l’exemple le plus choquant. Les études du FMI[3] sur le commerce extérieur posent à nouveau le problème de l’Euro. Les déséquilibres ont donc été estimés dans plusieurs études réalisées par le FMI, en 2015, 2016 et 2017. Ces études montrent un écart de change qui va grandissant d’années en années.

Tableau 1

Ampleur des appréciations/dépréciations des taux de change en cas de dissolution de la zone Euro

Ajustement moyen Ajustement maximal Ecart avec l’Allemagne

(normal-Maxi)

Ecart avec la France

(normal-Maxi)

France -11,0% -16,0% 26-43%
Italie -9,0% -20,0% 24-47% +2/-4%
Espagne -7,5% -15,0% 22,5-42% +3,5/+1%
Belgique -7,5% -15,0% 22,5-42% +3,5/+1%
Pays-Bas + 9,0% +21,0% 6-6% +20/+37%
Allemagne +15,0% +27,0% +26/+43%

Source : écart des taux de change réels dans le FMI External Sector Report 2017 et consultations d’experts des questions de change réalisées au début d’août 2017

L’économie française souffre d’une surévaluation liée à l’existence de l’Euro que l’on peut estimer entre 26% et 43% avec l’Allemagne. Cela est dû à la fois à la surévaluation générale impliquée par l’existence de l’Euro, mais aussi à la sous-évaluation qu’entraîne l’Euro spécifiquement pour l’Allemagne. On voit que le montant de l’écart est tel qu’il ne peut être combattu par des changements dans la structure de la fiscalité (et de la parafiscalité) en France, car ces changements jouent au maximum sur 5% à 10% du coût.

Les effets délétères de l’Euro…

Si l’on regarde maintenant le cas spécifique des pays du « Sud » de la zone Euro, la trajectoire de trois d’entre eux est particulièrement significative.

L’Italie avait un bon niveau de productivité en 1990 comme on l’a vu sur la graphique 1. Mais, depuis les années 2000, ce niveau de productivité stagne. L’Italie compense cette perte de productivité par une pression toujours plus forte sur les salaires, ce qui lui permet de retrouver un excédent commercial (essentiellement par compression des importations, mais au prix d’une croissance très faible. L’Espagne a connu une longue période de stagnation de la productivité. Elle a réagi en 2009, et elle a connu une hausse de la PAH jusqu’en 2014. Mais, la PAH semble s’être stabilisée. Désormais, l’excédent commercial de l’Espagne est essentiellement dû à la baisse des salaires (déflation salariale). Quant à la Grèce, elle a connu, elle, une trajectoire de hausse de la PAH de 1995 à 2009, mais, depuis la crise et les politiques d’ajustements qu’elle a subies, la productivité du travail baisse dans ce malheureux pays.

Graphique 2

Evolution de la Productivité annuelle horaire du travail (pays du « Sud » de la zone Euro).

Source : OCDE

 

On voit que les effets des politiques mises en place dans le cadre de la Zone Euro, voire touts simplement la seule existence de l’Euro, a plongé ces pays dans une crise grave. Ceci est désormais une réalité bien établie. D’ailleurs, le directeur de l’Institut Max Planck de Cologne, qui est un italien, vient de déclarer que l’Italie devrait sortir le plus rapidement possible de l’Euro[4].

C’est ce que défende de nombreux économistes (dont mon collègue Alberto Bagnai) mais aussi divers mouvements politiques en Italie.

Le scénario italien

Il est clair que si l’Italie devait sortir de l’Euro, le choc sur la France serait considérable. Les élites françaises tenteraient, assurément, de maintenir notre pays de toutes forces dans le carcan de l’Euro, mais – l’économie italienne étant proche de l’économie française – ceci entraînerait une violente crise en France même. Il est probable, alors que nous n’aurions pas d’autres solutions que d’imiter l’Italie, mais les conséquences du choc sur une économie fragile, dont l’industrie souffre déjà terriblement de l’Euro, pourraient bien être dramatiques. Il est donc important de comprendre que si l’Italie devait sortir de l’Euro, nous n’aurions pas d’autre choix que d’en sortir quelques semaines après elle…

C’est l’un des enjeux des élections qui auront lieu ce dimanche en Italie.

Notes

[1] Voir https://data.oecd.org/fr/lprdty/pib-par-heure-travaillee.htm#indicator-chart

[2] http://www.lepoint.fr/economie/france-le-deficit-commercial-se-creuse-encore-en-novembre-09-01-2018-2185003_28.php

[3] Voir http://www.imf.org/en/Publications/Policy-Papers/Issues/2017/07/27/2017-external-sector-report et http://www.imf.org/en/Publications/Policy-Papers/Issues/2016/12/31/2016-External-Sector-Report-PP5057

[4] https://scenarieconomici.it/max-planck-institut-italia-esca-dalleuro/

Commentaire recommandé

Macarel // 28.02.2018 à 08h05

Les allemands sont prêts ils ont déjà imprimé en douce des « deuschmarks » en prévision de l’éclatement de l’euro !

Les français, vont être les seuls à rester avec l’euro comme monnaie nationale. Car les « élites » françaises (en particulier socialistes, ou socialistes reconverties en « penseurs printaniers »), ne reconnaîtront jamais qu’elles ont fait la plus grande erreur de l’histoire récente en promouvant l’euro comme monnaie unique européenne. Avec le secret espoir de « clouer les mains sur la table » des allemands après la réunification. C’est le contraire qui s’est produit, l’Allemagne accumule des excédents commerciaux « Kolossaux », et les pays du Sud, dont nous, des déficits non moins abyssaux. Et ce n’est en aucune façon être germanophobe, que de reconnaître que l’euro ne profite qu’à l’Allemagne et à « ses satellites », c’est regarder la réalité en face.

« Errare humanum est, perseverare diabolicum »

Si vous n’êtes pas convaincus, je vous conseille la lecture de l’article suivant :

http://www.frustrationlarevue.fr/deficit-commercial-de-france-rafale-de-m-dassault-ordonnances-dr-macron-ny-changeront-rien/

21 réactions et commentaires

  • Fabrice // 28.02.2018 à 06h49

    Je ne vois aucun enjeu dans les élections italiennes! En quoi l’electeur italien diffère t’il du grec ou du Français? N’est il pas préférable de brouter penard l’herbe rase du pré plutôt que d’aller chercher une hypothétique herbe grasse là où ON le sait, il y a le loup!
    Définitivement Monsieur Sapir, je ne vois pas comment la seul moelle épinière qui nous anime généralement puisse distinguer les paradigmes qui nous guident!

      +4

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    • Fougnard // 28.02.2018 à 07h23

      Fabrice, votre pessimisme sur la nature humaine vous condamne à ne jamais connaître ce que peut être une vie décente.En ce sens, le libéralisme est une philosophie désespérément pessimiste car fondée sur la noirceur supposée de l’être humain.

        +14

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      • LG // 28.02.2018 à 18h22

        Il n’y a rien de ‘noir’ dans l’être humain, sauf si l’on veut verser dans la morale moralisante, Y’a juste un animal, semblable aux autres animaux, même si un peu plus malin. Une forme de vie autocentrée, qui veut continuer d’exister et augmenter sa capacité d’exister en tentant de contrôler ce qui l’entoure, sans cesse, et toujours plus si elle le peut. Elle est programmé par ça et pour ça. Le reste n’est que jugement de valeur.
        Les libéraux ne font que théoriser ce besoin ‘naturel’ sur le plan des idées.
        Leur seul problème c’est qu’ils avancent masqués derrière une argumentation noircie de concepts vaseux telle que ‘Liberté’ (dans un monde parfaitement déterministe, il faut être culotté) alors que finalement, ils militent tout simplement pour plus de ‘sélection naturelle’…

          +3

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      • Alexandre Clément // 01.03.2018 à 10h20

        C’est même pas du pessimisme qui anime Fabrice, mais de l’aveuglement

          +1

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  • Macarel // 28.02.2018 à 08h05

    Les allemands sont prêts ils ont déjà imprimé en douce des « deuschmarks » en prévision de l’éclatement de l’euro !

    Les français, vont être les seuls à rester avec l’euro comme monnaie nationale. Car les « élites » françaises (en particulier socialistes, ou socialistes reconverties en « penseurs printaniers »), ne reconnaîtront jamais qu’elles ont fait la plus grande erreur de l’histoire récente en promouvant l’euro comme monnaie unique européenne. Avec le secret espoir de « clouer les mains sur la table » des allemands après la réunification. C’est le contraire qui s’est produit, l’Allemagne accumule des excédents commerciaux « Kolossaux », et les pays du Sud, dont nous, des déficits non moins abyssaux. Et ce n’est en aucune façon être germanophobe, que de reconnaître que l’euro ne profite qu’à l’Allemagne et à « ses satellites », c’est regarder la réalité en face.

    « Errare humanum est, perseverare diabolicum »

    Si vous n’êtes pas convaincus, je vous conseille la lecture de l’article suivant :

    http://www.frustrationlarevue.fr/deficit-commercial-de-france-rafale-de-m-dassault-ordonnances-dr-macron-ny-changeront-rien/

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  • METZGER // 28.02.2018 à 08h16

    Bruxelles a fixé des règles de concurrence fiscales, plutôt qu’une harmonisation. ( voir le crédit d’impôt et la position de l’Irlande) Les taux de change appréciés en cas de dissolution de la zone Euro (disparition du taux de change et mobilité du capital) montre clairement où va la richesse.
    Par contre je ne comprends pas pourquoi l’alignement des fiscalités ne jouent que sur 5 à 10% des coûts… ( par an ? ) Si on aligne les politiques fiscales, ne reste que le problème de la dette, non ?

      +1

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    • Max // 28.02.2018 à 14h52

      Je suis d’accord, ça mérite plus d’explications.

      Est-ce que ça pourrait venir du reste de la règlementation? (le non-fiscal)

        +0

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  • Olivier LOISEL // 28.02.2018 à 10h28

    De quels partis politiques italiens voulant sortir de l’euro parlez-vous ? (sources ?) Merci

      +1

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    • Chokk // 28.02.2018 à 14h21

      Aucun. Berlusconi a changé d’avis et le M5S a clarifié sa position il y a déjà des semaines.

      Je pense que Mr Sapir prend un peu ses rêves pour des réalités. Seul un choc amènera la question monétaire sur le devant de la scène. Et ce n’est pas dit que les eurosceptiques seront invités au débat.

        +3

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      • Chris // 28.02.2018 à 15h51

        On verra ce qui ressort des urnes. Mais le malaise est bien réel.

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      • Gil // 01.03.2018 à 10h21

        Bonjour

        Mieux vaut sortir une fois élu que de dire qu’on sortira si on est élu.
        Imaginez la propagande qui se déclencherait sur un parti qui envisage ne serait-ce qu’un référendum sur la question de l’euro.

        D’ailleurs Berlusconi ne l’avait il pas évoqué avant d’être remercié manu-militari par cette brave troika ?

        Cordialement

          +2

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        • Olivier LOISEL // 01.03.2018 à 15h07

          Bonjour,

          Sans doute puisqu’il apparaît, du moins en France, que remettre en cause l’euro et parler de Frexit, ne puisse passer dans nos médias que si on est en même temps d’extrême droite.
          Quelqu’un qui souhaite rassembler largement sur ce sujet, puisqu’il est de première importance, n’aura pas accès aux médias, référendum ou pas.

          Ce n’est pas nouveau car il parait que les partisans du NON à Maastricht n’ont eu, à l’époque en France, que 20% du temps de parole.
          Sapir est lui-même censuré par le pouvoir (c’est comme ça que je vois la fermeture de son blog) alors qu’il prend bien soin de ne pas parler de l’article 50. La construction européenne doit se faire malgré l’avis des peuples.

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  • Le Rouméliote // 28.02.2018 à 11h18

    C’est clair, net et précis ! Merci pour cette évaluation, effectivement complexe, de la productivité annuelle horaire. Quel qu’en soit le prix immédiatement, il faut sortir de l’€, puis de l’UE et retrouver notre liberté en envoyant Micron et ses sbires dans les poubelles de l’histoire. Ça va tanguer dans le manche, mais il y a un espoir, alors que dans l’€ et l’UERSS, il n’y en a plus, tout comme en Grèce, malgré la fake news affirmant que « ça va mieux en Grèce » !

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  • Marie // 28.02.2018 à 11h49

    Un peu étonnée du titre mentionnant « productivité compétitivité » quand on sait que ces termes ne signifient pas exactement la même chose. Dans le document d’ailleurs, est mentionnée la compétitivité d’un pays.La productivité globale du travail se mesure par le rapport entre la valeur-ajoutée et le travail associé au capital; le travail est compté en nombre d’actifs ou en durée. Ce rapport est donc donné en valeur, interviennent donc le taux de change pour faire des comparaisons entre pays…et l’euro. Mais la compétitivité est difficilement mesurable, puisque c’est l’aptitude pour une économie à lutter efficacement contre la concurrence, à étendre ses parts de marché… Deux compétivités sont prises en compte, la compétitivité- prix ( s’immisce alors la productivité , les taux de change ) et la compétitivité hors-prix, incluant les notions de qualité, fiabilité etc

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    • Alexandre Clément // 01.03.2018 à 10h21

      Et b ien, c’est facile à comprendre pourtant, Sapir répond à ceux qui supposent que le manque de compétitivité de la France – qui serait perçu dans le déficit commercial – provient d’un manque de productivité.

        +2

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